Position 38

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Dans les épisodes précédents :
Psychœ a été dédoublée, puis enfermée dans le Lieu noir.

Lieu noir...

La clef, en tournant, fit grand bruit dans la serrure.
Et la porte, en grinçant sur ses gonds, laissa apparaître le visage niais de l’inspecteur Crochetrain.
Il tenait sous son bras un colis mal ficelé.
Psychœ s’assit sur sa couchette et, ramenant ses genoux contre sa poitrine, détourna le regard.
Crochetrain referma la porte derrière lui et, d’une voix presque inaudible, demanda :
— Puis-je vous parler quelques minutes ? 
Psychœ ne répondit rien ; l’attitude du père chétif ne lui laissait aucun doute sur les sévices qu’on pouvait lui faire subir.
Elle n’était désormais qu’une marchandise, une esclave privée de libre arbitre.
De son regard intelligent, elle dévisagea celui qui venait la souiller jusque dans sa misère.
Mais, à sa grande surprise, elle ne vit qu’un homme gauche et timide, qui semblait embarrassé par son mutisme.
— Que me voulez-vous ? dit-elle alors.
Crochetrain pivota simultanément la tête à droite et à gauche, comme si il craignait par-dessus tout d’être entendu d’une tierce personne, avant de lancer d’une voix frémissante :
— Je suis un honnête homme, mademoiselle, et…
Il marqua un arrêt.

Et tout ce qui se passe ici me déconcerte. Le fait que vous soyez séquestrée dans cette cellule humide. Et… et dans des conditions sordides, sans feu, sans nourriture. L’attitude du père chétif, qui… bref, c’est plus que je n’en peux supporter ! 
Psychœ garda le silence.
— Depuis que je fais partie de la police, c’est la première fois que je vois ça. Je viens vous trouver, afin de soulager un peu votre peine, et de vous faire savoir que vous pouvez compter sur mon aide ! 
— Merci, répondit simplement la jeune femme.
—  J’ai avec moi quelques provisions, qui vous permettront de mieux supporter l’épreuve. Et je me fais fort, dès demain, de vous apporter un chauffage électrique à bain d’huile. 
Et, tandis qu’il parlait, il ouvrit nerveusement le paquet qu’il portait avec lui, qui contenait un beau pain de froment, un carton de lait, un bloc d’édam, une livre de beurre et un canif.
—  Voilà, poursuivit-il, j’espère que vous aimez le fromage. Demain, j’essaierai de vous porter une noix de jambon. 
—  Comment pourrais-je vous remercier ? s’exclama Psychœ, soudain touchée par tant de bonté.
—  En mangeant et en restant en bonne santé, répliqua simplement Crochetrain. Je ne comprends pas très bien ce qui se passe, mais d’ici peu, j’aurai une franche conversation avec mon chef… Il n’est pas normal que je sois toujours tenu à l’écart de tout, Je pense avoir droit à un minimum d’informations sur nos activités. 
Psychœ lui saisit le bras.
—  N’en faites rien, dit-elle, si vraiment vous êtes innocent dans cette histoire, ils vous tuerait ! 

—  Me tuer ? Hahaha… Non, non, mademoiselle ! Je connais le père chétif de longue date, et je le sais bien incapable du moindre mal. C’est un gentleman ! 
—  Il vous tuerait, reprit-elle, croyez-moi ! Dans cette affaire, il est prêt à tout. Et il ne s’embarrasserait pas de la vie d’un Personnage tel que vous, si vous deveniez subitement trop curieux. 
—  Tel que moi, que voulez-vous dire ? 
—  Un Personnage secondaire, si vous préférez… Dans sa vision des choses, vous n’êtes, comme qui dirait, qu’un figurant… Un antagoniste de seconde zone. Il vous éliminerait sans scrupules, croyez-moi ! 
Crochetrain la regarda bien en face. Son ton plein d’effroi et la conviction avec laquelle elle appuyait ses dires l’ébranlèrent l’espace d’une seconde.
Psychœ était très belle, avec une touche d’enfance baignant ses grands yeux bleus.

Vous dites des sornettes ! lâcha-t-il enfin. Savez-vous au moins vous-même de quelle affaire il s’agit ? 
Psychœ trembla un peu, ses pupilles s’embuèrent, elle semblait chercher avec peine des mots qui ne voulaient pas sortir.
Sa pudeur naturelle livrait un combat à la nécessité de l’instant.

—  Il y a, finit-elle par dire, quelqu’un qui compte beaucoup pour moi. Et qui risque sa vie…
Se méprenant, Crochetrain bomba le torse avec orgueil.
—  Vos sentiments sont fort impulsifs ! gourmanda-t-il.
—  Non, non. Il ne s’agit pas de vous, bien entendu, corrigea Psychœ en le regardant à peine, voyez-vous, même après ce qu’il m’a dit, s’il lui arrivait quelque chose… je… je ne me le pardonnerais jamais. 
Deux larmes roulèrent sur ses joues et s’écrasèrent dans la poussière du sol.
—  Ne pleurez pas, je vous en prie, supplia Crochetrain, cette pièce est bien assez humide ! 
Psychœ lui sourit à travers ses sanglots.

—  Vous êtes un brave homme ! lui lança-t-elle avec reconnaissance.
— Oh, pas toujours, répondit-il, modeste.
— Si vous voulez faire quelque chose pour moi, haleta-t-elle, laissez-moi partir ! Je dois le rejoindre, tout lui expliquer, me faire pardonner.

Je ne dis pas non, répondit Crochetrain, peu enthousiaste, mais de qui s'agit-il ? 
Psychœ était loin de se douter que lorsque l’enquête atteignait un certain niveau, elle privait l’inspecteur de ses capacités, aussi poursuivit-elle avec confiance :
— Il s’agit du nain jaune. 
—  Oui, oui, oui… grimaça Crochetrain en branlant la tête.

C’est facile pour vous.
Que dois-je faire au juste ?
Ne pas me regarder lorsque je vais filer par l’issue de secours.
Fort bien, dit Crochetrain, tandis que d’un geste peu discret il lorgnait le plafond, je commence déjà à m’entraîner.
Psychœ sentit qu’elle avait gagné la partie haut la main.

Je ne peux pas rester trop longtemps, se justifia Crochetrain, car je préfère que personne ne sache que je suis venu vous voir. Je vous souhaite bonne chance.
— Merci, dit Psychœ dans un souffle, merci pour tout ! 
Crochetrain sortit de la geôle et, en faisant jouer la clef, referma la porte à double tour.
Le poing fermé du père chétif l’atteignit alors en plein visage !