Editions de l'Abat-Jour

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Dans les épisodes précédents :
Quatre protagonistes : Psychæ, le nain jaune, Psychœ et le Révérend foncent à toute vitesse vers la Convention où un certain Gotzbenglutz harangue le public.

Palais des progrès...

— Compagnons, il faut immédiatement transformer ce roman ! hurlait Gotzbenglutz. Seul le changement nous apportera la pérennité.

Son discours semblait faire mouche. Énormément de représentants applaudissaient.

— Dans notre urgence romanesque, il n’y a qu’une seule chose qui compte, poursuivit-il, c’est la bouffe ! Il est plus que temps de partager le gâteau.

— Bravo ! criaient à tue-tête tous les Personnages.

Mal dissimulés derrière la colonne de Phocas, Varquin et Sapignac digéraient mal l’intervention du nouveau héros.

— Cet abruti monopolise toute l’attention, déplora le président. Au téléson, on ne parle plus que de lui.

— C’est très bien joué, reconnut le jurisconsulte, les gens adorent les émissions culinaires.

— Comment peut-on mettre la politique et la cuisine sur un pied d’égalité ? C’est inimaginable.

Une fois de plus, la bande-son du Palais des progrès était au-dessous de tout : des cris stridents ; des hennissements ; des pétarades : des bruits de bottes de carottes…

La Colonne de Trajan offrait un abri efficace au magnat des chemins de fer et au maître du Métapoly.

Ce dernier exultait.

— Ça marche !

— Et mon plan super-Bolzaire ? questionna égoïstement le magnat. Avez-vous avancé sur ce projet ?

— Plus tard, répondit Bougebouche, il faut d’abord mater l’insurrection. Quand j’y serai arrivé, je m’occuperai de vous.

Contrarié, Bolzaire fronça le nez, les sourcils et les oreilles.

— Comment allez-vous vous y prendre ? Il me semble que ce métèque draine une foule d’admirateurs. Vous voulez terminer votre carrière coiffé d’une toque de cuisinier ?

— Mais non, dit Bougebouche en haussant les épaules. Nous allons l’éliminer, bien entendu. Lui et tous ses aficionados. Vous n’avez rien contre le fait de faire un peu de ménage ?

— Oh, moi je m’en fous ! Mais ça ne va pas vous attirer des amitiés.

— Ah, quand on m’attaque, mon empirisme contre-attaque !

Le brouhaha redoublait.

Il y avait, dans l’air, le même genre de vibrations que celles que l’on peut voir au-dessus d’un volcan.

— Compagnons, le pouvoir nous a pris en sandwich ! vociférait Gotzbenglutz. Nous devons en sortir. La précarité est omniprésente. Les dirigeants sont omnipotents. Une seule méthode : tout comme le voulaient les Jacobins, il nous faut des « acteurs nouveaux », eugénistes et éco-responsables. Des Personnages qui n’ont pas peur de mettre les pieds dans le plat !

— Hourra ! Bon appétit ! Vive le Labyrinthe !

Médusé, le président tapotait la colonne avec ses doigts gourds.

— Je ne comprends pas. Voilà qu’il attaque Bougebouche à présent.

— Et alors ? philosopha Sapignac. Ça fait bien nos affaires, non ?

— Je ne sais pas, hésita Varquin, il y a quelque chose qui cloche. Regardez…

Le conseiller leva les yeux.

Immobiles, silencieux, mais toujours menaçants, des dizaines d’Hommes de Cuc étaient répartis sur les balcons, les loggias et les mezzanines.

Le vacarme s’amplifiait d’expressions de soulagement. À la perspective d’avoir leur pain quotidien garanti, plusieurs représentants dansaient la Carmagnole. Certains se dénudaient de joie.

— Ça empire, pasticha Bolzaire, il ne manque que Bonaparte.

— Patience, rassura Bougebouche, hermétique à l’ironie, ils seront liquidés dès ce soir.

— Je ne comprends pas, dit Bolzaire, ce bouffon rallie déjà pratiquement toute la Convention. Comment allez-vous faire ?

— Mais nous les brûlerons, promit Bougebouche avec une simplicité benoîte.

— Les brûler ?

— Oui, avec un modèle de supprequin inédit.

— Vous n’avez pas peur de foutre le feu au roman ?

— Non, non, aucun danger. C’est un modèle très sécurisé. Maintenant, il va de soi que nous allons faire croire à tout le monde que les tueurs sont des gens qui sont opposés à la politique anticonformiste de Gotzbenglutz.

— Ah bon ? s’étonna le magnat.

— Et au moment du châtiment, nous désignerons comme responsables du massacre des gens qui sont précisément favorables à Gotzbenglutz.

— Ça devient compliqué, dit Bolzaire.

— Compliqué mais imparable, ricana Bougebouche en dévoilant ses dents jaunies.

Au perchoir de la Convention, inconscient du danger, le nouveau protagoniste semblait plus inspiré que jamais :

— Compagnons, la moutarde nous a suffisamment monté au nez ! Nous allons créer, dans un esprit de collectivité, les millions de rôles d’une gastronomie moderne. Cette nouvelle répartition sera un retour aux origines du métier de Personnage. Avec nos recettes, nous allons créer un livre à longue portée. Un livre que l’on garde et qu’on ouvre souvent.

— On dirait de l’antitexte, grommela Bolzaire.