Cubu – Albert Spongia (1974-2011)
Le mythe des Frères Cube prendra la dimension du martyre avec l’assassinat de Cubu, abattu froidement devant son hôtel par un maniaque déséquilibré (1).
Son décès apportera une réponse définitive à la question lancinante qui défrayait les chroniques de l’époque : « Quand retrouverons-nous enfin l’état de grâce qui nous permette de croire que l’enthousiasme de la jeunesse peut parvenir à subvertir une société technocratique ? ».
Cubu était indéniablement un intellectuel de gauche, très bavard, dont la silhouette, barbichette et monocle, se gravait tout naturellement dans les mémoires.
Son physique exceptionnel le destinait tout naturellement à faire du cinéma. Il fut pressenti par Jeffrey Boëlin pour incarner à l’écran le fameux capitaine Sproncques dans le film-culte Pas ce soir chérie, où on le voit donner la réplique imparable à Doris Voom :
― Désolée, je ne peux pas coucher avec un type en smoking.
― Ah ? Combien de types faudrait-il ?
Boëlin raconte :
Je voulais un capitaine Sproncques sobre et presque désillusionné. On venait de maquiller Cubu et je commençai à le filmer de dos, jusqu’à ce qu’il se retourne lentement, pour faire face à la caméra. C’était lui ! C’était Sproncques tout craché !
Parmi ses nombreuses trouvailles on épinglera immédiatement ses extraordinaires Alcooliques notoires, qui reflètent fidèlement les prises de position radicales qui préludèrent à cet homicide.
Beaucoup lui reprochèrent d’avoir tout simplement déterré des blagues qui avaient cours au temps de la prohibition. Il n’en reste pas moins vrai qu’elles sonnent aujourd’hui à nos oreilles comme son véritable testament.
Dangereuse récidive
(Nous sommes dans les célèbres locaux des « Notorious alcohol… hic », les Alcooliques Notoires. L’insigne animateur : Cubu, par ailleurs membre d’honneur de la Ligue, préside à la réunion hebdomadaire.)
Cubu :
― Alors, Monsieur Dutonneau, racontez-nous un peu, que s’est-il passé ?
Monsieur Dutonneau :
― Eh bien, hier j’ai lamentablement craqué…
Cubu :
― Je vous en prie, allez-y, épanchez-vous Monsieur Dutonneau, parlez ! Quelque part, vu que nous sommes tous là pour ce genre de problèmes, nous sommes de tout cœur avec vous… N’est-ce pas, mes amis ?
Tous les membres (en choeur) :
― Oui ! Oui !
Monsieur Dutonneau :
― Heu… Bon d’accord. Heu… Eh bien, hier…
Cubu :
― Oui ?
Monsieur Dutonneau :
― Hier, je… J’ai… C’est horrible ! Je suis un misérable, je…
Cubu :
― Non, non vous n’êtes pas un misérable, Monsieur Dutonneau. Je sais que c’est dur, et même très dur. Ce que nous faisons ici n’est pas facile, croyez-moi, et votre pudeur est légitime. Mais allez-y, je vous en prie, dites-nous tout.
Monsieur Dutonneau :
― Eh bien hier… Oh, mon dieu… c’est affreux…
Cubu :
― Parlez sans crainte.
Monsieur Dutonneau :
― Hier, une fois de plus… Je n’ai pas su boire !
Tous les membres (en choeur) :
― Houuuuu !
Monsieur Dutonneau :
― Je… En fait, j’ai carrément été malade… J’ai vomi !
Tous les membres (en choeur) :
― Houuuuu ! Houuuuu !
Monsieur Dutonneau :
― Et j’ai l’impression que désormais… je ne pourrais plus jamais avaler une goutte d’alcool de toute ma vie…
Cubu :
― Hum, voyons… Il s’agit là d’une rechute très sérieuse, Monsieur Dutonneau, en êtes-vous bien conscient ?
Monsieur Dutonneau :
― Oh oui ! Heu… j’ai… J’ai honte ! Oh comme j’ai honte !
Cubu :
― Une rechute à laquelle je ne vois malheureusement qu’un seul remède, n’est-ce pas mes amis ?
Tous les membres (en choeur) :
― L’entonnoir ! L’entonnoir !
(Cubu, Les Alcooliques notoires, Éditions du Fion)
Ou peut encore évoquer ses délires avec l’inénarrable Cubo, dans leur célèbre Hammer and asshole. :
― Je peux vous dire un mot ?
― Bien sûr, de quoi s’agit-il ?
― Eh bien, ce sont des sons qui servent à définir des choses… ou des êtres… mais ne détournez pas la conversation !
Mais le meilleur reste encore et pour toujours son fameux Notorious alcohol… hic.
Je ne résiste pas au plaisir de vous en proposer une autre facette.
La Tragédie des Roulebille
(Nous sommes dans les locaux des Alcooliques Notoires. Cubu, par ailleurs membre d’honneur de la Ligue, préside une fois de plus à la réunion hebdomadaire. Le couple des Roulebille est incarné par Cubert et Cubo.)
Madame Roulebille :
― Mon mari et moi, nous avons découvert que notre fils ne boit pas, il fait semblant !
Monsieur Roulebille :
― Depuis des années, ce petit misérable nous joue la comédie.
Madame Roulebille :
― Quelle honte vis-à-vis de nos amis et de notre famille…
Monsieur Roulebille :
― Nous n’osons plus l’emmener nulle part…
Madame Roulebille :
― Puis toute cette hypocrisie dans la maison et tout ce va-et-vient de copains dans sa chambre…
Monsieur Roulebille :
― Quand on rentre à l’improviste, ils se précipitent sur leur verre.
Madame Roulebille :
― Alors que parfois, j’ai bien l’impression qu’il n’y a rien dedans.
Cubu :
― Dites-moi, lorsqu’il manifeste le désir de boire de l’alcool, votre fils ne montre-t-il pas un net penchant pour la vodka, ou encore pour le genièvre ?
Monsieur Roulebille :
― Tout à fait. Il ne veut que de l’alcool blanc : du rhum, de la vodka, du gin… Il prétend n’absorber que des alcools forts.
Cubu :
― Eh bien moi, j’ai la certitude que s’il agit ainsi, c’est pour pouvoir remplacer plus facilement l’alcool par de l’eau, voilà la vérité.
Madame Roulebille :
― On croit toujours que ça n’arrive qu’aux autres…
Monsieur Roulebille :
― Je n’aurais jamais imaginé que dans ma propre famille…
Madame Roulebille :
― Mon grand-père buvait, mon père buvait, jamais une telle chose ne s’était produite.
Monsieur Roulebille :
― Au début, on n’osait pas en parler, par peur du scandale.
Cubu :
― Écoutez, il y a peut-être une solution, introduisez donc à son insu un peu d’alcool dans sa nourriture : sauce au vin, sauce cocktail au whisky, et augmentez très progressivement la dose. Vous verrez qu’il reviendra bien vite à de meilleures dispositions, et que vous pourrez à nouveau être fiers de lui…
(Cubu, Les Alcooliques notoires, Éditions du Fion)
Cubu restera perpétuellement auréolé par cette espèce de cynisme à la fois égocentrique et bienveillant.
La mort violente, qui l’a emporté à 37 ans, en fera pour toujours une des figures de proue du comique universel.
― Encore un peu d’eau dans ton whisky, baby ?
― Blub !
― Vingt-quatre secondes.
― Quoi, vingt-quatre secondes ?
― C’est le temps que je mets à m’emmerder avec vous !
(Frères Cube, Pas ce soir chérie)
Cubu raconte :
Je voyageais, je ne sais plus pour quelle raison, en compagnie de Patrice Tounet et de Théophile Doumonga, le célèbre partenaire de Vampierre, lorsque Patrice entreprend de lui raconter la blague de « Pincemi et Pincemoi sont sur un bateau ». Comme Doumonga ne trouvait pas la réponse, Patrice s’énervait :
― Allons Théo, Pincemi tombe à l’eau. Qui est-ce qui reste sur le bateau ?
Doumonga hochait dubitativement la tête, perdu dans des abîmes de réflexion ; à la fin, Patrice n’en peut plus et il lâche :
― Mais c’est Pincemoi, idiot !
Je vois alors Doumonga lui pincer le nez entre ses ongles de façon si cruelle que Patrice Tounet hurlait dans les aigus. Cela dura un temps fou. Patrice se débattait, se démenait, poussait des cris horribles, pleurait du sang.
J’étais littéralement tordu de rire !
(Un des passagers au capitaine Sproncques) :
― Vous êtes formidable, capitaine.
― Vous parlez sérieusement ?
― Bien sûr.
― Vous pensez réellement ce que vous dites ?
― Oui.
― Vous trouvez que je suis un type formidable ?
― Oui. Non, vous avez raison.
(Frères Cube, Pas ce soir chérie)
1 Ce crime, que l’on devait appeler « l’attentat Derwa », fut perpétré par un dénommé Christian Derwa, furieux de ne pas pouvoir rester indifférent à l’apologie de l’alcool que faisait Cubu dans ses Alcooliques notoires. La complexité de Derwa, silhouette fidèle des rieurs et véritable paradoxe vivant (il avait décidé de ne plus jamais rire), sonna le glas des Hoho’s. Si l’on désire en savoir plus sur Derwa et ses motivations, un excellent livre, signé Jules Cuit, a été consacré à sa personnalité compliquée.
Georgie de Saint-Maur