Patrice Tounet (1962-2048)
Célébrissime plaisantin, Patrice Tounet travailla principalement avec Pascal Pied pour l’insigne revue de la Poêle à rire où il animait, hebdomadairement, « Les Rendez-vous sans conditions ».
Avec ses amis farceurs, il réinventa la « littérature de buvette », des estaminets, du voisinage de la vraie vie, de la félicité, de la courtoisie, de l’inventivité et des lieux d’amitié, « les potes first », Aquaphobes et habitués de La Poêle.
Nous ne résistons pas au plaisir de vous présenter le plus célèbre de ses sketches.
Max Alanus lui donne la réplique dans le rôle de Sproutchsky.
Le Livre du mois
Patrice Tounet :
― Nous recevons ce soir Lazlo Sproutchsky, l’auteur du célèbre roman « L’horaire des autobus », qui vient de sortir en librairie. Alors, Monsieur Sproutchsky, tout de suite une anecdote : vous nous dites que ce livre a bien failli s’appeler, en réalité, « L’horaire de l’autobus » ?
Lazlo Sproutchsky :
― Oui, tout à fait. Voici comment les choses se sont passées : j’attendais le bus n°4 depuis vingt bonnes minutes, lorsque j’ai eu l’idée de réécrire sous la forme d’une courte nouvelle plusieurs séries d’horaires qui me convenaient mieux… Et j’avais intitulé ce travail: « L’horaire de l’autobus ».
Patrice Tounet :
― Voilà, oui, et ensuite ?
Lazlo Sproutchsky :
― Eh bien, à vrai dire, l’histoire aurait pu tout simplement en rester là… Je ne me rendais pas encore bien compte de la portée de mon idée…
Patrice Tounet :
― Oui. Et que s’est-il passé ?
Lazlo Sproutchsky :
― Eh bien, le jour même, mais un peu plus tard, une sorte d’illumination s’est emparée de moi alors que j’attendais la correspondance du 76…
Patrice Tounet :
― Ah, les mystères de la création, quelle histoire magnifique ! C’est presque un état de grâce que vous nous faites partager là.
Lazlo Sproutchsky :
― Oui, alors voilà… Pourquoi, me suis-je dit soudain, ne pas étendre à tout le réseau, ce qui, au départ, n’était que le prétexte à une simple nouvelle ? Et c’est ainsi qu’est né mon roman de 182 pages que j’ai dès lors intitulé « L’horaire DES autobus » !
Patrice Tounet :
― Incroyable… Votre livre, du reste, est merveilleusement documenté. Tout y est consigné avec une précision diabolique : les départs du dépôt, les arrêts aux stations, les arrivées au terminus… Dites-moi, tout cela représente un vrai travail de bénédictin…
Lazlo Sproutchsky :
― Oui ! En effet… Je voulais que mon roman « colle » le plus possible à la réalité… C’est aussi pour cela que j’ai choisi de le publier au même format et avec les mêmes coloris que les horaires de la compagnie des autobus.
Patrice Tounet :
― Compagnie qui, du reste, vous intente un procès, paraît-il ?
Lazlo Sproutchsky :
― Oui, mais n’oubliez pas qu’ils ont brûlé Galilée ! Il y aura toujours des grincheux pour critiquer les initiatives… Mais j’ai confiance et je pense qu’un jour, malgré tout, la postérité me rendra justice…
Patrice Tounet :
― Tout à fait. Car il faut bien dire que nous sommes ici en présence d’un des ouvrages les plus marquants dans le domaine de la fiction… On y voit des autobus arriver et partir à l’heure qui vous convient… Tout cela dans une ambiance conviviale et bon enfant…
Lazlo Sproutchsky :
― Oui, je voulais que cela soit écrit dans un style joyeux et léger. Ce qui n’a pas toujours été facile puisque, finalement, on ne peut guère qu’aligner des chiffres dans des colonnes…
Patrice Tounet :
― En ce début de siècle, certains critiques voient en vous un des meilleurs espoirs littéraires… Dites-nous, avez-vous d’autres projets d’écriture ?
Lazlo Sproutchsky :
― Eh bien, héhé… Mais que cela reste bien entre nous, n’est-ce pas ?
Patrice Tounet :
― Nous sommes à la radio, Monsieur Sproutchsky.
Lazlo Sproutchsky :
― Un autre roman plus fou, plus ambitieux encore… « L’horaire des trains ».
Patrice Tounet :
― Il me reste à vous remercier d’avoir bien voulu accepter notre invitation et d’avoir si gentiment répondu à toutes nos questions.
(Patrice Tounet, Les Rendez-vous sans conditions. Éditions de la Grande)
Patrice Tounet raconte :
Nous étions vraiment une joyeuse bande. Toujours prêts à nous amuser.
Simplex portait inlassablement en bandoulière une sacoche en croco. Théophile Doumonga, le plus farceur d’entre nous, s’était procuré un petit crocodile vivant qu’il avait subrepticement glissé dans le sac. Inquiet de voir sa sacoche bouger, Simplex y plongea la main.
Le crocodile lui arracha l’auriculaire.
― Le c’ocodile va sû’ement s’en fai’e un sac, conclut Doumonga, hilare.
Nous étions morts de rire. Simplex lui-même, malgré la douleur, pétait de joie.
Georgie de Saint-Maur