Vampierre – Jean-Pierre Van de Poêle (1953-2004)

 

 

Humoriste de premier plan, il se distingua principalement, avec son complice Théophile Doumonga, dans de fausses émissions radiophoniques où la loufoquerie le disputait aux calembours.

Qui ne se souvient de leur célèbre « Comment vas-tu–yau de Poil de terre ? », réplique-canular moquant le célèbre établissement de Fernand Bide ?

 

Il fut pourtant, au départ, un animateur radio connu sous le nom de Jean-Pierre.

Réputé pour sa singulière manie des taxis, il lui arrivait d’en prendre une cinquantaine par jour ; se faisant conduire dans les endroits les plus saugrenus, il refusait toujours de payer la course et ne dévoilait qu’au tout dernier moment son identité.

À ce sujet, il raconte souvent l’anecdote suivante : après s’être fait nuitamment mener jusqu’aux hangars du quai 22, un endroit particulièrement retiré et lugubre, il refusa, comme à son habitude, de s’acquitter du montant indiqué par le compteur.

Le chauffeur, un colosse africain, devenant rapidement nerveux et agressif, il lui dit simplement : « Mais mon ami, je suis Jean-Pierre ».

Malheureusement, cette annonce ne produisit pas l’effet escompté.

Visiblement, l’homme ne reconnaissait pas son passager et allait jusqu’à douter de ses vertus comiques. Il fallait à tout prix le convaincre, car Vampierre n’avait pas un sou sur lui !
Ah, c’est un régal de l’entendre lui-même décrire ce pauvre chauffeur médusé de le voir déboutonner sa braguette en entonnant Le petit oiseau va sortir, la chanson générique de son célébrissime sketch du photographe.

Déculotté et laissé pour mort au bord de la route, il fut découvert et recueilli par un équipage de marins en bordée. Ces derniers, pour le réconforter, l’emmenèrent s’enivrer de force dans les plus infâmes caboulots du port où il passa la nuit à brailler son nom et à réclamer des soins.

 La légende Vampierre était née.

 

― Je suis enceinte, Louis.

― Mais tu m’avais dit qu’on t’avait ligaturé les trompes !

― Je t’ai menti.

― Eh ben, c’est vraiment des trompes de salope !

(Vampierre, 100 blagues, Éditions du Cortex)

 

 

Le poète Léon Deveau

  

Vampierre :

À l’occasion de cette émission spéciale, toute entière consacrée à l’œuvre de Léon Deveau, nous recueillons ce soir le témoignage d’Eugène Jambu, de l’Académie Française, qui durant toute sa carrière s’est illustré à travers les nombreux ouvrages qu’il a consacrés au célèbre poète. Alors, Monsieur Jambu, sans plus attendre, vous avez eu l’opportunité rarissime de vous intéresser à l’œuvre de Léon Deveau dès ses premiers écrits, dès la maternelle, nous avez-vous dit ?

 

Eugène Jambu :

Oui.

 

Vampierre :

― Racontez-nous cela. Selon vous, Deveau aurait été, parait-il, étonnamment précoce. Vous pensez même que ses travaux étaient déjà intéressants alors qu’à peine âgé de dix ans il écrivait des poésies ? Des comptines plutôt ?

 

Eugène Jambu :

― C’est tout à fait exact. J’ai été très surpris par le niveau de sagesse exceptionnel dont faisait preuve Deveau à cet âge-là, surtout lorsque j’ai découvert une de ses toutes premières poésies : Boudin blanc, apparemment dédiée au boucher de son quartier, et que je vais vous lire, si vous le voulez bien ?

 

Vampierre :

― Mais comment donc. Bien sûr ! Allez-y, je vous en prie.

 

Eugène Jambu :

― « Une seule rondelle ? Vieux grippe-sou, va ! »

 

Vampierre :

― C’est magnifique comme ce petit morceau de bravoure qui, somme toute, n’est qu’un péché de jeunesse dans tous les sens du terme, reflète si bien toutes les frustrations de l’enfance.

 

Eugène Jambu :

― Oui, Deveau a toujours su « coller » à la réalité…

 

Vampierre :

― Comme lorsque viendra l’adolescence avec son cortège de séditions et de folles rébellions, et des poèmes plus engagés tels que Saucisson.

 

Eugène Jambu :

― Oui. Quelques vers pourtant très simples et très directs, mais qui traduisent si bien le côté singulièrement insoumis de Deveau. Écoutez plutôt : « Deux cents grammes de saucisson à l’ail pour six euros cinquante ? Filou ! Escroc ! ».

 

Vampierre :

― Ensuite, parvenu à l’âge adulte, son style acquiert enfin la maturité que nous lui connaissons. C’est à ce moment-là qu’il nous livre chef-d’œuvre sur chef-d’œuvre.

 

Eugène Jambu :

― En effet… Et cette fois, c’en est bien fini avec les courtes tranches et les rondelles mesquines. Et plus question de grammes non plus. Non, non, Deveau passe carrément au kilo !

 

Vampierre :

― Comme dans le célèbre Blanquette de veau ?

 

Eugène Jambu :

― Exactement. Un savoureux morceau éponyme qui à l’époque, souvenons-nous, choqua profondément le public. On ne peut qu’être abasourdi par la lucidité de Deveau et par la force de son message… Jugez-en : « Cinquante-neuf euros pour un kilo de blanquette ? Bande de voleurs ! »

  

Vampierre :

― Eh oui, toute sa vie Deveau aura vécu la dure prise de conscience du créateur. Et il suivra, de façon exemplaire, la voie de tous ceux qui auront marqué leur époque et que ce siècle ne manquera pas d’honorer…

 

Eugène Jambu :

― Tout à fait, puisque parti de rien, il n’aboutira nulle part, et qu’à la fin de sa carrière ses poèmes lui vaudront de nombreux procès en diffamation.

 

Vampierre :

― Nul n’est prophète en son pays.

 

Eugène Jambu :

― Un des sommets de son œuvre reste Jambonneau, mon préféré, que je vous livre ici, en guise de conclusion; et qui témoigne à lui seul, de tout le chemin prodigieux franchi par le poète : « Du jambonneau à ce prix-là ? Appelez-moi tout de suite le gérant ! ».

 

(Vampierre, Vampierre qui roule, Éditions de la Grande)

 

 

Georgie de Saint-Maur