Le Poil de terre

 

Établissement fondé par Fernand Bide.

 

Ancienne fabrique de dindons farcis, le bâtiment fut rapidement investi par Bide et ses amis en quête d’un auditoire.

Il faut s’imaginer une gigantesque salle de style rococo, bordée de niches en stuc, de palmiers en pots et de lourdes tentures pourpres.

L’enseigne ? Frappée à l’effigie des deux masques grecs de la comédie et de la tragédie : le premier bottant, pour ainsi dire, les fesses du second !

 

Les anecdotes fleurissaient comme pâquerettes dans les prés, et on se souvient encore de Gonzales, le barman du Poil de terre.

L’homme avait mis au point un numéro de lancer de couteaux.

Le clou de son spectacle était de parvenir à toucher le centre d’une cible tout en ayant les yeux bandés.

À chaque fois qu’il se bandait les yeux, la plupart des clients partaient sans payer.

 

Bide était un ancien ténor du barreau reconverti dans la plaisanterie. Il avait réussi, nul ne sait comment, à persuader une poignée de ses anciens collègues à investir dans le cabaret-théâtre et plus particulièrement encore dans les spectacles comiques…

Le nom qui sonnait de façon si étrange aux oreilles des habitués lui avait été suggéré par la fameuse boutade comment vas-tu-yau de poêle ?

Le public, avide de bons mots, se pressait tout naturellement autour d’un tel millésime.

Un à un, les actionnaires se détournèrent du métier d’avocat pour vivre essentiellement de leurs rentes. Le Poil de terre connut un succès qui ne se démentit jamais et ces heureux associés purent se vanter d’avoir fait dans cette branche un des choix les plus heureux de leur vie.

 

L’équipe du Poil se composait des plus fameux humoristes de leur temps, et on peut tout naturellement y épingler des personnalités telles que Vampierre ou Théophile Doumonga

Tout ne fut pourtant pas aussi simple ; au début, le public bouda longtemps la Compagnie du Poil. Ce n’est qu’après un travail acharné et d’incessantes invitations à la presse que, peu à peu, Vampierre sortit du lot.

On lui trouvait un tel esprit que seule Patouche (de loin plus connue) pouvait prétendre rivaliser avec lui.

Vampierre s’était fait une spécialité de pasticheur. Son plus fameux sketch, celui du Photographe, débutait toujours par une rengaine ultra-connue, qu’il braillait d’une voix nasillarde. Cela suffisait, déjà, à faire naître sourires et pouffements.

 

Le Poil de terre resta longtemps un des endroits les plus à la mode de l’Avenue, avant de sombrer dans l’oubli. Le décès inopiné de Fernand Bide fut, plus que probablement, à l’origine de cette désaffection.