Jack l’Éventail

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Une enquête du célèbre commissaire Bourresifflet

Drame en quatre actes de Rodez-Limpeau.

Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :
- l’inspecteur Février
- l’inspecteur Jacquemort
- le commissaire Bourresifflet
- Jeanne Soupirail

*

Acte I

Dans les locaux de la PJ, l’inspecteur Février et l’inspecteur Jacquemort prennent connaissance d’une missive.

L’inspecteur Février (lisant) — Hum, voyons un peu ce billet : « Vous ne m’attraperez jamais. Je resterai un mystère, tire-lire-lère. Et vous de gros lourdauds, tire-lire-lo. ».
L’inspecteur Jacquemort — Qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
L’inspecteur Février — Ah oui, c’est vrai, tu es nouveau dans le service, Jacquemort. Eh bien, cela fait bientôt une semaine que ce tueur en série nous nargue en nous envoyant un courrier semblable avant chacun de ses meurtres.
L’inspecteur Jacquemort — Un tueur en série ?
L’inspecteur Février — Oui. Il a déjà tué sept femmes dans la rue des Chardons.
L’inspecteur Jacquemort (pensif) — Bigre, déjà que le chiffre 7 est franchement allégorique, mais en plus, si ça se passe dans une rue dont le nom symbolise les souffrances terrestres endurées après l'expulsion du Paradis, je ne te raconte pas la coïncidence… Sept femmes, dis-tu ? Et toutes dans la même rue ?

L’inspecteur Février — Oui. D’ailleurs, c’est probablement un habitant du quartier.
L’inspecteur Jacquemort — Possédons-nous des indices ?
L’inspecteur Février — Bah, c’est probablement une espèce d’aliéné. Il signe ses lettres « Jack l’Éventail ».
L’inspecteur Jacquemort — Ah ?
L’inspecteur Février — Oui, sans doute à cause de son modus operandi : un éventail.
L’inspecteur Jacquemort — Un éventail ? Mais c’est une arme de gonzesse, ça !
L’inspecteur Février — Tiens, oui, c’est vrai. Je n’y avais jamais pensé.
L’inspecteur Jacquemort — Et que sait-on de plus ?
L’inspecteur Février — Bof, pas grand-chose, à part que ce meurtrier est hyper bien renseigné sur l’avancée de notre enquête. Il sait à quel moment nous sommes en faction, il connaît tous nos horaires et tous nos itinéraires de ronde.
L’inspecteur Jacquemort — Comme c’est curieux… un peu comme s’il faisait partie de la police, en somme ?

L’inspecteur Février — Ah oui. Je n’y avais jamais pensé.


Acte II

L’inspecteur Février — Cette fois, les deux seins ont été mutilés et le foie a été placé à côté de l’intestin, patron.
Le commissaire Bourresifflet — Épargne-moi ce genre de détail, tu veux bien ? Tu ne vois pas que je suis en train de manger des friandises ?
L’inspecteur Février — Excusez-moi, patron, mais tout cela figurera de toute manière dans le rapport d’autopsie.
Le commissaire Bourresifflet — Ouais, je sais. Je ne les lis plus. De toute façon, ce type les équarrit à chaque fois comme du bétail.
L’inspecteur Février — Vous dites ce type, mais ne croyez-vous pas qu’il pourrait s’agir d’une femme, patron ?
Le commissaire Bourresifflet — Pourquoi une femme ? Quand un assassin dispose artistiquement les organes de sa victime entre ses jambes, comme s’il s’agissait d’une composition florale, moi je me fiche royalement de savoir son sexe. Pas toi ?
L’inspecteur Février — Oui, mais c’est parce que cela pourrait orienter toutes nos recherches, patron.
Le commissaire Bourresifflet — Hmm, c’est exact. Tu as raison, on est toujours trop con avec les femmes.


Acte III

Jeanne Soupirail — Bon, au nom du ciel, commissaire, expliquez-moi ce que je fais ici. De quoi suis-je accusée ?
Le commissaire Bourresifflet — C’est très facile, madame, vous vous appelez bien Jeanne Soupirail, trente-quatre ans, marchande de charbon, domiciliée 7, rue des Chardons ?
Jeanne Soupirail — Heu… Oui, c’est bien cela, en effet.
Le commissaire Bourresifflet — Savez-vous comment on appelle le tueur dégueulasse de la rue des Chardons ?
Jeanne Soupirail — Non.
Le commissaire Bourresifflet — « Jack l’Éventail » ! On l’appelle comme ça parce qu’il dispose esthétiquement tous les organes entre les jambes de ses victimes.
Jeanne Soupirail — Quelle horreur !
Le commissaire Bourresifflet — Qu’est-ce que vous dites de cela ? Hein ? Ça vous la coupe ? Ah non, c’est vrai, vous n’en avez pas.
Jeanne Soupirail — Mais en quoi cela me concerne-t-il, je vous prie ?
Le commissaire Bourresifflet — En quoi ? Écoutez-moi bien : éventail, soupirail… Ça ne vous saute pas aux yeux ?
Jeanne Soupirail — Commissaire, vous n’allez quand même pas…
Le commissaire Bourresifflet — Et la rue des Chardons, hein ? Chardons, charbon…
Jeanne Soupirail — Mais c’est tout à fait ridicule, je…
Le commissaire Bourresifflet — Et les victimes, hein ? Sept victimes, alors que vous avez trente-quatre ans. Or, par la réduction cabalistique, 3 + 4 = 7. Qu’en pensez-vous maintenant ? Moi, mon opinion est faite !
Jeanne Soupirail — Je veux immédiatement parler à un avocat.
Le commissaire Bourresifflet — Un avocat, en cette saison ? (éclats de rire du public)


Acte IV

Le commissaire Bourresifflet — On vient de boucler cette salope de Soupirail, trop d’éléments à charge. L’affaire est close.
L’inspecteur Février — Bonne nouvelle patron, mais… excusez-moi, vous n’auriez pas vu le nouveau, par hasard ?
Le commissaire Bourresifflet — Quel nouveau ?
L’inspecteur Février — Eh bien, ce nouvel inspecteur, Jacquemort, que nous a dépêché la DST…
Le commissaire Bourresifflet — Je ne suis au courant de rien.
L’inspecteur Février — Un tout nouvel inspecteur qui était avec moi la semaine passée… Un grand maigre, livide, l’air sinistre…
Le commissaire Bourresifflet — On ne m’a signalé aucun nouvel inspecteur dans le service.
L’inspecteur Février — Oh, mais alors ce serait…
Le commissaire Bourresifflet — Ah non, ne commence pas à me casser les pieds avec ça, hein ?

RIDEAU

*

La critique de Jules Cuit

Il est notoire que l'éventail fut utilisé comme arme dans certains arts martiaux chinois. Il est notamment présent dans le taiji shan lié au tai-chi-chuan.
Et pourtant, lors de sa sortie,
cette petite pièce de Joseph Rodez-Limpeau fut violemment critiquée par la firme de fabrication d’éventails à palmettes Jenny Lind, qui entama toute une série de poursuites judiciaires.
Rodez-Limpeau nous montre ici, avec pertinence, l’avantage patent d’un cheval de Troie, et l’incapacité de la police à résoudre des affaires souvent très simples. Si Bourresifflet se perd, pour le plus grand plaisir des spectateurs, dans la paronomase, le sujet, il faut bien le dire, est particulièrement bien développé. Juste assez pour nous permettre de faire des déductions paresseuses et de tirer des conclusions donquichottesques.
Rappelons enfin, pour l’anecdote, que tous les collègues du Théâtre de l’Égout, et notamment Simon Persavet qui s’était taillé un costard dans l’interprétation du bougon et subtil commissaire, étaient présents lors de la première.

*

Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?

À quel animal vous fait penser le commissaire Bourresifflet ?
A-t-on sous-estimé la dimension spirituelle de l’œuvre de Rodez-Limpeau ?
Tous les policiers sont-ils des imbéciles (donnez des exemples) ?

Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !