Critique d’« Hirondelle ou martinet ? » de Serge Cazenave-Sarkis
Hirondelle ou martinet ? est un livre de nouvelles un peu noires, un peu jaunes, au style simple et direct qui laisse d'abord entrer le lecteur sans rien lui demander. Ce n'est qu'ensuite (mais très vite) qu'on se rend compte du tableau : les personnages de ce livre sont tous des monstres et pourtant cette monstruosité ne nous tient pas à distance car il devient vite clair qu'elle est celle de tout le monde. Rien que des individus banals jusque dans leurs travers, leurs défauts, leur bassesse, dans ces pages. Certains sont méchants par ennui, d'autres par dégoût, d'autres encore par hasard ou par fatalité mais tous finissent par tuer ou faire le mal comme on se fait du café, avec une sorte de tranquillité ou de calme qui ne signifie rien, sinon peut-être que celui qui fait le mal n'est pas à la hauteur de ce qu'il fait, qu'il ne voit rien d'autre que son petit ego et s'offusque, en petit propriétaire de lui-même, de tout ce qui peut lui arriver.
Quelles sortes de monstres ? Une vieille qui tue (et fait s'entretuer sa famille) par dégoût de sa progéniture (Mme Jacket), un couple de pompiste dont l'homme séquestre une petite fille dans une ancienne cuve à essence (Les caresses), un homme qui tue deux adolescents pour venger l'humiliation de son fils (J'avais…) pour n'en citer que quelques-uns. L'auteur raconte cela dans une langue simple et alerte, non dénuée d'humour et ne fait aucune morale, ne juge personne. Tout est donné comme pris dans une logique, dans les hasards d'une vie ou les méandres d'une histoire que personne ne choisit. Les choses sont comme ça, on pourrait peut-être les changer (ça reste à voir) mais pas les juger, sinon d'un point de vue esthétique où l'humour noir serait le premier critère. Ces monstres sont des artistes au sens où « le Gonze » (le personnage de la nouvelle éponyme) l'entend : « Artistes, avons-nous choisi de l’être ? Et sinon, pour quelle raison le sommes nous devenus, et si nous le sommes devenus, n’est-ce pas que nous l’étions déjà ? Comme tout le monde, en émetteur-récepteur. Un peu plus récepteur que la moyenne, au début, et plus émetteur plus tard… Artiste n’est pas un métier ! Artiste doit rester une absurdité, une hardiesse ! Il n’y a pas de salaire au bout. Le bénef’ qu’apporte la création ne s’obtient qu’en provoquant l’accident, une grosse merde, quelque chose qui va nous déstabiliser et nous faire créer une monstruosité qui fera date dans l’histoire de l’art… ». Des artistes c'est-à-dire des individus lambda, peut-être un peu plus sensibles que les autres, qui, confrontés à l'absurdité de l'existence, au lieu de s'abstenir se voient contraints d'agir, « créer une monstruosité », provoquer « l'accident », la « grosse merde » déstabilisatrice. Aucun mérite et aucun travail dans tout ça, rien qu'une propension à la distraction, à l'absence. Ici, l'artiste est le spectateur de sa monstruosité en marche. Nul doute que s'il le pouvait il se condamnerait lui-même, non par narcissisme ou par rage d'autodestruction mais simplement par conformisme. C'est que le mal dont l'auteur décline le portrait dans ses nouvelles n'est en rien un acte mais la simple pente malheureusement naturelle du bipède sans plumes (un poulet plumé selon Diogène). L'auteur fait ainsi dire au même « Gonze » cette phrase de Gauguin : « Le métier vient tout seul, malgré soi, avec l’exercice, et d’autant plus facilement qu’on pense à autre chose que le métier » dans laquelle il suffit de substituer le mot mal au mot métier pour saisir ce dont, sous couvert d'humour noir et d'un grotesque assez exagéré, on nous entretient très simplement dans ces nouvelles.
Une fois le livre terminé, reste ouvert (bien que le ton du livre soit loin de mener le lecteur dans ce sens) le pourquoi d'une telle fascination pour le mal chez l'auteur. Est-ce parce que, comme il l'écrit, « l’âme n’existe que dans l’altérable et dans la multitude, dans l’errance. Dans le vivant qui pue ! Dans le grouillant… » ?
Samuel Dudouit