Position 33
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Dans les épisodes précédents :
Psychœ est face à face avec le père chétif.
Bureau de la police des insensés...
— Alors heureuse ? demanda le père chétif en faisant, avec sa pipe, des bulles de savon.
— Ce n’est pas la quête du bonheur qui m’amène ici.
— C’est vrai, j’oubliais, pardonnez-moi.
Psychœ se redressa dans toute sa splendeur.
— Oh, vous avez un fameux tatouage, constata le père chétif. C’est une fleur de lys sur votre fesse gauche ?
— Tout juste.
— Vous savez que c’est interdit ?
— Rassurez-vous, vous n’aurez plus jamais l’occasion de la revoir.
— À propos, ne remettez pas votre maillot, nous allons prendre ce monte-charge.
Psychœ jeta un regard méprisant vers le vieil ascenseur pourri.
— Même pas en rêve ! Je ne mets pas un pied là-dedans.
— Alors l’escalier de la cave suffira.
Une mauvaise lumière éclairait la scène. Une lumière qui n’avait pas les moyens.
Psychœ et le père chétif avançaient de conserve, mais une différence était simple à établir : dans tous ces couloirs crasseux, le père savait où il allait.
— Je ne veux pas vous décourager, mais je me dois de vous affranchir : le procédé n’a plus servi depuis longtemps. Les doubles ne sont plus très appréciés en littérature.
— Il y a des grincheux partout, blasonna Psychœ.
— Le problème provient surtout de la vétusté du procédé et de la niaiserie du syndrome « R ».
— Pourquoi ne l’aviez-vous pas dit tout de suite ? hâbla Psychœ.
Le père changea de conversation :
— Ah, nous y voici, fit-il semblant de se réjouir.
C’était une cellule sombre et grisâtre, au plafond bas. Le long des murs s’entassaient de méchants sacs dont suintaient, par les mailles du jute, une sorte de plastique mycovicidosieux.
Le sol, de terre battue, dégageait un puissant mélange de soufre et de moisi… Un véritable trou à rats !
Au fond de cette pitoyable déco, le père poussa d’une main ferme une vilaine porte écaillée sous laquelle dépassait un rai de lumière.
Ils entrèrent dans une pièce encore plus petite, où régnait un froid suffocant.
Accoudé à une table, un grand échalas tirait sur sa longue pipe et viciait l’air de son tabac brûlé.
Il tournait le dos à un œuf massif qui clignotait d’une pâle lueur.
— Voici l’Œuf itératif, présenta le père.
Il régnait dans cette pièce une lèpre indigente où se distinguaient des briques pourries.
— Et voilà l’inspecteur Crochetrain, réputé pour sa vigilance.
— Enchantée, dit-elle.
— Estime et jugulaire ! répondit Crochetrain, avec un automatisme qui n’attendait pas vraiment de réponse.
— Ne faites pas attention à lui, confia le père. On ne savait pas trop où l’affecter, alors il surveille l’œuf.
— C’est un nul ?
— Non, franchement c’est un bon inspecteur mais à condition que le cas soit simple.
Psychœ se sentait visqueuse, pleine de suée malsaine.
— Mademoiselle est ici pour se faire drageonner, expliqua le père à son subalterne, comme s’il s’adressait à un idiot.
— Ah bon ? répondit ce dernier en branlant la tête. Bien, bien. L’important, c’est sa résistance aux U.V.
Psychœ voyait se tordre des étincelles bleues et rouges. Elle les entendait craquer à blanc, remplir les lieux d’une clameur sourde, un tel concert de lamentations que l’on eût pu croire que l’œuf était vivant.
— Entrez ! lui dit le père chétif en utilisant l’impératif présent.
Crochetrain se leva pour lui ouvrir la porte et charger l’œuf en cellules souches.
— Ça va, mon vieux, vous savez encore le faire fonctionner ?
L’inspecteur fit une mise en garde :
— Il pourrait y avoir des troubles bipolaires.
— On lui filera du lévétiracétam.
Pour toute réaction à cet audacieux projet de traitement médical, Crochetrain referma le couvercle de la structure qui chanta plus fort encore.
La crasse asséchait la bouche de Psychœ.
Il faisait si froid à présent que ses cheveux semblaient s’embraser.
— De toute façon, il y aura asthénie du langage, certifia Crochetrain, en secouant un peu sa tignasse d’épouvantail.
Le père se mit en position de confession.
— Cette fille est en mission spéciale, révéla-t-il en dépit du bruit.
— Émission spéciale ? On a ça chez nous ?
— Oui, elle est ici pour me surveiller !
L’Œuf diploïde exécutait des analyses rapides. Les algorithmes des Dioscures, d’Hypnos et Thanatos, sans oublier ceux de Tweedledee et Tweedledum, crépitaient comme les touches d’une Remington Circa 1920.
— Vous verrez, encouragea le père chétif, un jour, à force de labeur et de zèle, vous aussi vous serez surveillé. Peut-être même assassiné.
— Ah, vraiment ? postula Crochetrain en cachant sa joie.
— Eh oui, dans la police des détraqués, c’est la contrepartie des privilèges.