Position 6

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Dans les épisodes précédents :
Afin d’empêcher que le roman ne devienne n’importe quoi avec l’introduction d’antitexte, Crevert le nain jaune et la belle inspectrice Psychœ ont été réquisitionnés par leurs chefs respectifs.
Mais pendant ce temps-là…


Cabinet du conseiller juridique Sapignac…


Voilà, tout est réglé ! J’ai décortiqué tous les procédés littéraires depuis le XIIe siècle (1) et nous ne pourrons absolument pas empêcher que la motion de l’antitexte soit votée.
Et vous appelez ça « réglé » ? se démoralisa le président Varquin.
Je vous assure qu’actuellement le Métapoly est constitutionnellement ludique et réflexif (2). Le maître Bougebouche respecte la Convention à la lettre.
Qui ? Bougebouche ? Mais quand il ne dit pas des conneries, c’est qu’il est en train d’en inventer.
Vous ne l’appréciez guère, président.
Mon cher Sapignac, vous auriez dû vous lancer dans une carrière de psychologue, vous me paraissez surdoué.
Le conseiller sourit devant cet éloge bien camouflé.

N’oubliez pas que, sans ce choix absurde, c’est moi qui devrais occuper le fauteuil du maître, rappela solennellement Varquin.
Oui, évidemment ça peut engendrer un certain ressentiment.
Ce Labyrinthe n’est pas assez grand pour nous deux !
Jolie formule.
Oui, dans certains cas, j’aime les phrases qui claquent comme des gifles.
Sapignac fit désagréablement gémir le cuir de son siège à roulettes.

En attendant, j’ai tout retourné dans tous les sens. Métapoly est bien lu individuellement et cherche un effet de réel.
C’est ce que je me tue à vous répéter : ça fait quarante ans que le ressort est la curiosité du Lecteur pour les Personnages. Bougebouche va désarticuler tout l’instrument. On ne peut pas tolérer cela.
Varquin n’était pas du genre à prendre des gants avec ses vassaux. Le fait que le Métapoly se déboutonne aggravait son ulcère.

Minute, dit Sapignac, il nous reste peut-être un modèle actanciel.
Eh bien, au moins vous avez un projet.
Non, je veux dire : dépassons l’idée de Personnages pour révéler les rapports structurels des actants.
C’est ça, faites le malin. Je n’envie pas pour autant la culture qui dégouline sur vos chaussures comme de la confiture.
Non, mais je veux tout simplement dire : une option péritextuelle (3) pourrait certainement faire jurisprudence.
Allez-y Sapignac, étalez votre jargon, je vous sens un peu timide.
À ce moment-là, paf ! nous introduirions un amendement.
Et, paf ! on se ruinera en même temps les ratiches.
Évidemment, si on me contredit à chaque fois que j’ai une idée.
Varquin arpenta lentement le jambage de la cheminée avec ses doigts.

Et qu’est devenu notre agent Jules Montcaque ? Je n’ai plus la moindre nouvelle de lui.
Les supprequins ne sont pas faits pour les chiens, président.


1 C’est au XIIe siècle, avec Chrétien de Troyes, que la Convention dont parle Métapoly (et qui intéresse tant Sapignac) a été utilisée par l’afféterie narrative et a commencé, alors, à se rapprocher du récit fictif à épisodes centré autour de personnages.
2 La réflexivité du Métapoly consiste à mettre en scène l’aventure de l’écriture et son effervescence théorique.
3 Le péritexte comprend : titre, quatrième de couverture, préface, notes de bas de page, incises, glossaire, etc.

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J
Jamais je ne "jouerai" en bourse, surtout par les temps qui courent, mes supprequins, fut-ce pour une malle de sequins époque Louis Malle le 15ème...<br /> Je continue à penser que Varquin est un tout petit préfet de province, avec ou sans anti-textes, il le restera. Et ce n'est pas le célèbre critique Jules Cuit qui le prenait pour un Sainte-Beuve de Carnaval (car le bougre écrit de la prose à ses heures creuses, qu'il comprend à peine lui-même d'ailleurs) qui me contredira.
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G
Cher Jean-Luc, merci pour votre fin commentaire. Nous voyons ressurgir ici la formidable silhouette de Jules Cuit, le maître incontesté de la critique tous azimuts. Le personnage est bien connu, mais nous nous devons quand même de préciser à quel point il a influencé (Et influence toujours) la pensée occidentale. Homme d'une grande intelligence (certains vont jusqu'à lui donner le surnom de Jules Q.I.), il a su séparer la poule du pot.<br /> Vous évoquez également le président Varquin, en le réduisant à un provincial. Ce n'est pas faux, mais ce n'est pas non plus l'unique façon de le définir. Varquin veut rire ! Et rire "en confiance"... L'antitexte, enjeu de tous les pouvoirs qui s'affrontent dans le Métapoly, ne le garantit pas suffisamment. Il subsiste un doute, une défiance... et si le roman sombrait dans le drame ?<br /> Dans ce monde cruel, il est beaucoup plus facile d'être triste que d'être joyeux. Et jouer du supprequin ne résout pas tout.
M
Tout ceci me semble toujours aussi inepte. Les "positions" sont stériles, poêle aux cils.La tirade du personnage de Sapignac sort un tout petit peu du lot, poêle au pot, en nous faisant envisager que mes propres commentaires font , à mon corps défendant, partie du péritexte.<br /> Je persiste à penser que ce roman feuilleton est difficile à comprendre.
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G
Cher Monsieur, merci de votre intervention. Je commencerai par vous remercier pour votre constance (rien ne vous oblige à me lire), ensuite : bravo pour votre conscientisation. Oui, vous, moi et toutes les voix de ces commentaires, nous faisons effectivement partie du péritexte évoqué par le conseiller Sapignac. Maintenant, ai-je vraiment envie d'avoir un lecteur tel que vous ? Difficile à dire. je ne suis pas à l'affût de cirage ou de compliments dithyrambiques, mais je traverse une période où je me sens un peu fragile, où j'ai besoin d'encouragements. Je vais donc vous demander d'arrêter ici votre lecture de mon feuilleton et de me foutre la paix.
L
Président Varquin, vous prendrez bonne note de toutes les dépositions car celles-ci vous fourniront sans doute quelques indices primordiaux afin de pouvoir identifier le ou les pyromane(s).
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G
Chère voix ferrée, merci pour ce petit mot. Il nous rappelle, avec pertinence, la présence d'incendiaires au sein du livre. Nous les verrons, par la suite, prendre ou non de l'importance.<br /> Tous ceux qui ont lu le "Métapoly 1" (Le Père fétiche), savent que les flammes proviennent de la chaleur humaine. Augmenter indéfiniment cette chaleur reviendrait à aimer tout le monde. Les Personnages se méfient de cette éventualité. "Chacun pour soi" semble être leur devise de moustiquaire. Ils sont seuls, certes, mais jamais malades, jamais fatigués, jamais désespérés. Ce n'est pas très difficile : ils ne sont que des Personnages d'encre et de papier.
L
Maître Bougebouche aime le boulgour et les bouledogues, la boulange et les boulons. C’est pourquoi peu sont ceux qui parviennent à le bouger ou à lui en boucher un coin. <br /> Le magnat Bolzaire croit peut-être l’avoir à sa botte : il ferait mieux de se méfier de ce bouleux boulimique bien capable de le faire bouler sur le boulingrin de son béguin (l’antitexte). <br /> Sous ses allures de boulet boulevardier, Maître Bougebouche peut bigrement tirer à boulettes rouges. <br /> Pour preuve : les hommes de Cuc sont avec lui…
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G
Les hommes de Cuc sont avec lui... voilà le constat essentiel.<br /> Armée de supprequins (ces fusils-requins qui suppriment les Personnages), la base de soutien de Bougebouche est large. Et (nous devons bien l'avouer), inconditionnelle.<br /> Le maître du Métapoly peut raconter ce qu'il veut, ces hommes sont prêts à le suivre jusqu'au bout et n'importe où.<br /> Il n'en va pas de même pour Bolzaire (qui est pourtant le marionnettiste), ce milliardaire très éloigné de leur couche sociale. il y a gros à parier que la plupart d'entre eux ne le connaissent même pas.<br /> Mais voilà : que veut Bolzaire ? Pourquoi diable veut-il, à tout prix, introduire l'antitexte ? À quoi rime tout ça ?<br /> L'antitexte n'est pas forcément comique, soit, mais rien ne lui interdit de l'être.
L
C’est ainsi qu’est né l’antitexte. Un projet remarquable. <br /> Bien sûr, le maître Bougebouche n’a guère eu le temps d’expliciter son dessein, une réunion avec le magnat Bolzaire ayant suffi pour remplacer le tout par un projet très différent, plus ambitieux, plus distingué, en un mot : visible, celui de son éminent collaborateur, à qui il doit sa place influente. <br /> En une heure et demie changeaient la logique, les objectifs, le principe de fonctionnement. Était-ce une raison pour changer aussi l’intitulé ou le règlement ? Bien sûr que non : le mystère n’en serait désormais que plus épais, l’impénétrabilité des choses plus complète.<br /> Rien de tel pour emporter l’adhésion des masses désireuses d’être dans le coup, en faisant entrer dans les têtes l’idée d’un projet qui les dépasse.
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G
Merci pour votre commentaire, voix jactée.<br /> Vous parlez d'un projet qui dépasse les Personnages. mais que sont les Personnages? Un peu d'encre et de papier... Parlons plutôt du Lecteur.<br /> Le Lecteur, lui, existe. Il est fait de chair et de sang et il a sur les Personnages, sur le roman dans son ensemble (sur tous les romans, d'ailleurs), un pouvoir divin.<br /> Parlerons-nous plutôt alors d'un projet qui dépasse le Lecteur ? Et si oui, dans quel domaine ? Dans celui de ses espérances ? Le Lecteur serait alors ultra-comblé ?<br /> Y a-t-il vraiment une récompense pérenne à la lecture ? Que nous enseigne la littérature que nous ne sachions déjà ?<br /> Disons qu'avec le roman-feuilleton "Métapoly 2", elle offre une expression intelligible à divers problèmes liés à l'existence... au milieu et à la fin de l'existence. C'est cette transformation de l'abstraction vague vers une concrétisation proche de la vulgarisation (sans aucune allusion péjorative), qui permettra peut-être d'en retirer un baume.<br /> "Métapoly 2" sous entend l'existence d'un "Métapoly 1", comme l'âge adulte sous-entend une adolescence. Ce sont deux romans sur le temps, notre maître à tous, sur sa complexité, sa faculté de coïncidences, son rire éternel.