Épisode 3 : Les singes apeurés
Après avoir reçu le secrétaire à la Guerre, le président convoque Tim, le secrétaire du Trésor.
Tim s’apprête à pénétrer dans le bureau elliptique sous le regard des deux gorilles qui gardent l’entrée. Ils sont impressionnants avec leur torse démesuré, gonflé par le pistolet qu’ils portent sous leur costume gris, le même uniforme que les chimpanzés politiques. Leurs petits yeux marron perçants scrutent Tim comme s’il allait se transformer en macaque barbu fanatique. Leur oreillette, les quelques mots qu’ils prononcent dans le vide, leur donnent un air autiste qui renforce leur allure menaçante.
— Ah ! Tim ! fait le président Arnack Aubasmot, asseyez-vous, vite !
Le président ponctue sa phrase de tics faciaux conséquents puis se gratte l’aisselle. Il grince des dents, le regard noir.
— Tout va bien, monsieur le Président ? demande Tim d’un ton inquiet.
— Non ! Votre collègue Léon vient de m’énerver !
— Il vous a contredit ?
— Pire ! Il m’a dit la vérité sur la guerre. Et pour réduire les dépenses militaires, figurez-vous qu’il a eu l’insolence de me conseiller de retirer toutes les troupes stationnées sur le Territoire de la Matinée Paisible, sous prétexte que son frère ennemi est bien trop pauvre pour le menacer. Mais ma parole ! Le bougre de chimpanzé s’imagine que je suis singe à prendre des décisions novatrices ! Et la paranoïa endémique de nos électeurs, y pense-t-il ? Les chimpanzés des Territoires-Unis ont PEUR de tout et de tous ! C’est pour ça qu’on attaque les autres Territoires ! Comme un chien qui mord parce qu’il est effrayé… Nous appelons cela la frappe préventive.
— Le peuple chimpanzé, répond Tim, a besoin de se créer des menaces extérieures imaginaires… Ces dangers chimériques lui permettent de masquer l’ennemi de l’intérieur, le vrai : les chaînes qu’il se met lui-même, individuellement ou collectivement.
Arnack Aubasmot se met à souffler comme un ventilateur. Il fait un rapide geste de la main, soit pour chasser une mouche, soit pour exprimer son agacement.
— Nous ne sommes pas là pour philosopher, mais pour dépenser les dollars bananiers du contribuable !
Le président se passe la main sur son visage simiesque pour se calmer. Il respire à fond et reprend :
— Tim, j’ai décidé d’un plan de relance de plusieurs centaines de millions de dollars bananiers.
— Mais… Mais notre dette est abyssale… Et l’agence de notation Maudits and Porcs vient de nous dégrader à double zéro avec perspective catastrophique !
— Justement, nous avons de la marge avant d’être dégradés à simple zéro. Il faut relancer l’emploi.
— L’Histoire a prouvé que les relances de ce type sont inopérantes, monsieur le Président.
— Me prenez-vous pour mon prédécesseur ? Je ne suis pas un nigaud qui a perdu ses neurones dans sa jeunesse en abusant de l’alcool… Ce que veulent les électeurs, je le veux ! Si l’opposition ne vote pas la mesure, elle se met en porte-à-faux. Et si ça passe, ma popularité va remonter. De toute façon, elle ne peut plus descendre…
— Comment financer ce déli…cette mesure ?
— Dites donc, Tim ! C’est votre boulot ! Soyez créatif ! Singez donc les dirigeants du Continent Senior. Ils s’y connaissent pour ruiner un Territoire discrètement !
Lordius