World-end
De la part de
Georgie de Saint-Maur
Pour Monsieur Eddy Bouq
Directeur de publication aux Éditions qui méditent
Le mercredi 21 septembre
Cher Monsieur,
Sur les conseils de notre excellent ami Jean-Paul Bastin, je me permets d’insister et de vous envoyer à nouveau un éventail de ma production. Voilà donc, cher monsieur Bouq, quelques morceaux choisis du début de mon roman World-end.
Avant toute chose, laissez-moi vous dire que j’estime qu’on peut défendre avec passion ce que l’on crée.
Il s’agit d’une histoire invraisemblable, tenant plus de la poésie que de la prose.
J’y utilise le ton désespéré d’une fausse adolescence, qui s’en vient courtiser la familiarité. L’inflexion conformiste que les jeunes écrivains croient devoir à leur époque.
C’est une intrigue désaxée.
Une sorte de délire métaphysique, véritable hymne à l’aliénation.
La chute fait sourire lorsqu’on pense au parcours de l’auteur, lui-même sorti de l’asile de Charenton voici deux ans à peine…
Condensé
Un homme se prétend le dernier être humain vivant sur Terre.
Réfugié au sommet de la tour de Pise, comme dans une tour d’ivoire, il semble, dans un premier temps, attendre du secours.
Ce ne sera pas là sa seule contradiction.
Le mythe du complot semble ici réétudié et retourné comme une chaussette.
Nous ne pouvons qu’acquiescer à ces demandes de liberté surveillée, tant l’enjeu qu’on nous subtilise prend des proportions hallucinantes.
La formule de Georgie de Saint-Maur « See you next world-end ! » a enchanté des millions d’anglophones.
Joël Arnaud
Morceaux choisis
[…] Il ne fallait pas plus de cinq secondes pour réaliser que je me déplaçais dans une espèce de perspective cavalière, tout à fait penché vers la gauche, à travers la tour.
Il me fallait prendre garde.
J’avais patienté longtemps appuyé sur le toit du bâtiment, les cheveux plaqués par l’humidité et le vent froid de septembre.
Maintenant, j’avais envie de chaleur.
Je me sentais très laid mais aussi un peu abandonné.
Les mouettes me rasaient avec leurs grands imperméables blancs et un air inquiétant.
Je souhaitais qu’elles se cassent la figure.
Quand soudain tout s’est remis en marche, à grands coups de sirènes, de bruits stridents, de hurlements et de crissements de pneus.
Un vacarme infernal habilement enregistré par des techniciens du gouvernement pour faire croire aux gens que l’on vivait encore.
[…] Comme chaque veille de week-end, je voulais aller remplir quelques petites bouteilles en plastique à la bombonne d’eau.
Et je crois que j’ai eu très envie de pleurer en même temps que de rire.
Je crois que je n’espérais plus vraiment qu’un hélicoptère vienne me rechercher à cet endroit.
J’avais l’impression de l’avoir inventé avec quelques amis dont j’essayais d’oublier les noms le plus vite possible.
Cette tour ne tenait pas la route. Elle défiait la gravité de la situation !
[…] Depuis dix jours, je débordais sinistrement et je savais qu’il aurait été bien utile de fumer tout un paquet de cigarettes pour brouiller mes traces.
Pour les assassins qui n’allaient pas me rater quand ils me trouveraient sur ce toit, à rêvasser sous la pluie, en automne.
J’ai senti que j’étais un phototype.
J’ai senti que j’étais la foule. J’aurais tant aimé t’y revoir.
Je t’y aurais giflée, encore, de toutes mes forces ! Battue comme plâtre…
[…] J’agonisais, inconsolable, avide des parfums terrestres que j’aurais puisé dans le calice amoureux du vieux tronc d’arbre de mon enfance.
Il n’y avait plus que ma conscience hybride et mes décisions.
Encore quelques secondes avant la caresse palmée du néant.
Comme nous tous, au petit matin. Je n’ai pas mal.
Non, mais j’ai chaud !… J’ai froid ! Je ne ressens plus rien.
J’ai envie d’un corps, pas du mien, pas non plus celui d’un étranger.
Tout au bout du béton, toutes les voix de ma vie avaient pris pour toujours l’accent du téléphone.
Mon destin se défigure, comme si on l’aspergeait de vitriol.
― Mais où voulez-vous en venir, Monsieur de Saint-Maur ? Par quel bout qu’on vous prenne vous êtes fou. Fou à lier !