Troisième tableau : Oncle André

 

Quelques flocons de neige virevoltaient mollement dans le soir tombant et se dissolvaient sur nos vitres. L’hiver, dont nous avions espéré la fin, revenait nous hanter de sa glace. 

Afin de nous distraire de l’étrangeté des faits, mon oncle André avait proposé une bonne partie d’échecs. J’aimais ce jeu car nous devions nous concentrer.

Nous jouions depuis quelques temps, et mon oncle allait certainement remporter la victoire, lorsqu’une odeur incroyable s’insinua dans la pièce.
On eût dit celle d’un cadavre bouffi de soupe aux pois et de fèves des marais.  

Cette puanteur venait indubitablement de la bibliothèque.

Je m’encourais sur mes socquettes, mais mon oncle André m’arrêta de la voix.

― Pas par-là ! me dit-il.

Il leva les lourdes tentures, puis, avec des airs mystérieux, il voûta ses paupières et nous fit asseoir, René et moi. Il alla vers la huche pour en sortir quelque chose qu’il déposa bruyamment au centre de la table.

 

C’était une vieille boîte métallique, piquée de rouille, qui contenait une grande quantité de poudre.
 

― Qu’est-ce que c’est, mon oncle ? demandais-je timidement.

― Tais-toi, Zaza !

René me lança un regard complice et me confia à voix très basse, dans le creux de l’oreille :

― Ce n’est rien que de la poudre à dada !

Tante Rrose semblait mal à l’aise.

― André, crois-tu que cela soit nécessaire ?

― Rrose, sens-tu ce que je sens ?

― Oui, évidemment !

― Alors pourquoi poses-tu cette question ?

Quelle était donc cette boîte de poudre jaune et épaisse, dont mon oncle extrayait, avec une difficulté manifeste, trois cuillères à soupe qu’il posait dans ce qui ressemblait à une gamelle de cerbère ?

Cette opération terminée, un affreux sourire de biais déforma son visage, qu’il n’avait pas très joli d’ailleurs, le rendant, à la lumière des bougies, plus effrayant que jamais.

 

― Voilà Rrose, maintenant au travail, mais au préalable… Il est grand temps d’aller au lit les enfants !

René et moi protestâmes en chœur.

Les yeux de mon oncle s’étrécirent pour devenir deux affreuses fentes.

Il nous fixait avec attention.

Le nez de tante Rrose recommençait à faire du bruit…

 

Mon oncle s’écria :

― Au lit et rapidement !

― Oh, s’il te plaît, mon oncle, tentais-je encore sans succès.

 

 

Georgie de Saint-Maur