Première lettre
Aux Ateliers de crottes
ROMAIN LABARRE
111, Avenue du Trait
Paris, le 24 septembre
Mon cher Romain,
Comment vas-tu ?
Je viens, un peu tardivement je l’avoue, aux nouvelles.
Tes petits ennuis psychologiques ont-ils disparu ? J’aimerais tant que tu ailles mieux.
D’ailleurs, comme promis, je t’envoie, pour te guérir, une anecdote amusante, comme un beau petit fruit délicieux.
Oscar est venu me voir. Je lui ai tout de suite parlé de mes crottes. Dans mon enthousiasme j’ai même failli les lui montrer, mais il a feint de n’en avoir cure.
Pourtant je voyais nettement le côté gauche de sa moustache esquisser un fin sourire qui ne l’a plus quitté jusqu’à son départ.
Je lui ai bien rappelé que pour moi tout le plaisir se situait dans l’acte de crotter. Une fois faites mes crottes ne m’intéressent plus que moyennement et je peux, sans regret, les exposer et les vendre.
Ce vieil abruti essaie de me diminuer. Son attitude vis-à-vis de mes crottes est tout à fait délibérée. Il ne s’intéresse qu’aux siennes soi-disant ! Et pourtant, tu connais, comme moi, leur piètre qualité.
Je crois que toi seul sait le soin que j’apporte à ma production. Je fonctionne toujours en chapelet et dans un joli camaïeu de brun.
Toi qui sais apprécier les choses à leur juste valeur, tu vas très certainement te réjouir du résultat. Je tiens le tout à ta disposition, tu peux passer le voir quand tu voudras.
Ça me gêne un peu de le dire, car on pourrait me taxer de prétention, mais je pense sincèrement que ces crottes sont parmi les plus réussies de cette dernière période.
Je sais que tu vas déguster ces nouvelles en fin connaisseur, et je me récrée par avance de recevoir à leur endroit ton avis éclairé.
Voilà, j’attends de toi un commentaire sans complaisance, fidèle à notre vieille affection.
À bientôt,
Ton ami Néron Boulet