Premier tableau : Isabelle
Je m’appelle Isabelle, mais tout le monde disait Zaza.
Chaque fois que j’entrais dans le vestibule sombre, je perçais les lourdes tentures qui encadraient l’ébrasement du salon, comme on s’affranchit d’un rideau de théâtre.
La gigantesque tête de cheval, que mon oncle André avait ramenée de ses lointaines expéditions en Bretagne, trônait sur le mur de la cheminée.
Deux montres bariolées la jouxtaient mollement. Le salon m’impressionnait.
Puis je laissais courir ma main sur la bibliothèque de bois vernis.
Tapis de laine épais et meubles en acajou, mes oncle et tante habitaient une très belle villa.
Depuis ma plus tendre enfance je reprochais à tante Rrose son haleine forte et ses frémissements nasaux. Et cependant elle avait toujours été plus qu’une mère pour moi. Elle m’avait appris la couture, le tricot et les travaux ménagers.
Je lui devais toute ma science.
C’était une grande femme sèche aux cheveux roux, coupés très courts. Une voilette corrigeait son visage anguleux. Parfois, lorsque je partais garder nos biques sur l’autre rive du lac, elle me préparait un beau panier-repas, dont je me régalais.
Aujourd’hui, elle m’attendait impatiemment, une tasse à café bleue fumant devant elle.
― Assieds-toi, me dit-elle, veux-tu une tasse de café ?
― Non merci tantine, grimaçai-je en prenant une chaise. As-tu passé une bonne journée ?
― Eh bien, j’attends ton frère et ton oncle…
― Tantine, quelle est donc cette nouvelle que mon oncle souhaite nous annoncer ? dis-je tout excitée.
La curiosité était comme une seconde nature, je voulais tout connaître, tout savoir, même les secrets les mieux gardés…
― Taratata, sois un peu patiente ma fille ! C’est la vie…
C’est alors que mon oncle et mon frère s’engouffrèrent dans le hall d’entrée.
Une poignée de secondes plus tard, mon oncle André prit la parole dans le salon.
― Nous voici donc tous réunis en ce jour très particulier afin de vous annoncer une grande nouvelle… Notre René revient vivre avec nous !
À ce moment précis un bruit sec parvint de l’intérieur de la bibliothèque.
Comme si on venait d’y donner un formidable coup de pied.
Nous restâmes tous bouche bée.
Tantine fut la première à laisser exploser sa peur. Elle enfourna son gros nez dans un petit mouchoir à carreaux et claironna de toutes ses forces un air qui n’était pas sans évoquer la marche des légionnaires.
Georgie de Saint-Maur