Les Prix littéraires : à quoi ça rime ?
Cette semaine, le coup d’envoi de la course aux prix littéraires a été donné avec le Prix du Roman de l’Académie Française (excusez du peu !). Enfin un prix qui a de la gueule (surtout que « Nagasaki » d’Eric Faye est un très bon livre), voire de la légitimité car si les prix littéraires en France se multiplient de façon exponentielle, tous n’ont pas le même écho, le même impact sur les ventes et surtout la même crédibilité. En effet, on peut penser que ces vieux bonhommes en habits verts, tricorne et épée à la ceinture qui nous mijotent régulièrement un nouveau dictionnaire (mais qui achète encore des dictionnaires de nos jours ? On devrait instaurer le droit au dictionnaire opposable) sont plus à même de juger de la qualité littéraire d’un roman qu’une chaîne de supermarché… Non, je ne parle pas ici du Prix Landernau inventé par M.-E. Leclerc dans ses espaces (dits) culturels mais de Carrefour qui lance son prix littéraire (ben voyons, pourquoi se gêner ?).
C’est donc « Intrusion » (quel titre !) d’Elena Sender (quel nom !) publié par les éditions XO, bien connues pour leurs goûts littéraires pointus et leur ligne éditoriale exigeante et non commerciale, qui rafle la mise, soit 5000 euros et la mise en place à 3000 exemplaires dans les magasins de la marque. Si je vous dis que le président du jury est Maxim Chattam, nul doute que vous allez courir au Carrefour du coin pour acheter cette « Intrusion » et le poser délicatement le 25 décembre dans les pantoufles de mamie… L’article dans Livre Hebdo cite le communiqué de presse de la marque selon lequel, dans ses rayons, entre les couches pour le petit dernier et une boîte de petits pois, il se serait « vendu 21 millions d’ouvrages dans l’année» : comme si cela donnait une légitimité à Carrefour pour instaurer un nouveau prix. On s’étonnera (ou pas, suivant notre degré de cynisme) du fait que les lecteurs composant le jury aient tous entre 30 et 40 ans : des ménagères de moins de 50 ans ? celles qui font les courses ? et les autres, ils ne lisent pas ?
Et sur Internet, une autre littérature est-elle possible ? Faut-il espérer beaucoup du prix du premier roman en ligne organisé par Manuscrits.com ? Quand on découvre que le parrain en était Marc Lévy, on peut douter un peu de la qualité du manuscrit gagnant…
Bref, la seule bouffée d’oxygène dans cette saison des prix littéraires c’est Marc-Edouard Nabe sur la liste du Renaudot : non seulement il ne s’est pas arrêté d’écrire, contrairement au titre de son dernier roman, mais en plus recommence à vendre sérieusement (5000 exemplaires vendus sans appui d’un éditeur, d’un diffuseur, d’un distributeur, ni d’un libraire). Quoi qu’on pense de la prose du monsieur et de la polémique qui s’attache à son nom, ce pied de nez à l’industrie du livre a de quoi faire réfléchir les acteurs de la chaîne du livre.
Marianne Desroziers