Les M@nuscrits de Léo Scheer : expérience innovante ou piège à cons ?
Quelle est la nouvelle idée de l’éditeur Léo Scheer, qui se matérialisera en mars 2011 et qu’il définit comme « un site d’édition communautaire » ? Faire des habitués de son site (ceux qui déposent leurs textes et/ou laissent des commentaires sur les textes des autres et/ou animent le blog) à la fois des éditeurs quasi-professionnels par le biais d’un comité de lecture élargi qui votera pour les textes à publier et des clients fidèles par un système d’abonnement annuel donnant droit à plusieurs livres (et permettant d’écouler les stocks…).
Plutôt malin comme idée : le producteur est le consommateur en même temps que le distributeur en quelque sorte… Quid de l’éditeur dans tout ça ? Et son travail de sélection des textes ? Et son rôle de compagnonnage des auteurs ? Tout ça réduit à un droit d’entrée et à un système bête et méchant de votes censé être démocratique ? En tout cas, le vote d’un comité de lecture élargi n’est pas la garantie de qualité des textes choisis … On pense à un genre de My Major Company Book qui se voudrait branchouille et un chouia intello. Encore plus inquiétant, un côté secte ! Non seulement les personnes ne faisant pas partie du comité n’auront plus à donner leur avis sur les textes des autres, mais le quidam ne pourra plus poser un texte pour avoir un retour rapide et sincère sur son travail. Et dire que cette expérience des manuscrits était au départ un vent d’air frais, un espace démocratique où les écrivains en herbe (je n’ai pas dit les wannabes) pouvaient être lus et critiqués pour progresser dans leur écriture... Au fils des mois, l’atelier à ciel ouvert s’est mué en petit cercle se tirant dans les pattes ; il y est de moins en moins question de littérature et de plus en plus d’attaques personnelles. Dommage, ça aurait pu être quelque chose d’intéressant…
Comme le disait un blogueur habitué au site de Léo Scheer, celui-ci prétend avoir gambergé deux ans à ce système, mais est-ce en sociologue (sa première activité) ou en éditeur ? Telle est la question…
Il me semble qu’un bon écrivain n’est pas forcément un bon juge de l’œuvre des autres, de même qu’un bon lecteur n’est pas forcément un bon éditeur (tout le monde n’a pas un regard critique, distancié et froid sur un texte : cela est pourtant nécessaire pour juger de sa qualité intrinsèque, voire l’améliorer). C’est pour cela que la question « est-ce que 30 euros c’est trop ? » me paraît un peu hors-sujet. C’est le principe qui me dérange : demander de l’argent, des informations personnelles (adresse postale, noms quand on sait que la plupart ont des pseudos), devoir montrer patte blanche, promettre de consommer et cette croyance que la majorité a forcément raison. Peu de chance que de la littérature hors des sentiers battus et les auteurs innovants, et dérangeants, sortent d’un tel système qui par essence favorisera les œuvres consensuelles vendables (les livres seront distribués en librairie et on sait à quel point la concurrence y est rude et le turn-over rapide).
Ajout début avril 2011 : la question du titre vient de trouver sa réponse, quand on sait que Léo Scheer s'est associé à Patrick Le Lay, l'homme du temps de cerveau disponible, pour mener à bien son projet...
Marianne Desroziers