Épisode 9 : Une espèce disparue

 

Le Majestueux Bureau en bois véritable et en style Louis XXL (du nom du célèbre roi boulimique) est jonché de papiers. Flambé les rature à tour de rôle en maugréant. Il compose son discours et cherche désespérément le mot juste qui touchera le cœur électoral pour les législatives.

Un crâne posé sur le bureau attire son attention défaillante. Il abandonne la plume pour l’ossement. C’est un archéologue qui vient de lui en faire cadeau. Il s’agit d’un fossile d’une curieuse espèce éteinte voici plusieurs dizaines de milliers d’années. Les homo sapiens sapiens. Flambé croyait qu’il s’agissait d’une espèce de singes gays doublement sages (car sapiens signifie sage en langue ancienne). L’archéologue lui a expliqué que c’était en fait des grands singes, cousins des chimpanzés. Selon les dernières découvertes, ils étaient presque aussi intelligents que les chimpanzés et possédaient même le langage. Ils étaient par contre très arrogants, pour s’attribuer le titre de doublement sage. Ils auraient fait de bons politisinges, a pensé Flambé.

 

On ne sait pas pour quelle raison ils se sont éteints. Leur sexualité a-t-elle perdu sa fougue ? Ont-ils abusé des armes de destruction massive ? Les climatologues penchent plutôt pour un bouleversement écologique majeur, comme celui qui a fait disparaître les dinosaures. En tout cas, les autres espèces de singes ont survécu et, bien plus tard, ont développé le langage et la conscience. Quel dommage qu’il n’en reste pas à l’état sauvage, songe Flambé, on aurait pu les mettre au zoo et les étudier.

Il empoigne le crâne et le met à hauteur de son visage. Singeant J’expire, le plus grand dramaturge des Îles albionesques (situées en lisière de la Désunion des Républiques Bananées), il déclame d’une voix vibrante, comme s’il était en campagne électorale :

— Ce crâne avait une langue, et pouvait discourir jadis. C’est peut-être la caboche d’un politihomo.

Il jette un œil sur ses papiers raturés, baisse la tête et reprend courage en regardant le crâne.

 

Une crise mystique aiguë le saisit, une de celles dont souffrent chroniquement les rares ouistitis du Jardin du Va-Tiquant. Ces ouistitis sont les derniers dépositaires de la langue ancienne qui sert à dénommer les fossiles. Eux-mêmes sont en voie de disparition. L’archéologue qui lui a donné le crâne les appelle singus mysticus archaïcus. Ils croient en des légendes très anciennes qui affirment que le singe n’a pas évolué, mais serait apparu d’un coup de baguette divine. Leur théorie, réfutée par la science simiesque, s’appelle le créationnisme. Les psychiatres qui ont examiné ces ouistitis mystiques leur ont diagnostiqué deux maladies : crétinisme et déviationnisme. C’est pourquoi on les tient enfermés au Jardin du Va-Tiquant.

Mais dans les traditions anciennes, il y a du bon ! tranche Flambé en pleine crise, et pas seulement de croissance économique.

C’est également l’avis de son ennemie professionnelle, la Guenon Nationaliste, qui, elle aussi à sa façon, souffre de crises de coutumes arriérées.

 

 

Lordius