Épisode 8 : Rare méditation
Rien ne va plus. C’est la cata. Normalement, le narrateur ménage le suspense jusqu’à la fin du récit. Mais l’ampleur de l’échec est telle que, sauf à mentir sans vergogne comme un politisinge, le chroniqueur ne peut pas cacher que l’histoire se termine mal pour le personnage principal.
Gringalus est assis à son bureau, les bras ballants. Il arbore la majesté touchante du boxeur sonné que l’arbitre vient d’arrêter alors qu’il insistait pour prendre plus de coups. « Time ! » lui hurle dans les oreilles la constitution primate. Il est temps de raccrocher les moufles.
Pour la première fois depuis de longues années, il ne fait rien. Encore plus inhabituel, il médite. L’introspection lui donne la migraine, il n’a pas l’habitude. Il ferme les yeux et voit son passé défiler, sa dernière heure politique étant venue.
Cinq ans auparavant, lorsqu’il briguait pour la première fois la tête de la Contrée Hexagonale, il avait si magistralement triomphé. Certes, il y a avait mis les moyens financiers. Il avait bénéficié de millions d’euros bananiers apportés par La Liane Gâteuse, la guenon la plus riche de la Contrée. Il avait même réussi à taxer un vieux colonel étranger, le dictateur de la Contrée de la Bybine. Avant de le poignarder dans le dos, ou plutôt de le bombarder, de faire couler le sang au nom des droits du singe. Ça, c’était un coup de pute de maître !
Fort de ces succès, il avait patiemment détourné des fonds pour préparer sa réélection, comme il est de coutume dans la Contrée Hexagonale. Il avait tout donné : son énergie, la vie des soldats-gorilles dans la Contrée des Montagnes Opiacées, et surtout l’argent du contribuable. Pour quel résultat ? Fiasco retentissant !
S’il avait du cœur, il pleurerait. À la place, il fait venir Patraque, son gourou pendant la campagne électorale. Patraque, c’était son joker. Gringalus est malin comme un singe politique. Il n’est pas futé, mais il possède l’instinct simiesque qui lui a fait sentir qu’avec toutes les conneries accumulées en cinq ans, il serait obligé de sortir un as de sa fourrure. Cet as, c’était censé être Patraque. Ce chimpanzé au physique ingrat avait été le directeur de Soixante Secondes, le journal de l’extrême. Patraque avait un objectif secret : racoler les voix de la Guenon Nationaliste, fille de son père, sans pour autant rendre aphones les voix centrales de François Biroute. Un tel grand écart s’était transformé en quadrature du cercle vicieux.
Complètement à plat, Gringalus trifouille sa fourrure à la recherche des cachets fortifiants qu’il a fait venir de l’étranger. Mille guenons ! Kharla les a confisqués, maintenant que l’agitation quinquennale est finie.
Pourquoi donc les idées les plus fines et les plus fourbes de Gringalus finissaient-elle en eau de peau de banane ? C’est la question à laquelle doit maintenant répondre Patraque, que le chambellan fait entrer.
Gringalus lâche un soupire d’abattement en voyant apparaître son gourou. Même parmi les singes politiques qui sont pourtant vieux et disgracieux, Patraque souffre d’un physique effroyable : poil rare, lunettes genre has-been, bouche tordue, regard torve… Les gorilles refusaient de le laisser entrer au Palais, au début. Ah ! S’il avait écouté leur merveilleux instinct animal…
Lordius