Épisode 8 : Les priorités du gouvernement

 

— Le surmenage me guette, marmonne Flambé. L’autre jour, je devais assister à un discours soporifique d’Arnack Aubasmot, j’ai médité trop longtemps et je suis arrivé après le début de la récitation. Les gorilles n’ont pas voulu me laisser entrer pendant le discours. Qu’est-ce qu’ils croyaient ? Que j’allais balancer une banane explosive sur l’estrade ?

— Oui, répond Éros, je m’en souviens. Ça a fait un pataquès diplomatique. J’ai dû envoyer un ministre s’excuser.

— Quels paranos, ces gorilles des Territoires-Unis !

— Pas vraiment, la menace est réelle. Avec la politique internationale catastrophique qu’ils mènent, les Territoires-Unis s’attirent la haine de pas mal de peuples singes.

— L’étranger ne m’intéresse pas ! tranche Flambé. Je suis hexagochouillard. Comment s’est passée la constitution de votre gouvernement ?

 

Éros pose les dossiers sur le Grand Bureau. Il les récupèrera après les législatives, puisque c’est la priorité.

— La galère ! Vous savez que la parité est à la mode. J’ai dû prendre autant de mâles que de femelles ainsi qu’un quota de ouistitis et de macaques. Le pire, ça a été de prendre autant de gros que de maigres.

— Pourquoi ? Ça faisait trop de contraintes ?

— Les gros refusaient de monter sur la balance.

— Vous êtes payé de vos efforts, non ?

— Pas vraiment, les ministres paritaires sont sans expérience. Quand vous ne choisissez pas en fonction des compétences mais d’autres critères, vous baissez le niveau.

— Compétence ? Les ministres ont un rôle représentatif. Ils symbolisent la quintessence de l’apparence. À ce propos, vous me ferez maigrir les gros, ce sera la priorité du gouvernement. C’était la seule bonne mesure de Gringalus en cinq ans.

— Président, est-ce qu’on peut mettre la croissance économique en priorité avant le régime des gros ministres ?

— Non, la croissance n’est pas une priorité, c’est une utopie, un idéal inaccessible.

— J’ai demandé aux ministres d’éviter de communiquer à outrance.

— Excellent ! Ça évitera les bourdes avant les législatives. Ils pourront se rattraper après. Ce sera un gros effort car il est dans la nature des politisinges de l’ouvrir sans cesse.

— Il y a des luttes de territoire entre ministres.

— Vous ferez une réunion pour lisser ça lundi. Vous ferez un communiqué bidon.

— Mais j’ai annoncé que les ministres dorénavant allaient se réunir pour prendre des décisions.

— Quoi ! Leur demander de fermer leur bouche et de maigrir, d’accord, mais là, vous allez trop loin !

— Le ministre de l’Analphabétisation Nationale, Payons, rue déjà dans les brancards. Il prétend qu’on a volé quarante jours de classe aux jeunes singes.

— Je n’ai jamais entendu un écolier se plaindre qu’il lui manquait quarante jours d’école, remarque Flambé.

— Ses propos sont dangereux. Qui les a volés ? Ce ne peut être que les enseignants fainéants et les parents qui partent en week-end. Or ce sont des électeurs.

— Peut-être est-il, contre toute attente, subtil : il stigmatise un point de détail pour cacher les gros problèmes. Prenez-en de la graine, Éros, vous me semblez un peu naïf pour votre poste.

 

 

Lordius