Épisode 7 : Éros

 

Les pattes avant chargées de dossiers, Éros se présente devant l’entrée du bureau de Flambé. Un gorille patibulaire lui barre le chemin.

— Je suis le Premier ministre. J’ai rendez-vous.

— J’ai des consignes. Le président est en plein travail. Il ne doit être dérangé sous aucun prétexte. Je ne laisserai entrer personne. Pas même le président… Euh, enfin personne, quoi !

Éros soupire ostensiblement. Éros n’est pas son vrai nom ― par pudeur, le narrateur ne le dévoilera pas. En effet, dans la langue de certains peuples singes, il signifie bite. En endossant ses nouvelles fonctions, le Premier ministre a été obligé de faire poil neuf. Outre son patronyme, il a dû aussi toiletter son casier judiciaire.

— Je viens de la part de sa compagne.

— Entrez.

 

Le Majestueux Bureau en bois véritable est désert. Des ronflements et une odeur de pieds incitent Éros à pivoter de quatre-vingt-dix degrés en direction du Grand Canapé. Flambé y est allongé, chaussures ôtées. Éros se racle ostensiblement la gorge. Flambé se réveille en sursaut et se met sur son séant. Il parvient à parler tout en remettant ses chaussures, exploit dont Éros l’aurait cru incapable. Contre toute attente, il pourrait bien se révéler le singe providentiel.

— Ah ! Éros ! Je… méditais en vous attendant.

— Sur quoi, Sire ?

— Laissez tomber ce titre ridicule. J’ai renoncé à la royauté. Je suis Monsieur Médiocre. Le titre de Président de la Contrée Hexagonale me suffit. Appelez-moi président, en toute simplicité. Je méditais sur ma tragique destinée.

— Tragique, président ?

— Je réalise qu’à l’heure où les singes du Rail partent à la retraite, moi je me mets à travailler. C’est très fatigant quand on a peu l’habitude. Pourtant, j’avais pris mes précautions.

— Ce n’est pas à un politisinge qu’on apprend à faire des grimaces, roucoule le courtisan.

— Lors de mon discours d’investiture, j’ai bien précisé que j’en ferai le minimum. Je fixe les priorités. La première est de gagner les législatives puis d’éviter les émeutes en faisant du social. Je me suis rendu compte en méditant que le chimpanzé est un animal social.

— Voilà une pensée profonde rare dans votre gueule.

— Attendez ! J’ai même philosophé plus loin : ce sont les pauvres qui sont les animaux les plus sociaux.

— Si je n’avais pas les pattes encombrées de dossiers, j’applaudirais.

— Jetez-les. Comme premier grand chantier de mon quinquennat, j’ai fait agrandir la poubelle du bureau, pour balancer tous ceux de mon prédécesseur.

— Euh… Ce sont les dossiers sur lesquels nous devons travailler.

— Encore travailler ! Moi, j’aime discourir et me pavaner, comme dit Mekelange. Je n’ai même plus le temps de m’en mettre plein la fourrure. Savez-vous que j’ai amassé un million d’euros bananiers de patrimoine à la sueur du front des autres ?

— Je vous admire, président.

 

 

Lordius