Épisode 6 : Tir de couverture
Henry pénètre dans le bureau du roi, après avoir été annoncé par le chambellan habillé en majordome. Il se demande ce que lui veut le roi, qui ne l’a jamais reçu en tête à tête. Il tente de se rassurer en se disant qu’il n’a rien à se reprocher, contrairement à la plupart des conseillers de Gringalus.
— Ah ! Henry ! fait le roi. Nous allons travailler ensemble. Vous serez mon conseiller numéro un.
— La promotion m’honore, Sire, répond Henri en mettant un genou à terre suivant le protocole que doivent suivre les chimpanzés encore assez jeunes et minces pour cette figure. Vos deux conseillers principaux sont-ils souffrants ?
— Non, ils viennent d’êtres mis en examen. Vous savez, l’histoire des malles d’or qu’ils ont déménagées depuis le Continent Sudiste…
— Ah ! Vilaine affaire, Sire ! Surtout si votre auguste personne est éclaboussée…
Gringalus sourit et esquisse un geste d’apaisement.
— C’est la routine. Quel politisinge n’a pas d’affaire de corruption ou de malversation aux fesses ? Le souci, c’est le timing : bientôt arrivent les élections. Ça, plus le chômage qui remonte, ça fait beaucoup pour mon auguste personne dont la popularité est au plus bas auprès du peuple chimpanzé hexagonal. C’est pourquoi je dois redorer mon blason royal par la politique extérieure. Jeudi, je fais une visite éclair dans la Contrée de la Bybine.
— Mais c’est encore la guerre…
— Je préfère y aller avant que le merdier dégénère franchement en guerre civile, comme dans la Contrée des Montagnes Opiacées. Et puis, jeudi, c’est la réunion primate de l’opposition. Je vais saturer l’espace médiatique. Comme à la guerre, tir de couverture ! Il s’agit de leur voler la vedette !
— Je suppose que la date est tenue secrète pour raison de sécurité.
— Mille guenons ! Le syndicat des gorilles a balancé la date aux médias ! Ils protestent contre le déplacement dans une zone de guerre. Voyez-vous, Henry, ils veulent bien assurer ma protection, à condition de n’avoir rien à faire et surtout de ne pas risquer leur peau de singe ! Passons ! Vous allez rédiger mon discours. Il sera très bref pour raison de sécurité. L’objectif est de faire un simple coup médiatique.
— Comme d’habitude, Sire.
— Vous connaissez bien la Contrée, vous y passâtes des vacances avant que les ouistitis aient l’idée saugrenue de renverser leur dictateur.
— Euh… Mais à l’époque…
— Allons, Henry, détendez-vous, on est entre nous. Je reconnais le premier que j’ai toujours eu des sympathies pour les régimes autoritaires, notamment les Territoires de l’Ours Pétrolier… Bon, vous indiquerez que l’expérience montre que la guerre peut être gagnée au sol par le peuple ouistiti bybinien.
— C’est presque ainsi que débuta la guerre des Montagnes Opiacées…
— C’est un discours pour le présent. Un politisinge raisonne toujours à très court terme. Vous glisserez aussi une singerie moralisatrice sur le pardon. Je sens qu’une guerre civile va nous tomber sur la bouche ! Alors, adieu la manne huileuse…
— En tout cas, le peuple bybinien vous a déjà pardonné vos accointances passées avec le dictateur déchu et le véhicule furtif que vous lui avez offert.
― Henry, je suis un monarque éclairé, voire illuminé, mais si nous devons travailler ensemble, il vous faudra perdre l’habitude de me rappeler mes erreurs. D’ailleurs, leur simple énumération nous ferait perdre énormément de temps !
Lordius