Épisode 5 : Le Conseil des ministres du roi Gringalus

 

Un formidable coup de barre l’assaille. Impossible de garder les yeux ouverts. Le Conseil des ministres est si rasoir… Assoupissement…

 

Kharla lui apparaît en rêve. Kharla est sa guenon préférée. Enfin, non, son amour c’est Cilia. Mais elle l’a quitté. Avec une grimace, il se rappelle le texto qu’il lui a envoyé juste avant son remariage avec Kharla. Il était prêt à la reprendre. La bourde, ce texto ! Cilia n’a pas daigné répondre. Quant à Kharla… Quelle scène atroce elle lui a faite ! Il a la migraine rien que d’y penser… Kharla… Quelle magnifique femelle pour sa catégorie d’âge… Elle a encore le poil si luisant, sa fourrure de guenon chimpanzé est encore si soyeuse. Elle…

— Vous m’écoutez, votre Majesté ?

 

Gringalus ouvre les yeux. Un grand chimpanzé tiré à quatre épingles est assis en face de lui, entouré d’autres personnages. Ce Filou, il est brave singe mais ses discours sont si soporifiques…

— Continuez votre exposé, Filou…

— Je vous demandais quel était l’ordre du jour du Conseil des ministres…

Gringalus a convoqué un conseil impromptu en plein milieu des vacances d’été, pourtant sacrées dans la Contrée Hexagonale. Il a pensé que les marchés financiers seraient rassurés que le gouvernement travaille à la réduction des déficits publics. Comme souvent, les observateurs extérieurs hésitent à qualifier ses opérations de com’ de naïves, de foutage de bouche ou encore de bêtise insondable.

— Il faut qu’on prépare une mesure sociale pour la rentrée. Augmenter les bourses étudiantes par exemple.

— Mais, s’étonne le Premier ministre, vous avez annoncé aux médias qu’on revenait de vacances pour travailler à la réduction de la dette, pas à l’augmenter…

Gringalus soupire. Comme son puissant homologue Arnack Aubasmot, il a parfois l’impression d’être entouré de nigauds, ou plutôt de ministres honnêtes. C’est pire.

— Déjà, il n’est pas question de réduire la dette. Il s’agit juste de diminuer un peu la vitesse de son accroissement de manière à retarder légèrement la faillite de la Contrée Hexagonale.

— La faillite, Majesté ?        

— Elle est inéluctable. D’autres territoires par le passé, sur d’autres continents, en ont fait la cruelle expérience. C’est à présent au tour de la Désunion des Républiques Bananées de goûter ce calice amer.

— Taillons dans les dépenses inutiles ! s’écrie Filou en fusillant du regard à tour de rôle les ministres de la Guerre, de la Culture et des Sports.

— À quoi bon ? Les dépenses sociales combinées à l’accroissement de la durée de vie du peuple chimpanzé sont hors de contrôle.

— Le social est juste mais si on n’a plus les moyens, il faut se résoudre à…

— Le peuple chimpanzé ne l’acceptera pas. L’utopie de la Contrée Providence l’obsède. Il croit que tout lui est dû. Nous n’avons pas d’autre choix que d’aller jusqu’à la banqueroute. Surtout si nous voulons nous faire réélire d’ici là par les pleurnichards…

 

La Contrée Hexagonale est une monarchie démocratique depuis peu, les oxymorons n’ayant jamais effrayé le peuple singe hexagonal. Auparavant, le chef de la Contrée s’appelait simplement « Président », mais en raison de l’exécutif très fort et du souhait insistant de Gringalus, le Parlement a voté le titre de roi au chef de l’exécutif. Le caprice de Gringalus a été d’autant mieux accepté qu’il est purement honorifique et ne coûte rien au contribuable, contrairement aux caprices habituels des singes d’État.

 

— D’ailleurs, je vais faire une fleur à mon successeur, reprend Gringalus, avec une grimace simiesque magnanime. Tant qu’on peut emprunter, je vais faire acheter du matériel anti-émeute pour les forces de l’ordre. Il sera bien utile quand la faillite nous explosera à la bouche !

— Gouverner c’est prévoir, approuve le Premier ministre Filou.

— N’est-ce pas ? Pourtant, je vous parie que le peuple chimpanzé ingrat n’aura pas un mot de remerciement pour son roi !

— Mais, intervient Gérard, le ministre de la Guerre (en s’épongeant le front, ayant senti le vent du boulet), qu’allons-nous annoncer comme mesure aux médias en sortant du Conseil ?

— Aucune, tranche Gringalus sans sourciller. Nous prétendrons que nous avons travaillé. Nous avons obligation de moyens mais pas obligation de résultats. Sinon nous serions tous au chômage, même votre roi…

— Surtout notre roi diraient les mauvaises langues…, susurre Chanchan, la ministre des Sports. Nous faire revenir de vacances pour une réunion dite de travail qui ne débouche sur aucune décision concrète, cela ne risque-t-il pas d’être interprété par l’opinion publique comme du foutage de bouche ? Et l’effet sera-t-il positif sur la Bourse qui s’écroule ?

Le roi fusille du regard sa ministre. Bigre de bougre ! Dans chaque gouvernement, il y a un insolent ! C’est pourquoi Gringalus est obligé de remanier le gouvernement si souvent… Il ne supporte pas la contradiction ! Ses ministres doivent obéir, point.

Lui, il file doux avec Kharla depuis l’affaire du texto, alors au boulot il a besoin de compenser. Il va devoir remplacer Chanchan, malgré les services animaux qu’elle lui rend. Kharla est trop jalouse…

— La Bourse ! s’exclame le roi en fronçant les sourcils. Ce sont les agissements fourbes des spéculateurs qui plombent notre belle Contrée ! Il faut préparer une loi contre la spéculation !

— Je crois que la Bourse a de bonnes raisons de s’effondrer, sans l’aide de prétendus spéculateurs, déclare François, le ministre de l’Économie Dépensière.

— C’est vrai, convient Gringalus, mais il nous faut un bouc émissaire pour canaliser le mécontentement du peuple chimpanzé hexagonal…

 

 

Lordius