Épisode 3 : Les thèmes éculés
La passation de pouvoir se poursuit entre le roi déchu Gringalus et son successeur à la tête de la Contrée Hexagonale, le paisible Flambé, tous deux en grande discussion.
— Quels thèmes inauguraux avez-vous choisis pour votre quinquennat ? demande Gringalus.
— L’éducation, la jeunesse et… je ne me rappelle plus du troisième. Banal à pleurer, comme les deux autres.
— En effet ! Vous aimez enfoncer les cages ouvertes, vous…
— Oh, je suis un politisinge de base : pas de vagues, pas d’innovation et du politiquement correct. D’ailleurs, c’est de plus en plus difficile à trouver, le politiquement correct. Car tant de sujets hérissent le poil de nos congénères. Pourtant je suis maître dans l’art des indignations et coups de bouche convenus, des sujets consensuels, des thèmes éculés et de la langue de bois. Eh bien, figurez-vous que j’ai quand même suscité l’indignation. J’ai mentionné Julien Ferri. Il fut un grand singe d’État, chantre de l’analphabétisation pour tous, mais aussi du colonialisme.
— Ah, répond Gringalus, le colonialisme est passé de mode. Il est de bon ton d’en avoir honte. Du temps de la religion, il fallait avoir honte de nos péchés. Maintenant, il convient d’avoir honte de ceux de nos ancêtres. On fait toutefois du néo-colonialisme, dans la Contrée des Montagnes Opiacées, par exemple. Il suffit de s’appuyer sur les bons mots-clés : lutte contre le terrorisme, combat pour la démocratie, et même guerre au nom de la paix. Vous pouvez commettre les pires crimes d’État, si vous usez de la rhétorique appropriée. Dites-moi, qu’allez-vous déclarer dans votre discours inaugural ?
— Je vais dire que la situation est catastrophique, répond Flambé. Thèmes habituels : dette publique, croissance en berne.
— Ceux qu’on est bien incapables de traiter.
— Je vais rendre hommage à vos prédécesseurs. Une audace qui ne me ressemble guère car ils étaient de fameuses canailles.
— Vous n’allez pas faire l’erreur politique simiesque de me rendre hommage, tout de même ? Les électeurs ont l’habitude de l’hypocrisie des politisinges, mais quand même…
— Rassurez-vous : je vais déclarer que la crise est de votre faute, que vous avez été très mauvais. Je vais rassembler…sur votre dos.
— Tout le monde le sait, ça ! Encore un thème éculé… Si vous étiez malin, vous ne parleriez même pas de moi.
— C’est une idée. Vous avez accumulé beaucoup d’expérience en cinq ans, avec toutes les bourdes que vous avez commises. Trial and error, comme dirait Arnack Aubasmot.
— Vous croyez que vous ferez mieux ?
— Personne ne le croit. Si nos compatriotes m’ont élu, c’est parce que le pire n’est jamais sûr. Il y a une petite chance que je sois le singe providentiel, que j’aie une envergure de singe d’État.
— Oui, approuve Gringalus, autant de chance que de gagner au loto. Le souci, c’est qu’on ne joue à ce loto-là que tous les cinq ans…
— Bon, j’y vais. On a fait semblant assez longtemps de discuter des dossiers brûlants.
— Attendez ! glapit Gringalus. Vous oubliez le parchemin de destruction massive !
Lordius