Épisode 2 : Le parchemin de destruction massive

 

Les deux politisinges s’isolent dans le bureau du Roi, comme le veut le protocole. Ils commencent par se chamailler pour décider qui occupera le trône. Finalement, ils s’assoient tous deux à terre.

— Commençons par la tradition, avant que j’oublie, déclare Gringalus.

Il brandit sous le nez de son interlocuteur une espèce de parchemin crasseux et antédiluvien. Flambé renifle l’objet et grimace.

— Eh bien, prenez ! Ce n’est pas une peau de banane…

— J’ai déjà tellement de paperasse, soupire Flambé. Je ne les lis jamais. Ça me donne mal à la tête. Nous, les politisinges, sommes formés pour parler. Nous sommes une caste orale. Tout ce que nous savons faire, c’est bien parler pour être élus. S’agit-il d’un discours protocolaire que je dois réciter comme un primate ?

 

Gringalus pâlit sous sa fourrure grise quoique moins clairsemée que celle de son vis-à-vis.

— Surtout pas, malheureux ! Je tombe du cocotier ! On ne vous a rien expliqué ?

— C’est-à-dire, le métier de roi est nouveau pour moi… Il y a tant de choses à retenir…

— Il s’agit du code pin de déclenchement de notre holocauste nucléaire massif.

— Sur quelle contrée sont pointés les missiles ? Qui est notre ennemi ?

— Tiens, je ne m’étais jamais posé la question. Patraque, mon plus vilain conseiller (maudit soit ce singe hurleur), m’a dit un jour : « Notre pire ennemi, c’est nous-même. » Il faudra que vous fassiez pointer les missiles en conséquence…

— Vous êtes un chimpanzé philosophique. Moi, je suis un singe pratique. Que se passerait-il si on me dérobait le code pin ?

— Rassurez-vous. Seul le Roi peut déclencher l’holocauste.

— Dans ce cas, à quoi sert le code pin ?

— Nom d’une banane ! Vous réfléchissez trop ! Ces cérémonials grotesques ne sont destinés qu’à rassurer les électeurs paranoïaques.

— Ah ! Vous avez raison, Gringalus. La migraine me vient. Toutes ces cérémonies infantiles… Quand a-t-on le temps de travailler ?

— Presque jamais. Patraque (maudit soit ce singe hurleur) affirme que cela vaut mieux pour tout le monde. Plus le Roi perd de temps en cérémonies, moins il lui en reste pour faire des conneries et ruiner la Contrée Hexagonale.

 

Flambé se lève, sonne le chambellan et demande un cachet d’aspirine en se tenant la gueule.

— Ce n’est pas seulement que je m’ennuie en votre compagnie, roi déchu, mais il faut aussi que je passe à la corvée suivante, le discours inaugural. N’êtes-vous pas censé me transmettre des informations sur les dossiers brûlants ?

— Si…

— Eh bien ? Il n’y en a pas ?

— Oh si ! Mais ils sont ingérables. Inutile de vous prendre la tête, surtout avec votre migraine.

 

 

Lordius