Entretien avec Maximilien Robaglia
Interview de Maximilien Robaglia (aussi connu sous le pseudonyme de Serenera), auteur de nouvelles pour l’Abat-Jour et d’un article dans le premier numéro de la revue l’Ampoule.
Pourquoi ce pseudo : Serenera ?
Serenera, c’est un alter ego que j’ai inventé à quatorze ans lorsque j’ai découvert Internet. J’aimais bien la sonorité. C’est devenu un personnage par la suite. Il paraît que cela veut dire quelque chose en espagnol ; du moins, j’avais trouvé une définition il y a quelques temps sur Internet. On ne sait jamais ! D’aucuns trouvent ce pseudonyme féminin. C’est aussi mon anima, pour causer vite fait Jung.
Vous tenez un blog intitulé « Carnets Noirs. Au triomphe de l’autophagie » : une explication peut-être sur ce titre et ce sous-titre ?
Mais certainement. Je voulais un blog en rouge et noir, parce que je voyais alors tout en rouge et noir. Il aurait pu s’appeler « Carnets vermeils », mais « Carnets Noirs », ça cogne sec, à mon avis. Notez que c’est aussi le titre d’au moins un bouquin. Quant au sous-titre, c’est assez simple : je pratique l’écriture masochiste de manière intensive depuis quelques années (ainsi que le voyeurisme littéraire). La douleur est un fluide très volatil. Ça explose assez souvent, en bien ou en mal. Vous remarquerez que c’est également le sous-titre d’une nouvelle, De mauvais goût.
Certains textes de votre blog sont présentés comme de l’écriture automatique : est-ce une pratique que vous affectionnez particulièrement ?
Je faisais mon fanfaron en prétendant être capable d’écrire « automatiquement ». Je ne crois pas tellement aux pseudosciences et à la parapsychologie. Si par écriture automatique on entend, comme B. Werber, de faire taire son cerveau et de laisser ses doigts agir, alors oui, je pratique souvent l’écriture automatique. Si c’est plus que cela, non, à mon grand dam. J’ai toujours un œil sur mon front qui s’ouvre pour me dire à quel point ce que je fais est nul et vain et voué à la poubelle. C’est assez embêtant.
Avez-vous d’autres façons d’écrire, plus réfléchie et retravaillée ? Différenciez-vous l’écriture poétique et l’écriture de nouvelles ?
L’écriture poétique, haha. La bonne blague. J’ai besoin d’une muse pour les poèmes. Ça paraît con, mais c’est pourtant ainsi. Pour les nouvelles, je n’ai pas besoin d’aller mal pour écrire. Je peux aller bien et repérer les anomalies. Puis extrapoler pour donner naissance à un texte, souvent court.
Quid du roman ?
Le roman, c’est une autre histoire. J’ai régurgité la torpeur et je me suis pourléché les salissures. En faisant bien attention à y donner de la forme. Maintenant, je travaille à rajouter une intrigue et soixante-dix pages environ. Curieusement, ça ne veut pas prendre. Je ne dois pas être un vrai romancier si j’ai besoin de fluides d’écriture hautement volatils.
Écrivez-vous depuis longtemps ?
J’écris depuis tout p’tit. Mes parents m’avaient offert un carnet. Quand j’ai été assez grand, j’ai eu droit à une machine à écrire. Plus tard, à l’écriture sur suite informatique, le grand luxe. Je n’oublierai jamais ce petit carnet, contenant une nouvelle déjà trash pour l’âge que je devais avoir.
Quelle place occupent la lecture et l’écriture dans votre vie ?
J’ai énormément lu petit, moins pendant mes études. Je reprends mon rythme de croisière actuellement, mais ça ne va pas durer. Sans lecture, et surtout lecture de poèmes, car je suis avant tout un amateur de poésie (j’imagine que ça ne se voit guère à la lecture de Ceci n’est pas une pipe), je n’écrirai plus. Quant à l’écriture, ça n’a jamais été une envie. Je n’ai jamais envie d’écrire. J’en ai besoin.
On peut vous écouter lire une de vos nouvelles en langue anglaise. J'ai beaucoup aimé et cela m'amène à vous poser deux séries de questions.
La première porte sur l’intérêt qu’il y a d’entendre l’écrivain lire un de ses textes : êtes-vous adeptes des lectures d’écrivains ? Pensez-vous que cela apporte quelque chose de plus au texte brut lu par le lecteur ?
D’abord merci, je suis heureux que cela vous plaise. Je suis un grand amateur de lectures d’écrivains et d’anonymes. Je passe une bonne partie de mon temps libre à écouter des connards réciter ou lire des vers d’illustres auteurs sur YouTube. On frôle le terrain de l’érotisme lorsque l’on écoute. Je lis à haute voix depuis longtemps, en anglais principalement depuis le lycée, époque où j’ai amélioré mon accent. C’est un besoin qui me pousse à m’enregistrer, et rien ne me fait plus plaisir qu’un gentil commentaire sur un texte lu. Je pense lire pour des aveugles et des malvoyants bientôt. Ça sera sûrement très enrichissant.
La deuxième piste de réflexion concerne la langue anglaise : êtes-vous angliciste de formation (comme on peut le penser à la lecture de l’article « Regard sur deux strophes de Yeats et de Keats ») ? Avez-vous l’habitude d’écrire en anglais ?
Oui, je suis angliciste de formation. Vous m’avez eu. J’écris assez souvent en anglais, directement, quitte à retraduire en français par la suite comme ça a été le cas pour Le Squelette de William Turner.
Les noms de Shakespeare, Yeats, Keats ou Edgar Allan Poe reviennent dans vos écrits : des influences littéraires ? Quels sont vos auteurs préférés ?
Shakespeare, Yeats, Keats, Poe, mais aussi Auden que j’aime beaucoup, T.S Eliot bien sûr, Lovecraft, Frost, à qui l’on doit un des plus beaux poèmes sur le suicide, mais aussi Faulkner et Bradbury pour ne citer que les sources d’inspiration les plus évidentes.
Sur votre page Facebook, on constate un grand éclectisme en matière de littérature : peu de rapport entre Borges, Lovecraft, Stephen King et Gracq. Comment expliquez-vous cela ?
Pour être plus exact, il faudrait aussi prendre en compte les peintres et les compositeurs/interprètes. Je ne serais rien sans Sopor Aeternus, et la musique « Dark Cabaret ». Rien sans W. Turner et surtout Munch, qui inspire grandement mes écrits. Il y a pas mal de rapports entre Lovecraft et Borges, hehe. Borges a d’ailleurs dédié une nouvelle très lovecraftienne à l’auteur reclus de Providence. J’ai l’impression que tous les auteurs que j’aime sont interconnectés. Ce n’est sûrement qu’un fantasme.
D’autres auteurs qui vous ont marqué ?
J’ai oublié de mentionner Dylan Thomas je crois ! Il m’a été d’une grande aide pour mon apprentissage de la langue et dans la lecture.
Et Internet : pensez-vous que cet outil permet de nouveaux modes de diffusion de la littérature ?
Internet est une petite merveille pour les amoureux des maux et des mots. Cela permet aux jeunes auteurs de trouver un premier public. En ce sens, ce n’est pas sans me rappeler les pulps et magazines bon marché aux États-Unis dans les années 1920/30/40/50/60 qui publiaient des auteurs inconnus pour quelques sous. YouTube est un instrument très intéressant à ce titre. Je ne répéterai jamais assez que la Voix est un instrument de mort en littérature.
Votre premier choc littéraire ?
Mon premier véritable choc littéraire, je l’ai eu à dix ans, lorsque mon père m’a arraché un bouquin d’horreur cheap des mains pour me donner ce qu’il appelait de la « vraie littérature ». J’ai eu le choix entre David Copperfield de Dickens et Chroniques Martiennes de Bradbury. J’ai pris les Chroniques martiennes, je n’y ai rien compris mais j’ai adoré. Et j’ai lu beaucoup de SF par la suite. Bradbury m’a appris la délicatesse. Ça ne se voit pas non plus dans mes écrits, ou du moins pas dans mes nouvelles noires. Et Lovecraft, la démesure (ça se voit déjà plus). Fred Botting dit que Gothic is the writing of excess. Je m’y reconnais volontiers.
Votre dernier choc littéraire ?
Mon dernier choc, ça a été Crime et Châtiment. Il n’y a pas une ligne de trop. Si j’étais un vilain garçon, je dirais que Dostoïevski est un excellent auteur de polars.
Bientôt la rentrée littéraire : est-ce quelque chose qui vous laisse froid ou vous tenez-vous au courant des livres qui sortent ?
Du tout, je suis un monstre d’ignorance concernant les rentrées littéraires. Je lis très peu de littérature et de poésie contemporaines.
Pour finir, des projets ?
Je travaille, comme je vous le disais, à boucler Ad Nihilum, mon roman. J’en écris en même temps un autre, Fluides de la Désintégration. J’aimerais bien avoir assez de poèmes pour avoir un recueil. J’écris aussi une nouvelle intitulée V.I.H, et pense à un projet de SF inspiré de Tarkovski.