Entretien avec Sébastien Ayreault
Interview de Sébastien Ayreault, auteur de textes pour l’Abat-Jour dont le dernier roman « Sous les toits » vient de sortir chez Storylab.
Comment te présenterais-tu à ceux qui ne te connaissent pas et qui vont lire cette interview ?
Bukowski racontait que, quand il était jeune, il courait la nuit dans les rues de Los Angeles en gueulant qu’il était John Fante. Je ne sais pas si c’est vrai. Mais ça m’arrive aussi.
Voilà qui vous situe un homme… À propos de te situer, tu es un frenchie exilé aux States ? Sans rire, qu’est-ce que tu fous à Atlanta toi qui est né à Cholet comme tout le monde ?
Si je te le dis, je vais dévoiler l’histoire de « Sous Les Toits », mais disons que, oui, Cholet, Angers, et puis Paris. Douze années à Paris. Il était grand temps que je me tire… Les écrivains américains ont changé ma vie. Je les dévorais dans ma petite chambre sous les toits. Je ne faisais que ça. Avec eux, tout est devenu possible.
Moi aussi, j’aime énormément la littérature américaine qui regorge d’écrivains n’ayant pas peur de prendre des grands sujets à bras-le-corps, d’interroger leur société et qui touchent souvent au génie quand ils sont dans des écrits très autobiographiques. Qu’en penses-tu ? Et toi, qu’est-ce qui te plait dans cette littérature-là ? Qu’est-ce qu’ont les bons écrivains américains que les français n’ont pas ?
Je dois bien t’avouer qu’en matière de littérature francaise, je suis quand même un peu largué. À pars Vian, Louis Calaferte, Céline, Ravalec et Djian… Je ne sais pas comment te dire ca, mais disons que j’ai l’impression d’avoir peu choisi. On choisit peu, je crois. Miller, Bukowski et Fante me sont tombés dessus. Après ca, c’était foutu. Alors j’ai continué droit devant, Kerouac, Brautigan, Harry Crews, James Crumley, Selby, Maupin, Dan Fante, Hemingway… Et donc voilà, pas vraiment une minute pour m’intéresser à la littérature francaise. Pour moi, le grand truc de la littérature américaine, c’est que la pensée est continue dans le mouvement. Je pense qu’au-delà de tout, nos lectures se rapportent à nos vies, au milieu dans lequel on évolue. Toutes ces choses intérieures et extérieures. On va naturellement vers ce qu’on est, ce qu’on veut ou voudrait être. Faut se méfier, le hasard est vicieux… Carl Jung…
Je te cite en vrac quelques-uns de mes écrivains américains préférés et tu me dis s’ils te parlent. Faulkner ? Fitzgerald ? Carson Mac Cullers ? Paula Fox, Joyce Carol Oates, Laura Kasischke pour ne pas oublier les femmes ?
À pars Faulkner, je ne connais pas les autres. Cinquante-deux semaines par an, environ un livre par semaine. Je suis un lecteur plutôt lent. C’est à dire qu’en gros, il me faudrait douze, treize ans pour lire toute la rentrée littéraire 2011 ! Faulkner, je pense que je suis passé à côté de Faulkner. Complètement.
Tu dirais plutôt que tu es un écrivain/musicien ou l’inverse ?
Dans ce sens-là, c’est bien. C’est dur la chanson. Toujours l’impression de danser sur le fil du ridicule…
Pour publier, n’est-ce pas un handicap d’être si loin de Paris ? C’est pour cette raison que tu publies en numérique ?
Je n’ai jamais autant publié que depuis que je vis à Atlanta. Avant Atlanta, je crois qu’il me manquait le truc essentiel : la distance. Et dans un autre sens, on pourrait dire que le numérique réduit les distances à zéro.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette notion de distance nécessaire ?
C’est compliqué cette affaire. Alors disons qu’aujourd’hui, quand j’écris, je rigole. J’écris les mêmes choses qu’il y a dix ans, mais en rigolant, cette fois. Après, bon… La semaine dernière, par exemple, j’ai écrit cette nouvelle « T’aurais pas dû inviter le Marquis de Sade à dîner » et je riais comme un fou en l’écrivant. Bon, apparemment, ça n’a fait rire personne. Après je me dis, merde, peut-être que ce que je vis n’a aucun sens… L’alcool aussi, ça n’aide pas toujours…
Crois-tu qu’Internet a un rôle important à jouer dans la création et la diffusion littéraire dans les années à venir ?
Je pense que mes enfants iront au collège avec une simple tablette numérique sous le bras. Adieu cartable de quinze kilos. Et plus j’y pense, plus je me dis que pour eux, le papier ça va ressembler à l’age de pierre. Alors oui, je pense qu’Internet va devenir le lieu premier de la création. La diffusion, ça me semble une évidence. Amazon est déjà le plus gros vendeur de livres au monde. Vraiment, je pense que les gens n’ont jamais autant lu, autant écrit que depuis Internet. Peut-être que cela dérange une certaine élite, pas moi.
Quelques mots sur Storylab qui publie ton dernier roman « Sous les toits » et l’Abat-Jour qui publie en lecture gratuite sur son site ton feuilleton « Ceci n’est pas une fiction » ? Comment les décrirais-tu ?
Comme l’avenir. Ces deux éditeurs sont partis pour proposer des choses que personne n’a encore proposées. On peut tout imaginer avec le livre numérique. De tout temps la littérature s’est prise des coups de pied au cul. C’est comme ça qu’elle avance. Elle va avec le monde. Elle avance avec lui. Il n’y a aucune raison qu’elle reste figée. D’ailleurs, elle n’est jamais restée figée, ni dans le fond, ni dans la forme. Merde, c’est un sacré progrès à l’heure où notre planète manque d’air, on va enfin pouvoir coucher nos pensées sans avoir à abattre des forêts entières ! J’ai dit à mon arbre, ce matin : « Vieux, sois heureux, tu n’auras pas à supporter le poids de mes conneries ».
Tu as aussi publié dans des revues : lesquelles ? Et pourquoi ?
Dissonances, Décharges, Traction-Brabant, Décapage, Outsider Writer, La page Blanche, La RalM, Virages, Gorgonzola, Canopic Jar, MG Version Datura… Pourquoi ? Parce que j’écris essentiellement des nouvelles. Et essentiellement des nouvelles courtes. Une page ou deux. À part les revues, il y a encore quelque temps, personne ne publiait ce genre de chose. Mais là, encore une fois, le livre numérique est parti pour changer la donne.
As-tu des écrivains fétiches qui t’accompagnent depuis longtemps et dont tu jalouses l’œuvre ? Ton feuilleton dont cinq épisodes sont déjà parus sous l’Abat-Jour nous donne quelques pistes (Bukowski, Shalom Auslander, Elias Jabre, Sade, Baudelaire) mais y en a-t-il d’autres ?
John Fante. C’est l’écrivain que j’admire le plus. J’aimerais tant écrire un livre du genre de « Mon chien Stupide » ou « Plein de vie ». Ça viendra peut-être un jour. Peut-être pas. Sinon, Louis Calaferte, Henry Miller, Steinbeck, Selby, Murakami, Kerouac, Paul Auster…
Justement, Fante est aussi un de mes écrivains préférés : que dirais-tu à ceux qui nous lisent pour leur donner envie d’ouvrir un bouquin de Fante ? Et lequel conseilles-tu pour commencer ?
Je conseillerai de commencer par « Mon chien Stupide ». Si tu as les idées noires, c’est le bouquin idéal. Dès que j’ai un coup de pas bien, je me plonge dedans. « Demande à la poussiere », c’est un sommet. Ici on dit que c’est l’un des meilleurs livres sur Los Angeles. John Fante : simple et droit au ventre.
Musicalement, difficile d’éviter la comparaison avec Noir Dez et Cantat, notamment quand on écoute l’excellente chanson « Mourir avant la fin ». Tu revendiques quelles autres influences ? Les autres membres du groupe sont aux U.S.A. aussi ? Vous faites des concerts ?
Pas de concerts, non. J’aime beaucoup aller en voir, mais je déteste être sur une scène. Comme je t’ai dit plus haut, chanteur, c’est un truc… Je me souviens de Bashung sur scène ou bien encore de Marc Broussard, avant même de chanter, ces types-là mettent tout le monde d’accord. Je sais pas, c’est un truc à part. Magique. Pour les autres influences, Johnny Cash, Bashung, Gainsbourg, Pearl Jam, Neil Young… Et je fais tout avec le guitariste Joe Giddings.
As-tu des projets, une devise, une petite annonce ?
Pas de devise, non. Mais la sortie de « Le cri de l’oiseau moqueur » fin octobre, et toujours chez Storylab. C’est un one shot, une nouvelle de vingt-deux pages. Qui sera livrée avec une chanson inédite et des dessins de Noémie Barsolle. D’ailleurs, le roman « Sous Les Toits » est aussi illustré par Noémie. Elle est vraiment incroyable.
J’ai découvert cette artiste grâce à toi et je trouve son travail très intéressant. On peut voir ses œuvres assez punk (et son esprit « riot girl ») sur son blog intitulé « Saignante » : comment pourrais-tu nous la présenter ?
On s’est rencontré à Paris, lors d’un festival de fanzines. Je lui ai filé des nouvelles et quelques semaines plus tard, elle est revenue avec des illustrations. Apres ça, on a pas mal bu. Ça fait maintenant dix ans qu’on se connaît. Je lui envoie mes textes et Noémie les illustre. Ça fonctionne sans qu’on se parle vraiment. On surfe l’onde, je suppose. Et le mieux, c’est d’aller visiter son blog. Mince, c’est tellement simple Internet ! Un clic suffit !
Pour terminer, le dernier livre que tu as lu et qui t’a marqué ?
Hillary Jordan, Mississippi.