Entretien avec Salima Rhamna

 

Née en 1975, Salima Rhamna vient de publier son premier roman, Chbebs !, aux Editions de l’Abat-Jour. Petite interview pour en savoir plus (d'autres infos disponibles sur son blog, Macache !).

 

 

Salima Rhamna, qui se cache derrière vous ?

 

Salima est véritablement mon second prénom... Rhamna est mon nom d’écrivain, en hommage à la région où ma maman a grandi, au Maroc. Leur association est un clin d’œil à l’écrivaine fictive inventée par Raymond Queneau, Sally Mara, sous l’égide duquel j’aimerais placer mon Chbebs !

 

On peut en savoir un peu plus sur vous ?

 

J’ai passé (allègrement) la trentaine, et j’enseigne le français dans un collège, dans la région de Bordeaux.

 

Votre roman a notamment pour cadre la banlieue. Y avez-vous habité ?

 

J’ai grandi dans une cité de l’Essonne, qui sert de modèle à celle que je décris dans Chbebs ! Je garde non seulement un souvenir merveilleux de cette cité mais des attaches amicales. Mes racines sont là-bas. Et j’ai voulu que ce roman soit aussi un hommage au fabuleux concepteur de cette cité, Émile Aillaud, qui est également le papa si injustement vomi des célèbres « Tours nuages » de Nanterre.

 

Au fait, « chbebs », qu’est-ce que ce mot signifie ?

 

C’est de l’arabe, et c’est de l’argot... À une autre époque, on aurait appelé un chbeb un mignon. Bref, une jolie tapette.

 

Vous définiriez votre livre comme un livre gay ?

 

Difficile de trouver plus moche étiquette. Non, surtout pas. Même s’il y est question d’amour entre mecs. Et même s’il y est encore plus question de nostalgie d’une certaine forme de discours et d’action tels qu’ils ont eu cours dans les années 70, avant que le « milieu homo » ne tombe presque totalement dans un intégrationnisme consumériste. C’est de ça dont je voulais parler aussi, à travers le personnage de Treuffais, un vieux pédé comme notre époque serait bien incapable d’en produire, et c’est sûrement très dommage. Donc, si vous tenez absolument à ranger mon livre dans un genre, je dirais « polar spagaytti ». Car il s’agit d’un roman noir, mais d’un roman noir « anti-Manchettien ».

 

Venons-y... Marcel Treuffais... ce personnage est emprunté à Nada de Jean-Patrick Manchette, n’est-ce pas ?

 

Je vais être obligée de parler de moi à nouveau. J’ai grandi cité de La Grande Borne à Grigny donc, à une époque où l’on ne parlait pas de « mixité sociale » mais où ça avait une existence réelle, la cohabitation d’ouvriers et de gens de la classe moyenne. On habitait là. Et dans la famille, côté père cette fois, il y avait cet oncle harki. Très OAS. Autodidacte alcoolique qui m’a marqué, le salaud, et paix à son âme, au fer rouge. C’était un dévorateur de polars, aussi. Bref. Je suis entrée en littérature par sa bibliothèque, à l’oncle, et pardon si c’est pas follement original. C’est comme ça que j’ai découvert A.D.G, entre autres. Chbebs ! est beaucoup plus proche d’A.D.G. que de Manchette, c’est certain.

 

C’est une réécriture de Nada ?

 

Oui, je crois bien... J’ai repris la trame de Nada et le personnage de Treuffais...pour aller au bout de celui-ci, pour en tirer la substance. Manchette ne fait que l’esquisser, en fin de compte. Il le passe à la trappe. Il l’esquive. C’est comme s’il le dérangeait. Et puis bien sûr, j’ai transposé, dans le contexte d’aujourd’hui. Avec une esthétique « contre » Manchette, donc, « polar spagaytti »... Je dois dire que j’adore le genre western spaghetti… Comment faire rire, pleurer, tresser ensemble politique, grotesque et sublime, profane et sacré. Faire tenir tout ça ensemble. Mention toute spéciale aux chefs-d’œuvre de Sergio Corbucci, et d’abord à Il Grande Silenzio. Je me suis beaucoup inspirée de cette démarche, pour la visée satirique aussi.

 

De quoi votre roman est-il la satire ?

 

De beaucoup de discours très dans l’air du temps et que je trouve pour ma part odieux et insupportables et très drôles aussi. Je pense aux impeccables implacables de L’insurrection qui vient. La ferme de Tarnac payée par papa. Toujours un peu sciée de lire leurs tribunes dans Le Monde. C’est un exemple. Mais la cible, d’abord, c’était Manchette. Et puis Houellebecq aussi. Leurs trucs pour fabriquer de « l’humour » sont très très proches. Essayer de rire de tout ça, en montrant l’envers de la machine. C’est ce que je voulais avec ce livre. Pour moi, un pur roman noir, mais avec du rire. Qui propose en tout cas autre chose que les vieilles merdes sèches de la soi-disant rajeunie Série-Noire.

 

On dirait que vous ne cherchez pas à être publiée du côté de Gallimard.

 

Alors je vais être très claire : je vis de mon métier, que j’aime (enfin, pas toujours, soyons juste), et je ne cherche effectivement pas à vivre de l’écriture, et encore moins à voir mon nom sur une couverture qui tiendra deux semaines en vitrine avant d’aller au pilon.

 

Quel auteur de polar vivant trouve grâce à vos yeux ?

 

A.D.G. est toujours et plus que jamais vivant.

 

Êtes-vous une militante de l’édition en ligne ?

 

Disons que l’énigmatique Franck Joannic, mon éditeur de choc et de charme, a fait de moi une convertie. Plus sérieusement : jamais je n’aurais eu la chance d’avoir ailleurs un suivi, une lecture, un soutien, des conseils et des critiques aussi pertinents que ceux que j’ai eus aux éditions de l’Abat-Jour. 

 

De quoi, alors ?

 

Je vois où vous voulez en venir, Marianne... Vous connaissez mon engagement « lesbien » et je ne le renie pas, même si j’ai quitté le mouvement depuis belle lurette...je ne savais pas comment parler de mon respect, je risque le mot, de mon amour pour un certain nombre de celles qui m’ont sauvé la peau...Christine Delphy en tête... je voulais leur dire merci, tout simplement, à toutes ces grandes sœurs qui m’ont tout appris, et avant tout comment garder la tête haute toujours et hors de l’eau, ne jamais lâcher le morceau face aux manipulateurs. Il est question de cela à travers ce Marcel Treuffais que Manchette n’a fait que vivre à moitié...convaincue que j’étais, moi, qu’il méritait bien de vivre jusqu’au bout...

 

Pourquoi ne militez-vous plus ?

 

L’âge... l’envie... celle de pouvoir dire par exemple que ce gros sac frontiste d’A.D.G., son œuvre, sa langue m’importent. Queneau aussi, dans le genre cohabitation avec la cause féministe, ça peut faire doucement marrer. Aucune contradiction entre ces engouements et mes convictions. Mais hors chapelles.

 

Que vous reste-t-il de cette expérience ?

 

Des rencontres. Des rencontres de femmes et d’hommes qui ont lutté, avec beauté, sensualité, amour, humour.

 

L’esprit de 68 souffle-t-il dans Chbebs ?

 

À travers Treuffais, oui, peut-être... l’insoumission, l’amour libre, le refus de toute forme de domination, une radicalité qui n’exclut pas le rire mais au contraire l’encourage... voilà ce que cette époque a tout de même légué. Ce n’est pas rien.

 

Que pensez-vous de la démarche de M.-E. Nabe ?

 

Nabe est le prototype du faux proscrit qui dispose de l’appui des médias et pas de n’importe lesquels, mais aussi de tout un soutien logistique lui permettant de monter sa petite entreprise. Donc lui peut se permettre de se faire le chantre de l’auto-édition. Il écoulera son produit. Mais pour les autres, ceux qui n’ont pas l’oreille des médias, n’ont aucune notoriété et qui se disent que l’auto-édition c’est l’avenir, eh bien je dirais non, c’est pas du pas tout l’avenir, c’est au contraire une énorme foutaise. On voit très bien à qui ça profite.  

 

Payer pour lire, alors qu’on trouve tellement de choses gratuites sur Internet... Qu’en pensez-vous ?

 

On ne lit pas de la même manière un truc sur lequel on tombe au hasard de la Toile, et un livre, fût-il sous la forme d’un fichier PDF, que l’on choisit d’acheter parce que, pour telle ou telle raison, on a envie de le lire. Parce que Chbebs ! est un livre, je vous prie de le croire, c’est ma chair, c’est mon sang, comme dirait Bala, même s’il n’en a pas l’allure (d’un livre). Je suis bien consciente qu’un fichier PDF, c’est pas la panacée. Que ça puisse même débecqueter. Mais je suis persuadée que c’est de ce côté-là, celui des éditions de l’Abat-Jour et de quelques autres, qu’est en train de se faire quelque chose de neuf, de perturbant, en matière de littérature. Allez regarder par exemple du côté des Doigts dans la prose...

 

Pourquoi vous abriter derrière un pseudonyme ? N’est-ce pas par lâcheté ?

 

Pour une part, oui. Préserver ma petite et relative paix sociale, ça compte. Bien consciente que c’est fort peu glorieux. Mais c’est aussi et tout autant par refus de me faire un nom ou de rechercher une reconnaissance. Salima Rhamna, qu’elle soit le symbole de tout cela : que l’écriture n’est pas la vie (assez traqués par la vie comme cela), mais son désespoir, et l’expression d’un moi qui n’a rien à voir avec sa manifestation publique. Calaferte dit cela bien mieux : « Après tout, écrire n’est rien d’autre que s’avouer malheureux. Il serait si commode de ne jamais ruer dans les brancards ». Pour finir et puisqu’on en est aux citations, je voudrais ajouter sur ce sujet ce qu’en dit Jean Genbach dans Satan à Paris : « Et certes il me faut beaucoup de courage pour oser dire tout ceci, sans me soucier du sourire sceptique et désabusé de ceux qui ont été dupés par la littérature, et sans me soucier des menaces de tous les psychiatres à la recherche d’un nouveau fou. Il faut savoir de temps en temps revêtir son âme d’un smoking ».

 

À qui dédiez-vous ce livre ?

 

À tous ceux que j’ai cités dans cet entretien, de ma mère à Genbach, et à tous les autres que j’ai oubliés, dont Jo Bransiec.