Entretien avec Rip

 

Entretien décontracté avec Rip, auteur d’un premier roman paru chez Léo Scheer, Coke de combat, et de plusieurs nouvelles pour les éditions de l’Abat-Jour, dont une dans le premier numéro de la revue l’Ampoule qui ne fera pas plaisir à tout le monde…

 

 

Il me semble percevoir chez toi un certain dilettantisme, voire un dilettantisme certain : arrête-moi si je me trompe…

 

Je t’arrête tout de suite ! Tu dis ça parce que je suis chambreur et que j’aime déconner. C’est de la fausse décontraction, comme un musicien qui improvise sur une grille de blues : il a la liberté d’inventer des phrases mélodiques mais ne peut en aucun cas se soustraire à son devoir d’allégeance envers ces deux tyrans que sont l’harmonie et le rythme. Aah, le rythme, ce bourreau sans merci – même pas bonjour. C’est aussi paradoxal que ça. Pour répondre à ta question, je dirais que j’essaye d’être facile, de jouer simple, plutôt que dilettante.

 

Certains y verront un manque de sérieux, voire un manque de travail, d’autres – dont je fais partie – une forme de légèreté et d’élégance. Qu’en penses-tu ?

 

Les deux ont raison. Je suis un escroc. Parce qu’on n’est jamais vraiment dupe de son projet, il doit toujours y avoir, quelque part hein, un sentiment d’imposture quand propose son travail au reste du monde entre guillemets bien sûr je ne me prends pas pour un autre. Ma parole, ça me ferait vraiment chier de passer avec l’écriture pour un mec compassé, un tâcheron méritant, un genre de gendre idéal. Prendre du plaisir, pas se prendre au sérieux. Si ce n’était pas pour se marrer, perso, j’en croquerais pas. La vraie potacherie, c’est se croire si intéressant parce qu’on a couché un texte. Je pense que Shakespeare ne l’a pas ramené après avoir pondu Roméo et Juliette en 1592. Il a juste fait son taf. La vérité ne peut pas surgir d’un livre, dieu merci.

 

Comment abordes-tu l’écriture ? Quelle place tient-elle dans ta vie ?

 

D’abord, je végète, j’incube. Un moment, ça se déclare, je fais une crise d’urticaire, j’envoie du bois. Je suis un adepte de l’écriture totale, de l’écriture de la vie de tous les jours. C’est comme entretenir son corps en faisant du jogging, j’entretiens ma langue. Je ne constate pas vraiment de différence fondamentale entre la rédaction d’un mail, d’un texto, d’un poème, d’une nouvelle, d’une note de service, d’un commentaire sur un blog, d’un graffiti, d’une correspondance, d’une lettre administrative (sauf écrite avec le sang d’un fonctionnaire : un décès à la clef et le message passe tout de suite mieux). J’aspire à conquérir tous les terrains de l’écrit comme autant d’espaces de création littéraire et placer des frappes aveugles en sniper du verbe, en tagueur. Je me demande si je suis pas un peu casse-couilles finalement au quotidien. C’est pas de ma faute, je peux pas m’empêcher de faire des effets, des jeux de mots, trouver des formules, même dans un message à caractère purement informatif. J’ai déjà envoyé un poème à un huissier. Après cette riposte soignée, ce malotru ne m’a plus jamais importuné. Une fois, j’ai envoyé un poème aux Assedic pour justifier ma situation, c’est super bien passé, ma réponse a été validée en commission sans problème.

Sinon, j’ai pas mal de fonds de tiroir et fonds de disque dur, de la matière première, comme tous ceux qui se targuent d’écrire, qui serviront peut être un jour, ou pas. Probablement pas car tout est trop dispersé. Certes, quand on est un escroc, on ne crache pas sur un fond de tiroir ; encore faut-il avoir conservé la commode.

 

Es-tu partisan d’une écriture du premier jet ou retravailles-tu beaucoup tes textes ? L’apparente facilité de ton écriture due à la fluidité et à l’oralité n’est-elle qu’un leurre : es-tu un bourreau de travail ?

 

Mon bourreau de travail le plus impressionnant, c’est Deibler. Ah bin Deibler, c’est du taf propre hein. Du premier jet bien sûr, mais il te dégueulasse pas tout, le mec. Y a pas une goutte de sang sur le sol, tu peux bouffer par terre, c’est super pro. Suis adepte du premier jet pour le premier jet. Je ne me refuse rien. J’aime bien attaquer un chapitre d’une traite. Dans ces moments je vois plus le temps passer. Après, je mets un coup de papier de verre, voire j’attaque la chirurgie plastique si le texte est vraiment mal foutu, et j’ajoute quelques vannes qui me viennent, cerises sur le ghetto, pour décorer comme des bouboules sur un sapin de nowel. J’essaye de faire du beau avec du pas joli joli. J’ai une théorie sur les insuffisances de l’auteur suffisant qui font son style. À part ça, y’a pas de secret, le travail c’est le travail. C’est pas une question de méthode mais de motivation.

 

Quelles sont tes influences majeures ? Il me semble sentir celles des écrivains américains comme Bukowski, Fante, qui d’autres ? Mais aussi pas mal de la musique, non ?

 

Dans la veine amerloque des éléphants blancs tels que Buko et Fante, tu peux ajouter Brautigan. De toute façon, dès Sophocle, la leçon du Maitre des Maitres a été dispensée. Le reste n’est que littérature.

D’une manière générale je suis attiré par la vivacité du style et la clarté du propos. Baudelaire, Nietzsche, Shakespeare, Schopenhauer. Hum, pardon, mais mon cursus, c’est bac + 4…ans de prison. À 17 ans, je suis entré en collision frontale avec Verlaine, on n’a pas fait de constat, j’étais pas assuré. L’impayable PJ Wodehouse m’a appris, avec Gotlib en BD, qu’on pouvait pisser de rire en lisant. Une fois, j’achète au pif dans une collection en promo, genre Poésie du Monde, La Nuit Des Cyclades d’Erich Arendt, sans savoir qui et quoi. Première lecture, j’ai cru mourir, j’ai vu le tunnel avec la lumière blanche au bout. J’ai fait demi-tour vite fait. Dès la deuxième lecture, je tète le sein de la déesse râblée, tenant à distance le minotaure mugissant au-dessus des flots grondants du Styx. C’est intéressant Erich Arendt, son génie s’est déclaré alors qu’il affichait 85 ballets au compteur ; une super nova, étoile moribonde dont la magnitude est inversement proportionnelle à la vitalité.

 

Tu lis beaucoup ?

 

Pas trop en ce moment, pas le temps.

 

Quel genre de lecteur es-tu ?

 

Je prends des livres au hasard. Comme pour l’écriture, je carbure à l’émotion, à la lubricité dans la cité. Sinon, je lis les 13 premières pages et je pense tout connaitre de l’auteur. Je ferais un piètre éditeur. Quoique.

 

Une lecture récente qui t’a marqué ?

 

J’ai pris du plaisir à lire Oro de Cizia Zykë sur les galets de cayeux, enfin, les 13 premières pages. Sais-tu qu’on peut voir des veaux marins sortir la tête de l’eau à Cayeux ? Il y en a toute une colonie, pointe du Hourdel. Rien de tel que l’éthologie pour voir l’homme. Sinon, ma collègue Jujube (juline b), j’ai lu tout son livre en entier sans le faire exprès. J’aime bien l’idée du livre maigrichon, l’anti-pavé. Je viens d’engloutir cul sec un Poche trouvé par accident dans mes affaires : Le Jour de la Chouette, de Leonardo Sciascia, une sorte de polar mafieux. Je me suis dit : tiens tiens, Sciascia… Le Sicilien, mamma mia, une fois de plus, il m’a explosé. Le Jour de la Chouette, c’est bien plus qu’un polar, c’est toute l’âme de la Sicile couchée sur des feuillets. Tu connais Les Fables de la Dictature ? Sciascia, c’est le très très très très haut niveau.

 

Que peux-tu dire aux gens qui ne te connaîtraient pas au sujet du personnage Rip ? Pourquoi ce nom ? Sans Internet, pas de Rip et donc pas de bouquin ?

 

La blogosphère, c’est un repaire de dingos, il faut le savoir, ils sont tous là, il faut s’attendre à tout. Rip, Remington, n’est pas un personnage fictif de roman ni un nom de plume mais bien un troll. C’est lui qui a écrit Coke de combat. Comme dans San Antonio où le narrateur n’est pas Dard mais San Antonio lui-même. C’est un peu schizo comme démarche, je te l’accorde. Manou Montero (un fou de plus pour ma collection) a prédit que Rip finirait par me dévorer et prendre ma place, que j’allais devenir Rip. Après ça, il est parti dans un grand éclat de rire. D’ailleurs, c’est peut-être moi, Rip, qui te parle, Marianne. J’l’aurais déjà bouffé, l’autre. Quand j’y pense, sans ce laboratoire d’expériences sur les animaux lettrés désincarnés que fut feu m@nuscrits (je suis contre les expériences sur les animaux), je n’aurais jamais pu envoyer le manuscrit de Coke de Combat à un éditeur. Tu y crois, toi, au destin, Marianne des barricades de livres ? Et c’est avec les blogs que j’ai réalisé que quelques-uns prenaient du bon temps avec mes clowneries, tout simplement parce que j’avais des retours directs et immédiats. J’insiste, pour moi, le trollisme sur la toile est à la littérature ce que le tag et le graf sont à l’art pictural, soit une (in)discipline assez mal perçue, mal comprise, et c’est normal, car criminelle par nature. J’ai donc poussé le bouchon en créant mon avatar, Rip, petit musicien au cacheton gouailleur et griot de sa propre existence virtuelle. Il a évolué, subi quelques métamorphoses, à l’instar des créatures de jeux vidéo dont je ne suis pas fan du tout soit dit en passant. Avant les riperies, j’étais un ayatollah de la rime, je pensais écrire des textes himalayens, des vieilles faces nord auxquelles que personne ne voulait s’attaquer, à juste titre, mon rapport avec le lecteur n’était pas très net. Qui m’aime me lise était ma devise. Je me suis glissé dans la peau onirique de Rip pour inverser cette tendance et aller vers le lecteur, le prendre par la main, le faire participer à la limite. La vie n’est-elle pas une sorte de rêve ? Aujourd’hui, il y a toujours de la poésie dans mes textes mais la forme n’est pas poétique. C’est un truc que j’ai enfin pigé. Il n’est jamais trop tard. Je crois que Franck Joannic est d’accord avec ça, nan ? La tentative aussi, c’est de ne pas mâcher mes mots afin d’éviter soigneusement de servir au bibliophage une bouillie pré-chiée. Faut que ça reste sportif un minimum, au moins pour l’auteur.

 

J’ai beaucoup aimé ton livre dont j’avais déjà lu pas mal de chapitres parus sur le site des « Manuscrits » des éditions Scheer sous forme de nouvelles indépendantes… Justement, je me disais à ce propos que malgré l’aspect très plaisant de ton bouquin, tu devrais t’attaquer à un vrai roman qui se tienne de bout en bout et pas une simple juxtaposition de petits textes bien troussés ? Est-il aussi envisageable pour toi d’écrire autrement qu’à la première personne ? Je ne parle pas d’autobiographie ou d’autofiction mais de forme et de style.

 

Évidemment Marianne que je peux écrire autrement qu’à la première personne, c’est du niveau CE2 comme exercice. Quand je dis je, je dis tu. Quand je dis tu, je dis je-tu-il-nous-vous-ils. À mes yeux, les riperies représentent davantage qu’une simple compilation de petits textes comme tu dis : il y a une unité de lieux, de temps (au pluriel), une sorte de récurrence d’où émerge la distribution, la galerie de personnages plus ou moins principaux. En ce moment, je couve des petits œufs de krokrodile, la suite de Coke de Combat qui sortira, normalement, sauf déviation obligatoire pour cause de travaux rue de l’Arcade, chez Léo Scheer. Ce sera rédigé à la première personne, tout simplement pour rapprocher le lecteur du narrateur, pour créer la connivence. De là à écrire un « vrai roman », non, quand même pas, je n’ai aucune envie de tomber aussi bas, je garde ma dignité. Tant que j’aurai encore un minimum de fierté, je ferai tout mon possible pour écrire des faux romans, des faux textes.

 

Pourquoi Léo Scheer ?

 

Léo, c’est tout simplement l’homme qui, par l’entremise sans jeu de mot de Florent Georgesco, m’a proposé de sortir un bouquin. Le monde dans lequel nous nous dépatouillons est tellement irrationnel. Attends, Florent Georgesco, un matin, ou peut-être une nuit, me dit entre 4 zyeux : on pense que tu dois exister en tant qu’écrivain. Chaipa, c’est bizarre.

Récemment, en toute décontraction, on parlait de Léo Scheer avec un auteur plutôt célèbre hein et fils de jazzman. Il avait l’air de bien le connaitre. Pour lui, Léo Scheer, c’était juste le meilleur éditeur de la place de Paris, le plus classe, le plus correct. C’est vrai qu’il est sympa, très cool malgré ce CV léonin qui impose le plus strict respect hiérarchique, libre, ouvert d’esprit et même facétieux, on le sait tous grâce à son blog. En plus, ce qui ne gâte rien, Léo n’est pas une pince, il régale, le mec. Royal au bar. Moi, tu sais, je suis pas compliqué, j’accepte les cadeaux de la vie avec générosité.

 

Pourquoi l’Abat-Jour ? 

 

J’ai suivi cette tête d’ampoule de Paul Sunderland sur les conseils de Jujube (juline b), au début, dans l’espoir d’obtenir un peu de visibilité et, peut-être d’une manière plus inconsciente, me confronter au regard sélectif de Francky qui a la réputation de recaler pas mal de monde, et pas des moindres, car je suis élitiste, enfin, intimiste plutôt. J’ai bien senti que le garenne n’était pas du genre à tricher et qu’il avait l’amour du texte et de ses auteurs. L’Abat-Jour, c’est gratuit (personne n’est vainqueur / des proies des prédateurs), ça ne mange pas de pain ni blanc ni noir, je ne suis pas comme un libre penseur pieds et poings liés. C’est très agréable d’avoir un espace à la fois d’abandon et de reconnaissance comme celui de l’Abat-Jour. Et Franck et toi, vous êtes crédibles, dans le bon tempo/esprit. Vous bossez sérieusement quoi. Le boulot de corrections avant parution est fait – sans censure bien sûr. Même si certains me soufflent de faire attention, que toi, Marianne, par rapport à certaines de tes sorties, tu aurais peut-être des comptes à régler avec mon éditeur parisien et que je pourrais en faire les frais. Je ne vois pas pourquoi et ne me pose surtout pas en victime collatérale, je n’ai rien à expier. Sur ce coup, si passif il y a, je me vois plus en pacificateur, bien que ce ne soient pas mes oignons au fond. Vous êtes, pour comparer ce qui est comparable, tous les deux, Abat-Jour et Scheer, des pionniers de l’édition en ligne et à ce titre, vous vous rapprochez naturellement.

 

La suite ? Qu’est-ce que tu nous prépares ?

 

Bin, comme dit plus haut, la suite de c2c est en route, avec un titre bien accrocheur, assez marrant. J’ai du pain sur la planche en tout cas. J’ai peut-être aussi un projet avec mon journal carcéral que je publierais volontiers. Il est fini d’écrire, tu penses bien, même si on quitte toujours une prison pour une autre. J’affectionne la forme du journal parce que ce qu’on doit retenir du propos s’écrit en creux. Mais bon.

 

Parles-nous un peu musique et foot : je crois savoir que c’est tes deux autres passions avec l’écriture ?

 

Je te remercie de me poser cette question Marianne car pour moi la pratique du football passe avant la prose, la zique et même les femmes. Je suis maradonien bien avant d’être strausskhanien. J’ai commencé à jouer en compétition à neuf ans et, même si c’est pour bientôt, je ne me suis encore jamais arrêté. Au foot comme en poésie, on joue avec les pieds et on dit des grands joueurs qu’ils sont des artistes du ballon rond. Mon ex m’avait posé une condition, c’était elle ou le foot. J’ai assumé, je suis donc célibataire. Mon goût pour ce sport, qui touche au divin et rappelle à l’ordre lui-même des planètes, je n’ai pas peur de le dire, m’a sauvé la vie – en taule notamment. Si je dois choisir un archétype pour me définir, alors je suis le guerrier, au sens primitif du terme et le foot, c’est la guerre dans les règles de l’art aristocratique. Le sport, c’est aussi la vérité du terrain. Je dois tellement au football. J’ai en partie remboursé ma dette : je ne joue plus que sur une jambe. Ma souveraineté sur mon lit d’hôpital. Je ne peux même plus m’accroupir pour la photo, la mort rôde. Je ne récupérerai pas la caution quand je rendrai mon squelette à la maison mère.

Sinon, effectivement, mon premier métier, c’est musicien : balochard et auteur-branleur-compositeur-interprète. Mais ce n’est pas une passion. Je suis tombé dedans quand j’étais petit. Je suis toujours marié avec ma californienne, une StingRay 76 que j’ai rencontrée à Pigalle à la fin des années 80. À l’époque, j’ai bien gagné ma vie dans le métro. L’acoustique y est toujours remarquable. Le métro, c’est la cathédrale des mendiants et des voleurs. Le secret, c’est de toujours garder sur soi le sou fétiche, la pièce de cinq francs à mettre dans le chapeau ; le public pressé du métro parisien n’a rien contre personne mais a besoin qu’on lui indique clairement ce qu’il doit faire. (Il fredonne un air). En fait, je ne chante pas, je chantonne. On peut dire que je suis également chantonneur.