Entretien avec N.A.G.

 

Interview de N.A.G., écrivain et musicien, auteur d’un premier roman « Des fauves » publié aux éditions Kirographaires et de plusieurs textes publiés sous l’Abat-Jour : « La présidente », « Revanche » 1, 2 et 3, « Mécanique de l’explosion » et plus récemment « Une Rétribution ».

 

Une explication de votre pseudo s’impose pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore : pourquoi N.A.G. ?

 

Ce sont tout simplement mes initiales. En anglais, le verbe « to nag » veut dire harceler, tourmenter, et le nom commun « nag » signifie cheval. Vieux cheval fatigué. Maintenant, N.A.G. est mon pseudo de lecteur-performer. J’en aime le son court et neutre, j’aime bien le voir écrit aussi. En revanche, il semble que mon premier roman « Des Fauves » sera signé Nicolas Albert G qui me paraît plus adapté à la littérature que je propose. Plus intello, en somme (sourire radieux). J’ai l’impression que quelqu’un qui achète un roman signé N.A.G. s’attendra à un truc nerveux, agressif. « Nicolas Albert G » laisse planer plus de mystère, vous ne trouvez pas ?

 

Un petit C.V. express pour vous présenter à ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?

 

Bien. J’ai passé ma petite enfance entre trois pays. Iran, Maroc et France. Et puis mes parents sont revenus en France, en Anjou pour être précis, où j’ai passé le reste de mon enfance et mon adolescence. J’ai fait quelques études d’anglais à Tours, quelques voyages aussi. J’habite toujours dans le Centre de la France. J’ai été marié, j’ai un enfant. À présent je consacre la plus grande partie de mon temps à la lecture et l’écriture et à tout ce qui peut s’y associer (rêvasser, s’angoisser, créer, douter, projeter, régresser, etc.).

 

Je trouve que le glauque vous va bien : toutes les nouvelles (surtout « Une Rétribution ») que j’ai pu lire de vous sont d’une noirceur peu commune, comment expliquez-vous cela ?

 

Eh bien, quand je décide de faire une nouvelle à partir d’une idée, je donne toujours plus de crédit aux idées sombres et obsessionnelles. J’ai l’impression qu’une idée sans cul, sans folie, sans une dimension sordide, n’intéressera personne. Je sais aussi que je serai vite à court d’inspiration si je ne m’embarque pas sur ce genre de territoires. Il m’arrive d’écrire des choses plus optimistes parfois. J’ai du mal dans ce cas à dépasser une page ou deux. Cela doit être dû à la merde entassée dans mon cerveau et à mes influences artistiques.

Mais c’est évidemment une question qui m’obsède. Dans le cas de mon roman, j’ai essayé d’alléger le propos en utilisant la distanciation, l’humour, l’ironie, le comique de situation parfois. C’est manifestement réussi si l’on s’en réfère à la lettre de refus écrite par une gentille dame de « Le Dilettante » au sujet de mon livre : « une atmosphère glauque au-delà du possible. Trop de complaisance dans le sordide… ». À l’instar de l’industrie musicale (avec le MP3 par exemple), l’industrie du livre tend à publier des choses sans « crêtes », sans joie ni douleur, une littérature du milieu qui m’emmerde un peu… Je pense que ceci répond aussi à votre question.

 

Dans « La Présidente », on décèle une dimension SF : avez-vous lu beaucoup de SF ? Êtes-vous influencé par ce genre ?

 

Ah non, pas du tout. Je ne connais rien du tout à la SF. Cette nouvelle est née d’un pari avec moi-même : écrire une nouvelle dénuée de toute dimension autobiographique. Du style et de l’imagination purs. Alors forcément, que cela ait pu rejoindre certains aspects de la SF, ce n’est pas étonnant. Mais le côté « anticipation » de m’intéresse pas tellement dans cette nouvelle. Je veux dire, le fait que la présidente soit filmée, etc., le message politique derrière tout cela, je m’en foutais, les idées venaient en écrivant. Ce qui m’intéressait, c’était l’enchaînement des phrases et le mal-être des personnages. J’ai eu un mal de chien à finir cette nouvelle. Je crois que quelqu’un qui s’intéresse à la politique pourrait faire un roman correct à partir de l’idée forte de cette nouvelle.

 

Le style est important dans vos nouvelles : est-ce les stylistes qui vous plaisent en littérature ? quels sont vos modèles ?

 

Je dirais que dans tout ce que j’ai pu écrire jusqu’ici, le travail sur le style a occupé 80% de mon temps. Ce que je raconte me préoccupe peu. Je pars d’une phrase qui sonne bien et j’écris ma petite musique, le temps que veut bien durer l’orgasme. J’écris comme on éjacule en effet, sans penser aux conséquences… D’ailleurs je suis toujours troublé de recevoir des commentaires portant sur le contenu de mes textes. Mes proches me disent : « C’est insupportable de lire ça quand on te connaît, on a l’impression de violer ton intimité… ».

Bref, il serait sans doute temps que je commence à réfléchir à tout ça. « La Présidente » est née de ce genre de considérations.

En tant que lecteur, je suis plus tolérant. J’accepte de me laisser embarquer par une histoire bien foutue, un truc qui me parle, même si le style me paraît neutre.

Il est vrai toutefois que ceux qui m’influencent le plus sont souvent rangés dans la catégorie « stylistes » : Djian, Jaenada, Hervé Guibert, Claude-Louis Combet chez les Français. Selby Jr, Dennis Cooper, Wojnarowicz, Bukowski, Welsh, Hemingway chez les Anglo-Saxons.

 

Quels sont vos auteurs de prédilection ? Dostoïevski peut-être ?

 

Dostoïevski m’a sauvé la vie. Il m’a accompagné à un moment délicat de ma vie. J’ai tout lu de lui en quelques mois. Ce fut une expérience magnifique, voir cet homme peaufiner sa version de l’existence phrase après phrase après phrase… La manière dont la vérité s’insinue dans le doute, chez Dostoïevski, est stupéfiante. Il écrivait comme il respirait.

Parmi mes auteurs de prédilection, outre ceux évoqués précédemment, je citerais Emily Brontë, Lou Reed ou Julien Gracq ― je les cite car le je les ai lus in extenso. Il y en a bien sûr beaucoup d’autres qui me plaisent.

 

Quel genre de littérature détestez-vous ?

 

Tout ce qui relève de la littérature confortable, sans risque ni surprise, la littérature du « clin d’œil au lecteur », la littérature molle, sans style particulier, qui consiste à dire au lecteur ce qu’il a envie d’entendre sans fautes d’orthographe et dans un français propre. Tout ce qui ne frappe pas fort, tout ce qui ne cherche pas le sublime ou l’infâme, bref, 95% de ce qui se publie dans ce délicieux pays.

 

Pourquoi avoir créé un blog ? La publication de textes sur votre blog remplace-t-elle la publication par une maison d’édition (en version papier ou numérique) ? 

 

L’auto-publication sur Internet est très excitante. Elle permet un retour critique régulier sur ses propres textes. On devient plus visible, grâce à l’association de son blog aux réseaux sociaux. J’ai crée ce blog pour promouvoir mon travail (écriture, musique), le partager avec d’autres et m’engueuler avec tous les écrivains connards qui traînassent sur la Toile. Après, la publication papier reste mon objectif principal. Quoi de plus merveilleux que de participer à la Grande Rentrée Littéraire par exemple, comme ce sera mon cas cette année ? Je frémis à l’idée d’avoir mon dogue argentin aux côtés des couvertures ivoire foncé de la NRF, des jaunes diarrhéiques de Grasset, etc. Non, sérieusement, je suis assez pragmatique, si j’écris quelque chose que je juge être un roman valable, je l’enverrai de nouveau aux éditeurs, sinon je publierai sur mon blog, je ferai des lectures dans des salles municipales, et voilà… 

 

À ce propos, parlez-nous un peu de votre parcours éditorial : j’ai lu que vous aviez publié de la poésie et des textes courts, notamment dans des revues…

  

C’est arrivé. J’ai publié dans les revues Dissonances, Dégaine Ta Rime, L’Angoisse N°7 (l’excellente revue de Koonstrukt), je publie aussi des choses sur FPDV, une plate-forme en ligne réunissant des artistes du visuel, du sonore et de l’écrit.

En 2008, j’ai publié un recueil avec Dan Leutenneger, pour sa petite maison indépendante Bouquinstinct. Il s’agit de poésie et de textes très courts.

 

Vous venez de publier « Des fauves » aux éditions Kirographaires : dites-nous en plus sur ce livre, quand l’avez-vous écrit ? dans quelles conditions ? quel en est le sujet ?

   

Le livre est en cours de publication pour être précis. La sortie semble être prévue pour septembre ou octobre. C’est un roman en deux parties. J’ai écrit la première en 2009, sur environ un mois, d’un trait. Cela raconte la fuite d’un type vers le Nord. Au cours de son trajet, il rencontre une jeune femme qu’il blesse et laisse sur le bord du chemin. La première partie raconte la vie croisée de ces deux personnages pendant un an. La deuxième partie fut beaucoup, beaucoup plus longue à prendre forme. Elle traite, au contraire, d’immobilité, de l’impossibilité de s’évader, au propre comme au figuré. Les deux personnages se retrouvent dans la même ville et une drôle de relation commence à se nouer entre eux. Bref, je suis arrivé à bout de cette partie en copiant-collant des nouvelles écrites indépendamment du roman, en faisant intervenir des personnages différents, avec de nouvelles voix, un vrai cauchemar au bout du compte. Somme toute, avec un peu de recul, je dirais que je ne suis pas mécontent du résultat final. Le lecteur suit deux itinéraires chaotiques qui parviennent, semble t-il, à toucher, deux intenses morceaux de vie qui se croisent et se décroisent. Comme une sorte de danse moderne, mais une danse disharmonieuse, une danse épileptique.

 

Vous avez un groupe, Horses eat sugar qui revendique des influences telles Joy Division ou Radiohead : quelle place tient-il dans votre vie créative ?

 

Ce groupe n’existe plus dans sa formation initiale. Frédéric Parquet (de l’excellent groupe Mechanism for people) et moi avons composé quelques chansons depuis la mort prématurée du groupe dont nous avons mis quelques démos en ligne, mais pour l’heure, le groupe n’existe plus officiellement (même s’il continue d‘occuper une place dans mon cerveau et celui de Fred, j’en suis sûr).

 

J’ai notamment remarqué une chanson intitulée « Richard Ford ». C’est un écrivain que j’aime beaucoup, en particulier pour sa trilogie composée d’ « Un week-end dans le Michigan », « Indépendance » et « L’état des lieux » : l’avez-vous lue ? Et pourquoi lui consacrer une chanson ?

 

J’aime bien les chansons sur les écrivains, ça fait classe vous ne trouvez pas ?

Cette chanson dit : « Je ne suis pas le genre de personne vicieuse qui regarde les choses se produire sous ses yeux sans tenter d’intervenir, car j’ai lu tout Richard Ford ». C’est évidemment un propos ironique. Grosso modo, cela parle d’un type qui met le feu à sa maison sous le regard goguenard de son épouse.

J’ai été impressionné aussi par la trilogie dont vous parlez. Bascombe est un personnage extraordinairement riche et développé, à la fois loser et winner. Je suis admiratif des écrivains comme Ford, capable de se pencher sur leur œuvre des années durant, modelant chaque détail, tournant et retournant chaque situation jusqu’à trouver le ton juste. Je n’ai pas la patience pour ça, pas pour le moment. Les personnages que je mets en scène m’ennuient trop vite, alors je les fais devenir fous et je m’en débarrasse. Je les massacre.

 

Pourriez-vous nous parler de l’articulation entre le travail d’écriture et celui de l’interprétation (je pense en particulier aux lectures-performances) ?

 

Ce travail est parti de vieilles bandes qui me restaient de Horses eat Sugar. J’ai commencé à réciter des textes dessus et j’ai bien aimé le résultat. Dans le même temps, j’ai croisé des lecteurs-performers comme Romain Mercier (feu Boris Crack), Christophe Siébert (Konnstrukt), Nada, etc. Ils m’ont permis de prendre conscience qu’une petite scène existait en France, et que cela était un moyen moins con que d’autres de promouvoir son écriture. J’ai également rencontré Quentin Mercier, vidéaste berlinois de talent, et nous travaillons actuellement à un spectacle de lecture-performance ensemble. Cela s’appelle « Redditions ». Il s’agit de huit textes lus sur fond musical original et accompagnés de projections vidéos. C’est extrêmement excitant de faire ça, cela permet de sortir de son appartement, de se mettre nu devant les gens, de se vider les tripes et de séduire les filles.

Comme je vous le disais, j’ai toujours privilégié une écriture « musicale » de toute façon. Très rythmée. J’écoute le bruit des touches sur le clavier quand j’écris, cela me donne la pulsion de l’histoire. Pas étonnant que j’aime mettre quelques histoires en musique de temps à autre.

 

Quels sont vos projets à moyen et long termes ?

 

Le 18 septembre, je jouerai mon spectacle « Redditions » dans le cadre des Portes Ouvertes de L’association EMMETROP (asso d’art alternatif de Bourges). Sont invités aussi Romain Mercier, Soupe Auchou, Christophe (Konnstrukt) Siébert, Nada. Après, j’aimerais bien que Kirographaires se réveille et que l’on passe à la phase de publication effective de mon livre. Je pourrai alors sillonner la France pour faire de petites lectures promotionnelles. Sinon, je continue d’écrire des nouvelles, alors l’idée d’en publier un recueil m’intéresse. Je pense disposer de suffisamment de matériau début 2012. Que dire d’autre ? J’ai commencé une douzaine de romans aussi ces derniers temps…