Entretien avec François Cosmos
Interview déroutante du professeur François Cosmos, auteur pour l’Abat-Jour de plusieurs nouvelles dont le Quotient Esthétique, L’Invention du pistolet et Au Cygne noir, et d’une des contributions les plus réussies au premier numéro de l’Ampoule, Pierre Ménard a existé.
Précisons pour commencer, chère Marianne, que j’ai confié le soin de répondre à vos questions à mon biographe officiel, Guy Van Stratten, que j’estime mieux placé que moi pour le faire, car il est maintenant censé me connaître mieux que moi-même ; « Gnôthi seauton », répétait l’autre, ça ne lui a pas tellement réussi, aussi j’ai préféré me parer d’un fusible qui puisse boire la ciguë à ma place en cas de nécessité.
J’ai engagé ce garçon il y a une bonne douzaine d’années, au moment où il débutait une carrière tout sauf prometteuse dans le même Centre de Recherche Intensive que moi (Université de Munch). Il végétait quelque peu, ne sachant vers quoi orienter ses travaux après un doctorat consacré à « L’Art de l’aporie dans le seul film connu de Samuel Beckett : Film », aussi je n’ai pas eu besoin de beaucoup de virements bancaires, et point trop coûteux, pour le persuader que j’étais le bon cheval pour envisager une trajectoire glorieuse vers un poste de directeur de recherche ou de professeur de classe exceptionnelle, puis de P-DG de Pôle universitaire, en passant par une chronique dans le Monde des Livres ou à France Culture, voire une émission entière comme producteur, et une place d’expert débatteur sur les plateaux télés, face aux Ferry et Zemmour de l’époque, parmi lesquels on comptait déjà BHL. Je l’alimente régulièrement depuis avec des photos sur lesquelles on peut m’apercevoir, des coupures de presse, des courriels d’injures, des notes de restaurants, les vêtements dans lesquels je n’entre plus, des brouillons plus ou moins authentiques, mes boîtes de médicaments et de préservatifs périmés, etc. En effet, mon souci principal en le recrutant n’était pas tant de lui permettre d’édifier un monument à ma gloire, je m’en charge très bien tout seul, que de vérifier qu’un chercheur y consacrant l’entièreté de son temps de travail, pendant toute sa vie, ou toute la mienne, ne parvienne jamais à savoir et surtout à comprendre quoi que ce soit d’important ou de sensible à mon sujet. Il me fait parvenir de temps à autre un état d’avancement de ses recherches, et, sauf s’il m’en cache l’essentiel, ce que je ne crois pas car il ne me paraît pas assez intelligent pour imaginer le faire, j’en suis sans cesse rasséréné : on ne saura jamais qui je suis, ni ce que j’aurais vraiment été.
Je ne vous cache pas que j’ai corrigé par-ci par-là ses réponses, sur le plan du style et même de la simple syntaxe d’abord, mais également du fond, quand elles paraissaient trop manifestement fausses, ou au contraire quand elles n’étaient que trop vraies. Je suis même parfois intervenu directement (entre parenthèses) lorsqu’il n’y avait vraiment rien à sauver de ses élucubrations, ou pour quelques commentaires ― vous me connaissez déjà suffisamment pour savoir comme je peux devenir taquin quand on m’emmerde !
Doit-on vous appeler « professeur », cher Cosmos ? Si oui, dans quelle lignée ? Professeur Corbiniou (Desproges) ? Professeur Rolin ? Professeur Choron ?
Guy VAN STRATTEN : C’est effectivement le titre qui est inscrit sur les cartes de visite du dénommé François Cosmos, qu’il nous remet solennellement à chaque fois qu’il se produit un changement dans ses attributions, son affiliation, le logo d’une de ses tutelles ou d’un de ses sponsors. Toutefois, nous le soupçonnons de les fabriquer lui-même, car elles ne sont même pas massicotées et on y voit souvent clairement la marque des ciseaux, et leur déviation par rapport à la ligne maladroite qu’il a tracée, ou fait tracer, à la main, à la règle et au crayon, sur la feuille cartonnée d’origine. Et nous ne l’avons jamais rencontré dans aucun local de l’Éducation Nationale : il nous fixe toujours rendez-vous dans des campings, où il loge dans des caravanes ou des mobil-homes, ou alors, toujours le midi, dans des brasseries pour un déjeuner, au hasard de ses déplacements ou des nôtres.
Il n’en reste pas moins qu’il a tout d’un professeur, fort l’allure, à part la blouse blanche dont il se déguise, nous pensons, quand il nous reçoit sur le terrain de ses « recherches », une fourmilière géante de plus de 150 km de long qui s’étend entre les Alpes et le Jura et dont il suit la progression depuis des années, de camping en camping. Il se présente comme un sociologue des fourmis, mais, précise-t-il, pas à la manière des sociobiologistes comme E. O. Wilson, qui ont imaginé y trouver des constantes contrôlant toutes les sociétés animales, société humaine comprise. Il prétend y chercher l’inverse, en creux, à savoir les spécificités humaines qui sont absentes de ces sociétés animales, et qui ont permis à nos ancêtres de se hausser au-dessus de leurs congénères. Il serait ainsi à l’origine d’une nouvelle science à laquelle il a lui-même donné un nom la différenciant de la précédente, la biosociologie. Toutefois, quand on tape « biosociologie + Cosmos » dans n’importe quel moteur de recherche, non seulement on ne le trouve nulle part, mais on tombe sur des documents dont on se demande s’il faut en devenir fasciné ou en rire avec angoisse.
Pour en venir à la seconde partie de votre question, l’écrivain Cosmos est comme l’accomplissement d’une forme de synthèse entre les trois lignées de « professeurs » que vous évoquez : Desproges pour la méchanceté anxieuse, Rolin pour l’absurde assez affable, Choron pour la bêtise et les marcels qui sont sa tenue d’intérieur préférée, été comme hiver, dans ses caravanes surchauffées, l’été, par effet de serre, l’hiver grâce à une batterie de radiateurs électriques fonctionnant au maximum sans la moindre considération pour le réchauffement de la planète ni pour les économies que l’État français se doit de réaliser sous peine d’aller se faire voir chez les Grecs ― car, comme fonctionnaire de cet État, nous n’avons aucun doute sur le fait qu’il se fasse rembourser ses factures, comme nos notes de restaurants, au titre de frais de missions, par son administration.
Quel est votre « parcours littéraire » ?
GVS : L’élève COSMOS François a obtenu son baccalauréat série A, la série littéraire de l’époque, en 1972, au lycée François-Cavanna de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), avec la mention « passable ». Il a ensuite mis trois bonnes années à décrocher, avec les plus grandes difficultés, un DUT de « Techniques littéraires appliquées à la mobilité et à la promotion sociales » à l’IUT de Créteil (Université Paris 12, rebaptisée depuis Université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne pour faire mieux tout en faisant moins bien). Il y a ensuite un blanc de plus d’une décennie dans sa biographie, dont nous ne sommes pas encore parvenu à éclaircir le côté obscur jusqu’ici. Notons que c’est l’époque où nombre d’écrivains d’aujourd’hui, parmi lesquels beaucoup de Rolin qui en gardent un ton nettement plus professoral que le Professeur Rolin que vous avez évoqué, ont plongé dans la clandestinité pendant plusieurs années : branche militaire non violente de la Gauche prolétarienne pour les deux frères, branche Jim and Love de la gauche germanopratine pour Dominique, etc.
Si l’on accepte l’idée que François Cosmos est bien professeur dans l’enseignement supérieur, il doit également avoir profité de ces années d’inactivité clandestine pour passer un autre diplôme par correspondance, écrivant ses devoirs depuis les cuvettes au sous-sol du Café de Flore ou des Deux Magots, ou une cabane en bois ou une mauvaise tente au cœur de la jungle bolivienne ou bengalie, car on n’accède plus depuis bien longtemps déjà à ces métiers avec un simple diplôme BAC+2 ou 3. Mais, comme nous l’avons dit précédemment, nous croyons peu à cette incroyable hypothèse d’un Cosmos véritable professeur des universités.
Pour la suite, tout ce qu’il a publié jusque-là dans la veine François Cosmos est assez correctement et sincèrement répertorié dans son blog.
Comment êtes-vous arrivé sous l’Abat-Jour ?
GVS : C’est une question à laquelle il serait extrêmement difficile de répondre au sujet de n’importe lequel d’entre nous, à part Emmanuel Kant. Mais, comme le philosophe de Kőnigsberg, l’individu François Cosmos a des habitudes extrêmement réglées, jusqu’à la manie, voir l’absurde, et presque la folie douce-amère ― il en est d’ailleurs conscient, et dit souvent de lui-même sans aucun humour : « Je suis un control freak, comme Nathalie Dessay ». Ainsi, à chaque fois qu’il nous reçoit dans son home, en maillot de corps en toute saison comme nous l’avons déjà dit, il nous invite à nous asseoir dans l’un des deux fauteuils, toujours le même, se dirige vers le frigo dans lequel il prend deux bières sempiternellement tièdes, puis revient vers le fauteuil qui fait face à celui dans lequel nous nous tenons enfoncé, et là, il ne peut se produire que deux évènements : soit le coin de la carpette belge beige mitée qu’il devrait enjamber est relevé, et alors il le rabat du plat du pied ; soit il ne l’est pas et il le fait alors systématiquement, mais non intentionnellement, rebiquer en abordant la carpette, et alors, avant de s’asseoir à son tour, constatant le désastre, il revient sur ses pas pour le rabattre comme il faut. Enfin, l’air satisfait, il se laisse choir de toute sa masse en plein cœur du fauteuil en velours qui nous fait face, lui faisant émettre des fumerolles de poussière qui s’élèvent gaiement dans la lumière de l’abat-jour que nous n’avons jamais connu qu’allumé.
(FC : Je me demande parfois s’il est vraiment aussi con ou s’il joue seulement à le paraître. Je suis arrivé sous L’Abat-Jour en suivant le conseil de Pierre Jourde, qui disait du bien du travail d’édition humoristico-électronique de Franck Joannic sur son blog Confitures de culture, et au blog de Jourde en lisant une chronique de Pierre Assouline consacrée aux blogs d’écrivains dans le Monde des livres, la chronique d’Assouline étant à peu près tout ce qu'il reste d’intéressant à lire dans le MDL, à part les papiers de René de Ceccatty et, la plupart du temps, ceux de Roger-Pol Droit ― mais ce dernier s’est fait poisser dernièrement comme conférencier dans une croisière de luxe en compagnie de Luc Ferry.)
Vous êtes très éclectique dans vos nouvelles : peu de choses en commun entre le « Quotient Esthétique » et votre enquête étonnante pour le HS de l’Ampoule…à part peut-être le goût pour les notes en bas de pages et le para-texte. Est-ce une volonté de ne pas vous enfermer dans un style ? Des textes écrits à des dates différentes ?
GVS : Nous nous permettrons de ne pas être d’accord avec vous, en particulier pour les deux textes que vous citez en exemple, puisque ce sont, dans les deux cas, des détournements de « standards » de la littérature savante, article scientifique pur et dur pour le premier (Le Quotient Esthétique), essai historico-littéraire pour le second (Pierre Ménard a existé). Le modèle en est évidemment, comme l’indique le titre complet du Quotient Esthétique, Modeste Proposition d’introduction d’un indice permettant de quantifier de façon extensible la beauté féminine : le Quotient Esthétique (QE), la Modeste Proposition […] de Swift, détournement de la littérature économique de l’époque ― un brouillon de notre auteur, découvert par nous sous son lit parmi les mégots et les paquets de cigarettes, laisse penser qu’il préparerait, ou aurait songé à écrire, une véritable Modeste Proposition contemporaine, à partir de la célèbre déclaration de Laurence Parisot (Le Figaro, 30 août 2005) : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »
Vous avez toutefois parfaitement raison de soupçonner des textes écrits à des dates différentes ― Cosmos n’est pas ambidextre, d’ailleurs – : Petibou est très probablement la première nouvelle qu’il aura achevée, et Le Quotient Esthétique et Pierre Ménard a existé sont les deux dernières qu’il ait écrites. On peut donc en profiter pour noter sa relative progression, l’expérience aidant, sur l’échelle inversée de la médiocrité littéraire.
Vos textes sont tous marqués en revanche par une forte recherche romanesque et le souci de présenter vos histoires comme « authentiques » (témoignages, correspondance, pseudo-étude scientifique, investigations fictives, etc.), dans lesquelles le Professeur Cosmos joue souvent un rôle important. Comment définiriez-vous ce style ?
GVS : Une « forte recherche romanesque », vous trouvez, vraiment ? Des histoires présentées comme « authentiques » ? Un « style » ? (FC : Chère Marianne, même quand elles ne sont pas parfaitement pertinentes, sans vouloir être impertinentes, vos questions restent toujours paradoxalement fécondes et stimulantes. Ce GVS est d’une génération à qui l’on n’a pas appris la plus élémentaire politesse, et qui range la galanterie au rayon des agressions sexuelles.)
Nous ne dirions pas que Cosmos présente ses « histoires » comme authentiques, au contraire, dès le titre, les premiers mots, ou le premier rebondissement, le lecteur sait qu’il est dans le faux. Ces dispositifs ont vraisemblablement pour but, si ce n’est pour effet, de jeter le trouble sur les modèles littéraires qu’ils démarquent, de les dissoudre de l’intérieur. On pourrait comparer cette approche romanesque à la fameuse « distanciation brechtienne » au théâtre. C’est en tout cas l’exact contraire du mentir-vrai aragonesque, et, s’il faut absolument la définir, ce serait un jurer-faux, ou encore, en référence à l’un des aphorismes cosmotiques, posté le 7 août 2009 sur son blog, un prêcher-faux : « MA DEVISE : Prêcher le faux pour atteindre au Vrai ».
Borges et vous : une longue histoire ?
GVS : Nous avons préféré lui poser la question directement, remonter dans le passé d’une personnalité telle que Cosmos relevant de la gageure et outrepassant les limites du travail du biographe, quand il est déjà souvent impossible de savoir ce qu’il a fabriqué la semaine dernière. Ci-après sa réponse, expurgée de ses hésitations, de ses éternelles répétitions et de son bégaiement :
François COSMOS : Borges aura été, pour ma génération, notre Harry Potter, comme le furent également Sherlock Holmes ou, pour d’autres générations, Dino Buzzati ou Philip K. Dick, c’est-à-dire, au-delà même du plaisir de la lecture et de l’ouverture à d’autres mondes possibles ou d’autres visions de notre monde en apparence si étroit et si banal, une marque de reconnaissance nous faisant nous sentir différents, et, il faut bien le dire, un peu supérieurs aux autres (parents, frères et sœurs, footeux, dragueurs précoces, etc.), tandis que nous ne faisions au contraire que satisfaire inconsciemment comme les autres moldus nos bas instincts grégaires.
Je ne l’avais pas, ou que peu, relu depuis mon adulescence, et je dois dire que quand j’ai été obligé de le faire en totalité sous l’aimable contrainte de Franck Joannic, j’en ai surtout aperçu les grosses ficelles, et l’apparente facilité avec laquelle il semblerait que l’on puisse réécrire ses nouvelles comme Pierre Ménard a réécrit le Quichotte.
Quelles autres influences littéraires revendiquez-vous ?
GVS : Elles ne sont pas très originales, et peuvent être facilement repérées, mais nous ne dirions pas qu’il les revendique, car le citoyen Cosmos ne revendique probablement plus rien depuis longtemps : Kafka et Gombrowicz (La Lance rompue), Swift et Perec (Le Quotient Esthétique), José Lezama Lima, le « Proust des Caraïbes », et notre Marcel national lui-même (pour la forme seulement : Le Premier Conte du hamac), Stendhal et Alphonse Allais (Au Cygne noir), Dick Laan et Swift encore (Petibou), Nabokov (Pierre Ménard a existé), Manuel Puig (Donostia), Nietzsche pour l’allure du blog, Jean-Marie Bigard pour le fond. Des textes inédits auxquels nous avons pu avoir accès sont presque entièrement démarqués de Melville Herman, Roth Philip, Kiš Danilo, ou de Borges quand lui-même indiquait faire du Lovecraft. Les « aphorismes », plutôt qu’une influence, semblent plutôt représenter quelques croisements, des coïncidences, car beaucoup préexistaient à la lecture par notre auteur de ces autres auteurs : Jan Zabrana, Philippe Muray, Lichtenberg ― toutefois François Cosmos a par ailleurs publié quelques recueils sous le pseudonyme de Georges-Christophe Montclair, la question reste donc ouverte, et nous nous faisons fort d’y répondre prochainement.
Nous dirions pourtant qu’il s’agit dans l’ensemble de mauvaises influences, les résultats étant loin d’atteindre même l’ombre portée de ces « modèles ». Certains éditeurs ou lecteurs de maisons d’édition, qu’ils acceptent ou pas ces textes, ne se sont d’ailleurs pas privés de pointer ces insuffisances pour les reprocher à notre auteur, opposant par exemple Borges à Gombrowicz (Lakis Proguidis pour La Lance rompue), Claude Simon à François Cosmos alors que le second n’avait jamais lu le premier (un imbécile anonyme, lecteur du Premier Conte du hamac pour L’Arsenal), ou Lautréamont à notre auteur (dans ce cas, évidemment… Une lectrice, semble-t-il, sensible et sensée, de L’Arsenal, pour Au Cygne noir).
Heureusement pour le moral de notre auteur, l’enthousiaste Franck Joannic voit des influences bénéfiques partout, bien que peut-être sous l’effet des graines germées de Bègles, lesquelles, en plus d’une action laxative, pourraient donc avoir parfois un effet hallucinogène : les Monty Python, Lovecraft et Borges pour Au Cygne noir, Desproges pour Le Quotient esthétique et Le Premier Conte du hamac, Garcia Marquez en guest star pour ce dernier texte ― « la maestria en moins » précise-t-il tout de même, ce qui rassure sur l’évolution favorable de son état de santé.
Je sais que vous vous qualifiez d’« écrivain du dimanche matin » dixit votre blog mais quelle place occupe l’écriture dans votre vie (le blog, les nouvelles, un roman ?) ?
GVS : Voilà enfin une question facile, étant donné que parmi les « aphorismes » encore inédits de notre client, nous avons déniché celui-ci dans un cahier couvrant la période allant de mai 2002 à octobre 2004, non encore titré : « On me demande souvent quelle place occupe l’écriture dans ma VIE. Je réponds généralement à côté, j’esquive, je me défausse, je joue mon joker. C’est pourtant clair : la place du E. Les vacances occupant la place du V, et l’ironie celle du I ».
Habituée du blog de Chevillard, j’y vois une certaine parenté, notamment pour la partie aphorismes : je me trompe ? Lisez-vous son blog ? Ses livres ?
GVS : Vous nous ôtez les réponses de la bouche ! C’est nous-même, en effet, qui avons signalé le blog d’Éric Chevillard à notre auteur, à la suite de quoi il a déménagé ses petites affaires de chez Orange, comme un vulgaire cadre mis sur la touche à réfléchir à la meilleure façon de se suicider, vers l’hébergeur de Chevillard, qui est d’ailleurs le même que celui de L’Abat-Jour. Nous avons même assisté en direct à sa découverte des aphorismes du Che, dont il a lu quelques pages, avant d’éteindre abruptement notre ordinateur pour nous déclarer : « Il écrit à peu près la même chose que moi, en moins bien, et dans un registre plus limité, il ne m’arrive même pas à la cheville, alors pourquoi il a un « Blog Rank » de 70 alors que je stagne à 13 ? ». Il avait d’ailleurs eu le même type de réaction quand nous lui avions fait lire, dernièrement, les aphorismes de Régis Jauffret parus en 1998 dans le numéro 15 de L’Atelier du roman : « Pourquoi il est si célèbre, et pas moi ? Avec qui il faut coucher ? Avec Cécile Brossard ? Philippe Sollers ? Teresa Cremisi ? Les flics chez qui elle a envoyé Houellebecq pour qu’il puisse écrire La Carte et le Territoire ? ». Par ailleurs nous ne l’avons jamais aperçu à proximité d’un livre d’Éric Chevillard ― ni de Régis Jauffret non plus.
J’ai repéré sur votre blog quelque sujets qui semblent vous intéresser et vous inspirer : les femmes, le cinéma (Terrence Malick, Kubrick, Bergman).
GVS : Les femmes. ― C’est en effet l’unes des rares composantes du monde réel qui ait le don de faire sortir notre homme de sa léthargie neurasthénique. Les chiens, les voitures, les enfants, les infirmes, le ciel, ses nuages et les oiseaux, les chevaux, les vitrines, les fleurs, la nourriture, tout l’indiffère sauf l’apparition dans son champ de vision d’un être humain féminin sorti de l’enfance et pas encore entré dans la vieillesse, et possédant au moins quelques attributs de l’idée qu’il doit se faire de la féminité triomphante. Ainsi, aussitôt que nous sommes installés à table, toujours en dehors de chez lui ou de chez nous, comme nous l’avons déjà signalé, après qu’il a soigneusement essuyé les verres, l’assiette et les couverts qu’on lui a attribués avec une serviette brodée à ses initiales qu’il a spécialement apportée à cet effet, son regard de lamantin morne se met à balayer les alentours, comme la lanterne folle et molle d’un phare laissé à l’abandon, à la recherche de morceaux de chairs féminines, et se rallume et se fige dès qu’il en a croisés.
Toutefois, à y réfléchir de plus près (FC : C’est ça, réfléchis un peu, ça ne peut pas te faire de mal ! Plus près de quoi, par contre, on ne saura jamais…), comme Nerval il paraît plus attiré par un « idéal féminin » que par les femmes en chair et sans os ― d’ailleurs nous ne l’avons jamais rencontré accompagné, même par une photo dans un cadre. (FC : Je supprime, je supprime les « d’ailleurs », mais il en reste toujours, c’est un tic chez lui.) Il y a quelques mois de cela par exemple, dans une brasserie de Brantôme, alors que la serveuse, certes à la limite d’être blette, nous montrait à peu près tout ce que nous pouvions espérer voir de son anatomie dans un lieu public autorisé aux moins de 12 ans accompagnés par un parent, il a passé le repas les yeux perdus dans une affiche style années 60 de Campari exhibant une brune Italienne aux épais cheveux de jais et au regard charbonneux couvant le feu, alanguie de telle manière que ses seins semblaient nous tendre les bras (FC : Qu’est-ce qu’il peut user comme poncifs !).
Le cinéma (FC : À Kubrick, Bergman et Malick, vous pourrez désormais ajouter Orson Welles, dont le F for Fake affleurait déjà dans Pierre Ménard a existé. Bises à Oja Kodar.) ― Le cinéma est effectivement le sujet sur lequel notre auteur a écrit le plus de pages depuis qu’il sait écrire, et la majeure partie en est restée à l’état de brouillon, et atteindrait, mise bout à bout, la longueur de pellicule tournée par Claude Lelouch depuis qu’il s’est acheté sa première caméra. Y faire le tri, l’étudier, représente un véritable travail de titan, aussi nous comptons bien en confier le soin à un quarteron de nos étudiants de Master dans les années futures.
L’humour est une autre facette de votre écriture. En quoi ne pas prendre la littérature au sérieux est important pour vous, et que pensez-vous de la littérature actuelle ?
GVS : Une interview n’est pas le bon médium pour épuiser ou même espérer résumer le sujet de l’humour cosmotique. Nous renverrons à notre Petit Traité de Cosmologie, à paraître le 21 février 2012, juste avant la Fin du Monde grégorien, aux Presses universitaires de Munch, dans lequel nous y consacrons deux chapitres de 201 et 210 pages, respectivement. Sur le sérieux qu’il apporte à ne pas prendre la littérature au sérieux, relire ce que nous en avons dit plus haut.
Que pense-t-il de la littérature actuelle ? Un excellent indicateur est le contenu de sa poubelle extérieure, qui en dégorge littéralement ― et ce n’est qu’assez récemment que nous avons pu comprendre pourquoi, le hasard ayant voulu que nous arrivassions chez lui au moment où passaient les éboueurs : l’un des deux grands gaillards qui se tenaient à l’arrière lui a alors fait un bras d’honneur à l’aide de son biceps tatoué d’une Carla Bruni enceinte, et le camion a passé son chemin en accélérant, tout en klaxonnant au milieu des éclats de rires de tout ce que le camping comptait à cet instant de badauds. Cette anecdote que nous n’avons pas glissée ici par hasard en dit long, mine de rien, sur les relations que notre client entretient avec ses semblables, ses voisins, l’Humanité tout entière, la Création et le Créateur s’il en est un ― en ce qui nous concerne, nous ne nous plaindrons pas, malgré les injures il nous paie bien.
Sur ce tas dégoulinant nous avons pu apercevoir ce qu’il restait du dernier Houellebecq, ainsi que, régulièrement, des livres, des articles, des tribunes, des critiques de cinéma, des DVD de films de ou mettant en scène François Bégaudeau. Peu après qu’il avait obtenu le Prix Nobel de littérature, nous y avons également retrouvé à peu près toute l’œuvre de Le Clézio, mais nous ne sommes pas parvenu à savoir si c’était le fait que celui-ci avait accepté le Nobel, ou parce que Cosmos s’était alors mis à le lire à sa manière systématique et un peu bête, qui avait provoqué chez lui ce grand vide-grenier.
Nous ne connaissons que cinq écrivains vivants dont notre Cosmos semble suivre les parutions depuis que nous le fréquentons. Nous les appelons dans notre Traité, dans le chapitre Cosmos ou le Chaos, ses cinq « anneaux olympiques », par ordre approximatif de préférence : Oê Kenzaburô le Japonais, Kundera l’Européen du Milieu passé à l’Ouest, Roth Philip l’Américain, Gűnther Grass l’Allemand qui ne voulait pas de l’Est, et J. M. Coetzee le Sud-Africain désormais installé en Australie.
Que pensez-vous de l’édition en ligne et plus généralement de l’écriture sur Internet ?
GVS : Nous répondrons à sa place, étant donné que notre auteur est à peu près ignare en matière d’édition, d’Internet, et d’économie de la connaissance numérique.
L’édition en ligne permet à n’importe qui de se proclamer éditeur et d’éditer n’importe quoi, et à n’importe qui d’autre de se proclamer auteur, d’écrire et de publier n’importe quoi, et éventuellement de se faire éditer par n’importe qui. C’est donc exactement la même chose que l’édition traditionnelle, qu’on songe à la Collection Harlequin ou aux Editions N° 1, à Marc Lévy ou à Max Gallo. Par contre, pour se faire plein de fric avec des conneries, ça paraît plus dur.
Quelle importance revêt le pseudonyme pour vous ? Pourquoi François Cosmos ? Quel est votre rapport à ce « goût des masques » qui caractérise nombre d’auteurs de l’Abat-Jour ?
GVS : Nous sommes désolé de devoir sans doute vous décevoir une fois de plus, mais François Cosmos n’est pas un pseudonyme, c’est son véritable patronyme, inscrit partout, des supports les plus douteux ― ses cartes de visites ― aux plus officiels, comme ses boîtes aux lettres ou son linge de maison brodé à ses initiales. Ses pseudonymes sont tous les autres noms sous lesquels il s’adresse à nous par courriel, par courrier et sur nos répondeurs téléphoniques (Antoine Gauthier, Rip, Arthur-Louis Cingualte, Tristane Banon, etc.). Si vous voulez, c’est le principe de la Lettre volée d’Edgar Poe, afficher son vrai nom au-dessus de la cheminée de façon à ce que personne n’y prête plus d’attention qu’à un vulgaire « Home Sweet Home ».
De plus, il n’hésite pas à qualifier ces pseudonymes d’hétéronymes (FC : Message personnel à Sally Ma Rhamna : Tu connais Mon nom est Pessoa, un ouesterne bacalhau dans les rues en pente de Lisbonne la blanche, avec la Gloria d’On achève bien les chevaux dans le rôle de Ma Dalton ou dans celui de la morue ?) ― toujours sans rire le moins du monde. Nous ne l’avons d’ailleurs jamais vu rire, mais seulement, une unique fois, entendu. Il était aux toilettes, et nous y avons pris sa suite aussitôt, pour tenter d’y dénicher ce qui pouvait bien avoir déclenché cette hilarité. Nous n’avons rien trouvé d’autre qu’un vieux numéro des Inrockuptibles, non pas à la place que les mauvaises langues pourraient souhaiter lui voir occuper, mais roulé serré dans un coin, et donc pas ouvert depuis des lustres.
Toutefois, si jamais cela peut vous intéresser, il nous a avoué un jour que son nom l’arrangeait, puisque, comme Italo Svevo avait choisi ce pseudonyme comme Italien et Souabe, il se retrouvait sans l’avoir voulu à la fois Français, et même vieux François, et esprit universel.
Par ailleurs, nous pensons qu’y entre également la nécessité de devoir porter des masques, afin de ne pas être reconnu dans la rue par des jeunes encagoulés qui pourraient l’agresser en le traitant de « naze qui a écrit Petibou », de « bouffon qui crie à tout le Oueb qu’il pète au lit », ou « qui s’est pris un râteau par Patrizia Telleschi » (FC : Ce n’est plus un râteau, nous sommes maintenant « Amis » sur Fessebouc, et elle n’arrête plus de m’envoyer des photos de ses voyages et de ses nouveaux chats, à peu près deux (nouveaux chats) par semaine. C’est charmant, mais je préfèrerais d’autres genres de photos, avec un peu moins de surface de collant de scène ; les jambes sont parfaites, on n’a qu’une envie : savoir comment elles se terminent vers le haut.).
Quels sont vos projets ? Des surprises en réserve pour vos lecteurs ?
GVS : Parfois nous prenons notre objet d’étude (l’écrivain François Cosmos) en grippe, nous ne le supportons plus de nous contraindre à écrire ainsi au hasard sans la moindre méthode, à faire de la futurologie alors que nous sommes un historien rentré, et même manqué, mais nous sommes tenu par les traites du manoir Renaissance que notre épouse nous a obligé à acheter, sous peine de divorce. À notre connaissance, celui qui se qualifie d’écrivain Cosmos devrait voir paraître prochainement une de ses nouvelles variations autour de La Barbe bleue, et plus précisément de la question que n’importe quel enfant de cinq ans devrait se poser : Barbe Bleue assassine ses épouses successives parce qu’elles ont osé ouvrir la porte de la chambre interdite et y ont découvert les cadavres des précédentes ; mais la première, pourquoi il l’a tuée, Maman ? Il préparerait également une ambitieuse Anthologie d’anti-littérature française, qui ne serait même pas une réponse, « car il n’en mérite pas », assure-t-il, à l’Antimanuel de Littérature de l’autre François B-ego-d’eau. Un recueil de péans à la gloire d’Hugo Chavez, de Mahmoud Ahmadinejad, de Jacques Vergès, de Didier Super, de Jean-Marc Rouillan, etc., serait aussi sur le feu. De même qu’une série d’aphorismes intitulés Postérieurités et numérotés de 1 à 22. Plus un roman inspiré de l’Affaire Fillon. Un suicide ne serait pas non plus exclu.