Cybervox, saison 3


Chez Ryû, l’auteur de Bleu presque transparent, le ciel est donc peuplé d’anges et de démons qui traduisent aussi bien l’espoir que la peur.

Un ciel dévastateur.

Aussi, ce bourdonnement lascif, comparable à celui d’une mouche épileptique ou à celui d’un bombardier US glissant dans un ciel limpide, un bourdonnement prémonitoire (ce lien magnifique de justesse entre un morceau de Killing Joke et la première phrase de Bleu presque transparent : « The reason is there / You'll be falling 'til your feet are gone / Because your living a hoax / Sell us what you suss »).

 

Une voix juste, par-dessus l’incessant brouhaha, la fureur d’un monde où le silence est d’or.

De ces voix qui vous donnent la certitude, inébranlable, que marcher pieds nus sur un tas de clous incandescents sans broncher ni sourciller, l’air idiot et le sourire aux lèvres, rend nécessairement plus fort !

La certitude aussi que cela ne changera rien, que cela n’empêchera pas d’autres MR d’écrire : « un insecte plus petit qu’une mouche qui trace dans l’air quelques cercles sous mes yeux avant de disparaître dans un angle de la pièce obscure »…

La pièce, oui, mais obscure, ce qui évidemment change tout !

 

« Poésie muette », la littérature se proposera toujours de faire entendre sa voix, son cri tu, celui de l’écrivain moderne, donc quasi aphasique (Baudelaire, Mallarmé, comme cela a déjà été évoqué) ! 

Donc, blessante comme un éclat de verre logé sous votre semelle ! Voilà qui pourrait répondre à la question : qu’est-ce qu’une voix, qu’est-ce qu’un bon roman ? Un truc à priori anodin venu se loger sous la peau, qui vous transperce, vous irrite après que vous vous en soyez saisi à pleines mains. La petite coupure, indolore sur le moment, blanche comme cette voix tue, précisément ! Ce n’est qu’après, une fois le livre refermé puis reposé sur son étagère, que la douleur jusque-là en sommeil se réveille, impossible à enrayer. Que le cri tu exulte enfin. Que le livre nous tient dés lors comme une proie ayant cédé sous le poids des mots et le choc des images. Alors, capturer cette voix, relire chaque page de ce roman coupant, chaque ligne, avec la même attente douloureuse, le même plaisir acharné, quitte donc à me blesser à nouveau (la cicatrice sous le bras gauche !), à renifler l’odeur de tabac froid, à vomir sur mes pantalons, à compter les heures debout sur la rampe d’un escalier suspendu à cinq mètres au-dessus du sol, à sentir sur moi les morsures des matins moites. J’ai longtemps marché avec cet éclat planté sous le pied. Aujourd’hui encore, j’entends son léger crissement qui m’accompagne partout où je vais. Les peurs qu’il révèle, les rêves brisés, leurs débris de néant abandonnés, éparpillés au bord de la route. Poète à la fois sombre et intrépide… Ou comment se reconstruire, comment empêcher que l’oiseau de feu ne te précipite à jamais dans les froides ténèbres. Rester debout, envers et contre tout. Une vraie leçon de vie. Plier sans jamais rompre. Rester debout ! Coûte que coûte… Faire entendre sa voix… Le cri tu. L’explosion de la bombe, la vision du champignon atomique, une boule de feu coiffée d’un gigantesque nuage de fumée blanche. Puis le silence. Et cette question, cruciale : qu’est-ce qui a bien pu provoquer ça ? Bleu presque transparent donc.Comme le ciel quelques secondes avant l’explosion qui allait consacrer son mariage (celui du ciel) avec l’enfer.

La bombe – le champignon (gen’baku)… L’explosion (kinoko) !

 

Polyphonie : Murakami – Blake. Couple infernal.

Puis le silence.

Silence qui conduira nécessairement à l’écriture… (Après l’explosion !).

Ou à la mort…

 

*

 

Aussi, ce bourdonnement lascif, comparable à celui d’une mouche épileptique ou à celui d’un bombardier US glissant dans un ciel limpide, un bourdonnement prémonitoire (ce lien magnifique de justesse entre un morceau de Killing Joke, et la première phrase de Bleu presque transparent : « The reason is there / You'll be falling 'til your feet are gone / Because your living a hoax / Sell us what you suss »).

 

Une voix juste, par-dessus l’incessant brouhaha, la fureur d’un monde où le silence est devenu d’or.

 

…de ces voix qui vous donnent la certitude, inébranlable, de pouvoir marcher pieds nus sur un tas de clous incandescents sans broncher ni sourciller, l’air idiot, et le sourire aux lèvres ! (La grâce doit avoir quelque chose de très con !)

 

Litanies.

 

…la certitude aussi que cela ne changera rien, que cela n’empêchera pas d’autres MR d’écrire ce n’est pas le bruit d’un avion, etc.

 

Ou comment susciter la grâce. Comment susciter l’émotion. Comment les insuffler, là !

Le souffle ? Celui d’une parole devenue enfin libre…

 

 

Philippe Sarr