À propos d’« Eden Eden Eden 2 » de Joseph Bransiec

 

En réponse à Eden Eden Eden 2 de Joseph Bransiec 

 

De quoi s’agit-il, exactement ? D’une énième parodie grossière ? Mais non, puisque Bransiec insiste d’emblée sur la notion d’« hommage » rendu à Guyotat. Alors ? Eh bien, disons-le franchement : de l’exploitation rigoureuse et précise d’une structure littéraire et syntaxique, celle qui forme l’architecture d’Eden Eden Eden, paradoxalement ici mise à nu et à distance. Lointaine, et si proche, comme dans tout véritable pastiche où le lecteur est rendu sensible à la fois aux coïncidences et aux différences, toutes deux issues d’une concentration insolente et insolite des schèmes et obsessions spécifiques au modèle. Une sorte de miroir déformant, tel qu’on en trouve dans les fêtes foraines. Car c’est bien de fête dont il est question. Une fête excessive, sans fin mais avec profusion de queues et têtes ; une fête répondant à un code, à un rite scrupuleusement respectés par Bransiec, comme en un inquiétant écho à Freud :

 

« Une fête est un excès permis, voire ordonné, une violation solennelle d’une prohibition. Ce n’est pas parce qu’ils se trouvent, en vertu d’une prescription, joyeusement disposés que les hommes commettent des excès : l’excès fait partie de la nature même de la fête. » (Freud, Totem et tabou, p.194)

 

Bransiec réinterprète effectivement les données lancinantes du modèle, et reconstruit cette structure avec fidélité grâce à l’artifice de nouveaux référents. Et quels référents ! Le couple Wazzag/Ségolène, qui tient le haut de l’affiche, est bien entouré : Super Mario, Tournesol, Tintin, Derrido, Père Ubu, Bernard-Henry, Kroomir, Boudia, Glux, Woopette, La Castafiore, Miliouze, Soulers... et d’autres font en effet partie de cette envoûtante sarabande sexuelle.

 

De cette discordance entre le modèle et le pastiche, naît le déraillement verbal, la déflagration hilarante qui conjugue deux styles, celui de Guyotat et celui de Bransiec, pour le plus grand plaisir du lecteur, épaté par l’audace, la salutaire désacralisation, l’hommage magnifique. 

 

Extrait :

« (...) le rubricateur cybernétique éjacule du jus de concombre dans le cu de Ségolène, icelle chie la bite de Wazzag, le cyborg sort son iPad, télécharge les oeuvres complètes de Serge Pey, les matérialise, les roule, se les met dans le derche, rebande son sexe noueux, Ségolène vient s’enficher sur le membre énorme du cyborg, la bite grésille (...) »

 

Pour les curieux, une lecture étonnante d'Eden Eden Eden, qui a elle aussi la particularité de révéler la portée comique, si ignorée et pourtant si consubstantielle au livre de Guyotat.

 

 

Herculine Zabulon