Quatrième séquence : Les Maîtres se mesurent
Crochetrain était un bel homme, un solide gaillard qui ne se laissait pas facilement démonter.
Il avait toujours eu une prédilection pour les tartines beurrées et ce matin, en ouvrant la boîte à pain, une tournée gâchée.
Eh bien, stoïquement, il se tenait bien droit à l’arrêt de l’autobus.
Par contre, il avait fumé sa pipe comme un aspirateur…
Le Tépapoly l’obnubilait. Il ne pensait qu’à ça, à instrumenter ses savantes
menées, à la gloire qu’elles lui apporteraient, aux honneurs… Ah, nom de nom, comme il avait hâte d’être célèbre ! Le problème, hélas, c’est qu’il n’avait pas la moindre idée de la politique
ou de la tactique intelligente qu’il allait insuffler au jeu, et qu’il n’avait pas encore imaginé le moindre coup.
Il lui manquait le procédé.
Détails, songeait-il, l’inspiration vient en jouant.
Mais bon, il fallait bien « commencer » par quelque chose. Pourquoi pas par démolir Crevert ? C’était
une tâche relativement aisée.
Tel une ébauche, le soleil brillait par intermittence, il faisait un peu
humide.
Le trajet de l’autobus était sans rémission, morne et fatigant, ce satané
Tépapoly commençait tout doucement à porter sur les nerfs de Crochetrain…
Pourquoi
ne pas avoir plutôt ouvert un petit négoce ?
L’Écholapsus :
Né gosse ? Oui, alors là, nous sommes d’accord.
Comment savoir de quel petit trafic il s’agit ? Je n’ai pas de
réponse particulière.
Tout devineur qui veut
déjouer les pièges doit se méfier des mots trop communs, ou trop banals, qui peuvent être à double sens.
Psychœ lui avait maintes fois répété, pour d’obscures raisons, les joies de
l'érudition…
Mais il n’accrochait pas spécialement.
Quoi qu’il en soit, ce tournoi international ne l’encourageait pas à continuer sa rêverie…
Le stade n’était plus qu’à quelques sections, et son vaniteux adversaire lui avait promis, lors d’un entretien à la « radio », une cuisante défaite.
Le savant Crevert était redoutable et particulièrement
rusé…
Fort de son nom imprononçable, il faisait régulièrement semblant de bourrer
sa pipe et jouait quand on ne s’y attendait pas. De plus, il braillait des inepties à intervalles réguliers… Coup classique ! Mais qui déconcentrait
Crochetrain.
Les grimaces n’avaient pas de prise sur lui, mais il ne pouvait
s’habituer aux coups de bec sous la table.
Crevert le savait pertinemment. Ils
s’étaient déjà affrontés à plusieurs reprises…
Une fois, à Combes-la-Buse, dans la cellule KB-13, Crochetrain avait si bien
décontenancé tout le monde en urinant sur le plateau du Tépapoly que Crevert lui avait offert une franche poignée de main et s’était retiré, dignement vaincu.
Ce coup, fort critiqué par de nombreux amateurs, lui avait valu de graves ennuis avec la commission d’éthique du
Tépapoly et, à plusieurs reprises, le père Fétiche lui avait ouvertement fait part de sa désapprobation. Qu’importe, Crochetrain s’était entraîné ferme, et se moquait des menaces radiophoniques.
Crevert n’avait qu’à bien se tenir !
Soudain, son cœur s’arrêta de battre.
À travers le carreau de l’autobus, il venait d’apercevoir Psychæ sur le
trottoir.
Comme un fou, il sonna l’arrêt. Et dut attendre patiemment que l’autobus y arrive.
Il bondit, sans même attendre l’ouverture complète des portes automatiques, et se fit mal au coude. Puis il courut.
Il venait juste de perdre son haleine, quand il se rendit subitement compte qu’il ne la retrouverait
pas.
Fort de cet alibi, il s’arrêta un peu, en s’appuyant contre un mur, pour
tenter de retrouver un rythme cardiaque moins douloureux.
Le ciel était candide et doux. Et le temps passait, mais pas sa pointe de
côté.
Une seule chose lui faisait plaisir, c’était d’imaginer la tête de Crevert,
impatiemment énervé de l’attendre.
Le coup n’était pas si fauvette, après tout… Les
choses s’éclaircissaient.
Hmm, l’après-midi était capiteux, même.
Georgie de Saint-Maur
Quelle est la stratégie de Crevert ? Crochetrain tient-il le bon bout ? Que devient le
père Fétiche ? Pourquoi l’Écholapsus se fait-il plus discret dans cet épisode ?
À quoi ressemble un plateau de Tépapoly ?
Écho
n°46, par Dominique François :
Crochetrain avait fumé sa pipe comme un aspirateur... Ah ! Ce côté fumeur
de pipe !
Quelques questions Georgie :
Crochetrain est il soucieux de sa santé ?
Ce personnage est il
:
a) un militaire ? b) un fou ? c) un joueur ? d) un simple fumeur de pipe égaré à Tépapoly
?
Merci pour les précisions indispensables à la bonne compréhension de cette partie qui se joue sous nos
yeux.
Écho n°47, par Georgie de Saint-Maur :
Chère Dominique,
merci pour votre intervention. C'est vrai qu'on
pourrait douter de la réalité de Crevert (est-il soucieux de sa santé ?). A mon humble avis Crevert n'existe pas assez que pour se soucier de ces contingences. C'est, de façon assurée, un joueur ! Mais peut-être n'est-il pas un « bon
joueur » ? Il faudrait essayer de savoir ce qu'est le Tépapoly, et s'il existe vraiment.
Une fois ce petit mystère éclairci, le reste devrait
couler de source. Crevert joue à un jeu et ce jeu consiste à faire ça, ça et ça...
Je vous félicite en tout cas
pour la dernière phrase. Oui, on est en train de jouer au Tépapoly sous nos yeux.
Écho n°48, par Georgie de Saint-Maur :
Pour Franck : Griphos est l'accusatif pluriel de griphus et signifie « énigme », « chose à
deviner ».
Écho n°49, par Charles Max :
Ok, le sous-texte anarco-dadaïsant apparaît de plus en plus clairement.
Bah oui, le Tépapoly c'est la Fontaine de R.Mutt, pas très polie (anglicisation en « poly », prononcer « polaï », réf. à
la domiciliation new-yorkaise de Duchamp) vis-à-vis des petits cénacles d'avant-garde, « œuvre » qui pisse du sens sans qu'on demande rien (comme l'écholapsus, ready-made textuel si
j'ai bien compris). Et là, voilà qu'un joyeux cynique en mal de reconnaissance urine dedans ou dessus (écho textuel à Pinoncelli).
Tout cela devrait finir par de violents coups de canne et des sollicitations de la police,
pour éviter à ces cœurs barbus le lynchage de la foule, empêtrés qu'ils sont dans ce dispositif dément.
Écho n°50, par Georgie de Saint-Maur :
Cher Charles,
Vision dantesque que celle de Pierre Pinoncelli ébréchant l'urinoir de Duchamp.
Magnifique réceptacle (comme le proposait Philippe Sarr), à l'agitation fiévreuse des protagonistes. Oui ils urinent de bon cœur et sans problème de prostate. Mais toujours à côté de l’urinoir ;
jamais dedans !
Duchamp revient sur le devant de l'anti-texte, en protestant mollement de n'être pas
dada.
Le Maître se mesure. Il est hors-norme.
La signification de l'urine
est celle du fluide conceptuel de l'infra-mince.
Ici, plus question de rigoler. je vous remercie pour votre culot. Je vous félicité pour vos références. Oui, l'anti-texte continue de
s'enfuir, mais cette tentative de plaquage au sol mérite toute mon admiration. Le cœur à barbe peut aller se raser.
Vous
me paraissez être un solide gaillard. L'anti-texte et ses protagonistes (qui ne sont pas nos amis), n'ont qu'à bien se tenir. Une chose est sûre...
(Si vous souhaitez poursuivre cet entretien, veuillez reformuler un commentaire)
Écho n°51, par Georgie de Saint-Maur :
Pour Franck : Balkis est le prénom de la reine de Saba.
Écho n°52, par Serge Hamels :
Bonjour,
Ce n'est pas mal trouvé ce texte (idiot ?), qui en dit si peu.
Nous ne savons rien du tout des personnages et il n'est pas sûr que nous comprenions ce qu'ils font. Ils urinent nous dit Charles Max. Oui
mais alors la pisse et même lapis lunae !
Je me demande
sincèrement si tout cela ne cache pas un autre texte. En tout cas, la référence à Actéon, ce chasseur changé en cerf m'a beaucoup interpellé. Cela me rappelle une oeuvre de Shakespeare avec un
âne bien monté (puisque nous en sommes aux trivialités), nommé Bottom. Je m'égare peut-être un peu mais , à mon avis, Actéon est sûrement un genre de « clé » pour ouvrir le texte
?!
Suis-je sur la voie ?
Écho n°53, par Georgie de Saint-Maur :
Cher Serge,
un texte peut en cacher un autre ? Comme un
train peut en cacher un autre ? On parle pas mal de (croche)trains et de gares dans cet anti-texte. Serait-ce pour cela ? la référence au monopoly est évidente, quant au deuxième texte, vous
brûlez.
Actéon est une clef ?
Absolument et je vous félicite. Dans « La Vingt-troisième lame » de Crapuvano (ouvrage hautement apocryphe), on parle beaucoup
d'Actéon, le chasseur transformé en proie. Qui sont les chasseurs ? Ce sont les devineurs qui traquent l'anti-texte. Que va-t-il se passer, ils vont être traqués à leur tour ? Oui, poursuivis, je
dirai même hantés par l'anti-texte qui n'est pas un ami. Merci pour votre commentaire.
Écho n°54, par Georgie de Saint-Maur :
Pour Franck : Mètis veut dire « la ruse ».
Écho n°55, par Philippe Sarr :
Cher Georgie,
Imaginons un instant que le Tépapoly soit à la fois
le texte et, ou, l'anti-texte s'élaborant sous nos yeux (son « support » serait alors cet échiquier vivant sur lequel se promèneraient, de cellules en cellules, de cases en cases,
chacun des protagonistes - un peu comme sur l'échiquier surréaliste !)... un texte vivant donc, révolutionnaire (puisque mutant et proliférant sans cesse), dont le Père Fétiche, en bon gardien du
temple qu'il semble être, « égorgerait » les mots pour les vider ensuite de leur « sang » !
Un texte
donc qui « se gonflerait de sens », ceux issus de nos interprétations (ce qui implique bien sûr que nous soyons nous mêmes, au même titre que les autres protagonistes, acteurs du
« jeu », parfois sans en avoir conscience) jusqu'à implosion, avec la complicité je dirais « passive » ou « aveugle » de l'Echolapsus, s'il (le Père Fétiche, encore
lui) ne procédait régulièrement à des purges sacrificielles (éviter l'engorgement), et sans que nous ne sachions vraiment où finissent les produits de cette purge : dans, à côté de l'Echiquier ?
Si lien il existe entre Crochetrain et le Père Fétiche, j'y verrais bien alors celui d'un « rabatteur » (de sens ?) au service d'un Père Fétiche peu enclin à ce que le jeu ne se
termine. Ce qui, en toute logique, signerait sa FIN !
Pour conclure, je dirais que contrairement au texte qui
en fait l'un de ses éléments indispensable, l'anti-texte ignore le Temps !...
Écho n°56, par Georgie de Saint-Maur :
Cher Philippe,
Je dis oui !!
L'anti-texte se gonflerait du sens de nos commentaires ? Illustrant parfaitement la première phrase de l'épigraphe : « cet anti-texte sera l'écho du sens » ? je dis oui ! Le Père Fétiche est aux
abois.
Nous sommes nous-même des joueurs de Tépapoly, affrontant nos adversaires Crevert et Crochetrain, qui nous
dérobent le sens tandis que nous cherchons à le deviner ? Quelle belle idée. Extra ! Je signe à deux mains.
Le Père
Fétiche (égorge/engorge), ne veut pas que la partie se termine car ce serait sa fin ? Je dis oui ! Je dis oui ! Je dis oui et bravo !
Votre interprétation est magistrale.
Ce commentaire sera à coup sûr
celui qui fera le plus « se gonfler de sens » l'anti-texte.
Tout proche de l'implosion que vous avez envisagée.