Il y a un homme dans cette pièce
Une comédie en deux actes de Beuplu.
Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :
- Le Mexicain tout poilu
- La Mère supérieure
- Sœur Désirée
- La metteuse en scène
*
Acte I, scène 1
Le décor représente l’intérieur d’un charmant couvent du Sud du Mexique. Sur le devant de la scène se tient un sale petit Mexicain moustachu et basané, mais personne ne le voit car, grâce à un éclairage habile, son visage est caché par l’ombre de son sombrero.
La Mère supérieure (visiblement choquée) ― Hé, ma parole, que fait ce peon crasseux dans notre couvent ? Ça, je parie que c’est encore un coup de Sœur Désirée… (Elle crie, furieuse :) Sœur Désirééée !
Le Mexicain tout poilu ― Caramba nylon !
Sœur Désirée (se rajustant en hâte) ― Oui, ma Mère, que se passe-t-il ?
La Mère supérieure ― Sœur Désirée, je vous ai déjà dit et répété qu’il n’était pas question que vous rameniez des hommes au couvent !… (Grondeuse :) Tempérez vos ardeurs, ma fille, c’est une maison sérieuse ici !
Sœur Désirée ― Moi, ramener un homme, ma Mère ? Oh non, je ne me permettrais jamais…
La Mère supérieure (désignant du menton le Mexicain) ― Ce n’est quand même pas moi qui ai invité cette touffe de poils ici, que je sache ?
Sœur Désirée ― Mais… heu… ma Mère ? Une touffe de ?… Je ne vois personne, moi…
Le Mexicain tout poilu ― Caramba résilles !
La Mère supérieure ― Oh ! Ça c’est trop fort ! Sœur Désirée, il y a un homme ici, je vous dis. (Hurlant comme une possédée :) Il y a UN HOMME dans cette pièce !
Sœur Désirée ― Mais non, ma Mère.
La Mère supérieure ― Vous ne pensez donc qu’à ça, Sœur Désirée ?
Sœur Désirée ― Je vous assure que non, ma Mère…
La Mère supérieure ― Et en avant la java ! Et youp, on s’envoie en l’air !
Sœur Désirée ― Ma Mère !
La Mère supérieure ― Et youp, tout pour la bagatelle ! Et rien pour Notre Seigneur…
Sœur Désirée ― Ma Mère, je vous jure…
La Mère supérieure ― Moi aussi, j’aime danser. Qu’est-ce que vous croyez ? Mais alors, il ne fallait pas prononcer vos vœux, ma fille.
Sœur Désirée ― Vous avez raison. Je me repens, ma Mère.
La Mère supérieure ― Et moi j’y repense, ma fille. Hop dans l’ascenseur !
Sœur Désirée ― Dans l’ascenseur, ma Mère ?
La Mère supérieure ― Hop, aux rideaux !
Sœur Désirée ― Aux rideaux, ma Mère ?
Entracte.
Acte I, scène 2
Le décor représente la chambre de la Mère supérieure. Fébrilement, elle est en train de boucler ses bagages. À ses côtés, Sœur Désirée se tord les mains de remords.
La Mère supérieure ― Eh bien, puisqu’on se paie ma tête, je ne resterais pas une minute de plus ici !
Sœur Désirée ― Restez, ma Mère, je vous en conjure, je passerai l’aspirateur pour ramasser les poils…
La Mère supérieure ― Je me fiche pas mal de tout cela ! Nous filons tous les deux à Las Vegas, n’est-ce pas, querido ?
Le Mexicain tout poilu ― Caramba de soie !
Acte II
La scène revient au début. La Mère supérieure, déguisée en hareng de strip-tease, s’adresse au public.
La Mère supérieure ― Oh, Mesdames et Messieurs, si vous saviez… J’ai tellement honte que je ne peux pas continuer à jouer ce rôle, c’est trop immonde !
La metteuse en scène (dissimulée dans la salle) ― Quoi ? Qu’est-ce que vous dites, vous ?
La Mère supérieure ― Et si jamais je mourais ?
La metteuse en scène ― Eh bien ?
La Mère supérieure ― Que deviendrait mon âme ?
La metteuse en scène ― La même chose que toutes les autres, je suppose.
La Mère supérieure ― Oh non, car moi, j’ai péché ! J’ai gravement péché.
La metteuse en scène ― Et quel genre de pêche ? Heu, de péché, veux-je dire ?
La Mère supérieure ― Le péché de la chair. Le grand, le terrible et impardonnable péché de la chair !
La metteuse en scène ― Ah, bon ?
La Mère supérieure ― Et ce costume de hareng, par exemple, est un peu comme un aveu criant ! Tout le monde peut voir que je me suis envoyée en l’air avec un Mexicain.
Le Mexicain tout poilu ― Caramba du dos !
La metteuse en scène (l’examinant avec soin) ― Non, honnêtement, si ça peut vous rassurer, ce n’est pas si évident que ça. Un costume de raie, je ne dis pas, à la limite. Mais un hareng !
La Mère supérieure (faiblement) ― Je ne peux plus…
La metteuse en scène (poursuivant, imperturbable) ― Oui, ou alors un costume de maquereau ou de morue…
La Mère supérieure ― Si vous saviez. Jésus est si jaloux !
La metteuse en scène ― Mais non, voyons, Jésus n’est pas jaloux. Qu’est-ce que vous me racontez là ?
La Mère supérieure ― En tout cas, on nous le fait croire !
La metteuse en scène ― Mais enfin…
La Mère supérieure ― C’est peut-être tout simplement une question d’éducation ?
La metteuse en scène ― Peut-être.
La Mère supérieure ― Je ne peux plus continuer à jouer ce stupide rôle de hareng, c’est si nul ! Si mauvais !
La metteuse en scène ― Si ça ne vous plaît pas, Mademoiselle la fine bouche, alors la porte est là… Côté cour.
La Mère supérieure ― Côté jardin, idiote !
Le Mexicain tout poilu ― Caramba de page !
Et cætera (les variations du mot « caramba » sont laissées à l’appréciation de l’acteur).
RIDEAU
*
La critique de Jules Cuit
Considérée unanimement comme un chef-d’œuvre, cette comédie légère de Jean Beuplu, somme toute assez banale, malgré le jeu tout en grâce et en distinction de Simon Persavet, (n’oublions pas que « Caramba nylon ! » sera la plaisanterie à la mode durant toute la saison parisienne), doit plus que probablement sa célébrité au simple fait d’avoir servi de tremplin notoire à la carrière de la grande actrice Berthe Planche… Son costume de hareng de strip-tease fera le tour du monde !
Mais force nous est de constater que l’intrigue n’est pas toujours à la hauteur de la gloire presque légendaire qui l’auréole à l’heure actuelle.
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Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?
Mérite-t-elle toutes les louanges qu’elle a reçues ?
Que signifie ce costume de hareng de strip-tease ?
Et Jésus est-il vraiment jaloux ?
Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !