Le fond de la pièce
Une comédie en deux actes de Luttu.
Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :
- L’homme de la salle
- Le vilain morse
- Fanfante
- Le public choqué
- La chaise percée
*
Acte I, scène 1
Le décor représente l’intérieur d’un théâtre fort sali, quelques chaises mal rempaillées y figurent le public. Un petit morse, au cou rougeaud (où bat une grosse veine), s’enfle d’importance devant une femme nue, à genoux, qui nettoie vigoureusement le plancher.
L’homme de la salle (braillant) ― Tooomates ! Qui veut mes belles tomates ?
Le vilain morse (frappant sur son livre) ― Regardez ça, Fanfante, voilà encore, dans cette pièce, un bien bel exemple de signifiant/signifié, que nous pourrions très bien mettre en exergue lors d’un rapport…
Fanfante (levant la tête de sa besogne) ― Un rapport ? Qu’est-ce que tu racontes, toi, Moussieu ?
Le vilain morse ― Je dis que, de toute évidence, notre intrigue ne pourra jamais s’envisager sans l’épigraphe d’une projection/image bien gonflée de tous ces topiques qui jouent à nous paraître événementiels, mais dont la corrélation d’origine systémique ne cache, en fait, et bien maladroitement je vous l’accorde, que leur profonde mise en enfilade.
Fanfante ― Enfilade ? Hé ! Ho ! Du calme, hein, Moussieu morse ? Du calme !
Le vilain morse ― Il va s’agir maintenant, pour nous deux, de complètement déstructurer l’essentiel de l’épisode, pour aller hardiment vers la probabilité touffue d’une notion/représentation que l’on nous dérobera, ce qui sera a contrario productif d’une grosse, et même d’une très grosse sémantique.
Fanfante (se redressant de toute sa taille et le défiant fièrement) ― Ouais, ouais, grosse sémantique… Je te vois venir, espèce de grossier pot ! Mais je t’arrête tout de suite. Telle que tu me vois là, je fais un remplacement.
Le vilain morse ― Un remplacement ? Mais Fanfante, je vous vois là, toute rebondie et presque affolée et/ou affolante devant ma saga. Tandis que s’impose à nous une vision caricaturale de la modernité… Allons, ma petite Fanfante, les cimetières sont pleins de remplaçants !
Fanfante ― Taratata ! Je ne suis pas celle que tu crois, « Moussieu grosse sémantique ». On m’a engagée dans cette pièce de théâtre pour remplacer une certaine Chantal Pouf, un point c’est tout.
Le public choqué (la conspuant) ― Remplacer Chantal Pouf ? Oie stupide ! Tête de souris ! Cœur de lézard ! (Les insultes pleuvent.)
Le vilain morse (avec reproche) ― Chantal était beaucoup moins difficile.
Fanfante ― Tu me désires, Moussieu morse ?
Le vilain morse (avec un regard fou de désir) ― Non point.
Fanfante ― Si ! Tu me désires. Parce que je suis nue et que je t’appelle Moussieu.
Le vilain morse ― Mais non…
Fanfante ― Si ! Parce que je suis à genoux devant toi, en train de faire une tâche domestique que tu répugnes à faire toi-même !
Le vilain morse ― Non.
Fanfante ― Et qu’avec une pauvre fille comme moi, tu peux étaler ta culture…
Le vilain morse ― Fanfante, je vous aime !
Fanfante ― Voilà, c’est comme ce nom qui ne me va pas du tout.
Le vilain morse ― Moi je trouve, au contraire, qu’il vous va comme un gant…
Fanfante ― C’est parce qu’il fait de moi une sorte d’objet que tu peux prendre et pénétrer.
Le vilain morse (confus) ― Je vous assure que ce n’est pas vrai ! C’est un apophtegme pléthorique !
Fanfante ― Mais si, c’est vrai ! Et après, que feras-tu de moi ? Tu me garderas auprès de toi ? Ou tu me jetteras comme un mouchoir sale ?
Le vilain morse (sentencieusement et de mauvaise foi) ― Non, car il faut toujours garder un mouchoir par-devers soi…
Acte I, scène 2
La scène représente à présent un théâtre bien propret. Fanfante, majestueuse, impeccablement vêtue d’une superbe robe de soirée en satin noir et armée d’une badine, fait coquinement la leçon au morse qui sautille, à présent à quatre pattes, comme un robinet ventru et tout huileux.
L’homme de la salle (braillant) ― Tooomates ! Demandez mes belles tomates. Allez-y, les belles tomates ?
Le vilain morse (haletant) ― Fouet ! Fouet ! Fouet !
Fanfante (en agitant souplement sa badine) ― Je m’en vais te faire le croupion aussi rouge que ton cou, tu vas voir ça, gerçure !
Le public choqué (huant les comédiens avec véhémence) ― Hou !
Le vilain morse ― Mesdames et messieurs, excusez-moi, mais si cette couleur ne vous plaît pas, n’en dégoûtez pas les autres. Point barre !
Le public choqué (scandant) ― Remboursez ! Remboursez !
Fanfante ― Inutile, Moussieu. Le fouet ne servira à rien.
Le vilain morse ― Pourquoi ? C’est très bien le fouet ! Ça met du piment dans nos rapports difficiles et cela m’empêche de parler pendant que je couine.
Fanfante (se tortillant) ― Oh, ce n’est pas ça, Moussieu morse, tu ne comprends pas bien.
Le vilain morse ― Oh, attends un peu, toi. Je me demande si… tu voudrais dire ?
Fanfante ― Eh bien oui. Avec un morse charpenté comme toi…
Le vilain morse ― Je n’aurais jamais osé y croire. Même dans mes rêves les plus fous.
Fanfante ― Dans les rêves, oui. Mais moi, je suis faite de chair et de sang !
Le vilain morse ― De chair et de sang. Il y a deux ans à peine, j’aurais empoigné un couteau pour vérifier tes dires.
Fanfante ― Les temps ont changé, Moussieu morse.
Ils sortent.
Entracte.
Acte II
La scène représente assez piteusement une épicerie meublée de cageots éventrés. Pendue hâtivement au plafond, Fanfante y est exhibée comme un jambon, le dos zébré de peinture mauve. Au centre trône une triste chaise percée.
L’homme de la salle (braillant) ― Tooomates ! Qui veut des belles tomates ? C’est le moment ou jamais pour les tomates ! Tooomates ?
La chaise percée ― Si ce n’est pas malheureux, pour une actrice de ma valeur…
Fanfante ― Eh, peuchère !
La chaise percée ― En être réduite à accepter ce rôle dégradant ! Incarner une chaise percée !
Fanfante ― Eh oui, m’dame.
La chaise percée ― Mais attention, au départ, cette pièce n’était pas comme ça, hein, Fanfante ?
Fanfante (narquoise) ― Ah ça non, m’dame !
La chaise percée ― C’est seulement maintenant que c’est devenu une pièce vulgaire !
Fanfante (en gloussant un peu) ― Oh oui !
La chaise percée ― J’en étais sûre. Parce que c’est vraiment devenu malpropre, et… (elle soupire) tellement dégoûtant !
Fanfante (finement) ― Ah oui alors, m’dame ! Et puis ça fouette en plus !
Entre le morse, d’un pas assez vif. Il tient un œuf en main et se dirige vers la chaise.
Le vilain morse ― Regardez bien, Fanfante, on estime, sans en référer à un excipient de son caractère exhaustif, cette pièce/anti-pièce, impropre à signifier ex cathedra ce qui est insignifiant. Hahaa ! Alors à nous deux ma petite chaise, tu vas morfler ! Ça va mouiller sec !
Éclats de rire de Fanfante.
La scène et les acteurs sont couverts de tomates.
RIDEAU
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La critique de Jules Cuit
Exécrable du début à la fin, Le fond de la pièce est une comédie imbuvable dont le sujet, déjà superficiel au départ, est traité avec une légèreté inadmissible.
D’aucuns pensent d’ailleurs qu’elle fut sauvée des feux de la critique, lors de la première, grâce au talent exceptionnel de Berthe Planche, l’actrice phare de la troupe du Théâtre de l’Égout, qui, dès le premier acte, eut l’idée d’offrir aux regards le spectacle de son postérieur.
Nul ne contestera également, que ce rôle aura largement contribué à la renommée internationale de cette grande comédienne et lui aura ouvert la voie à bien d’autres interprétations ; cependant que son mariage avec Arthur Luttu qui, il faut bien le dire, suivit de peu la représentation, défraya le petit monde du spectacle et édifia bien des mauvaises langues sur la nature de son talent.
Il n’empêche que nous voyons ici le cynisme poussé à un tel sommet qu’il nous autorise à cracher de longues glaires verdâtres sur sa mise en scène.
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Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?
Êtes-vous aussi révolté que Jules Cuit ?
Quelle actrice célèbre interprète la chaise percée ?
Et pouvez-vous nous donner un bel exemple de signifiant/signifié ?
Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !