La pièce de Monet
Une comédie en deux actes d’Angoulot.
Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :
- Claude Monet
- Édouard Manet
- La demi-mondaine
- Le gros bonnet
*
Acte I, scène 1
La scène représente l’atelier du jeune peintre Claude Monet, en grand désordre. Sa palette et ses pinceaux gisent à même le sol, abandonnés. Lui-même, délaissant une demi-mondaine qui lui sert de modèle, est penché sur une écritoire, en proie à un intense labeur… On entend grincer sa plume sur le papier.
Édouard Manet (entrant, tout fringant) ― Bonjour, mon petit Claude. Alors, comment ça va ce matin ? En forme ?
Claude Monet ― Ah, tais-toi donc ! Je suis dans un état d’excitation indescriptible.
Édouard Manet ― Ah, vraiment ? Et pourquoi ? Que se passe-t-il donc ?
Claude Monet ― Ma vie va changer, mon ami. J’ai décidé d’abandonner une fois pour toutes ce stupide métier de peintre ! (Il jette rageusement sa lavallière par terre.)
Édouard Manet (riant, incrédule) ― Non, tu plaisantes ? Quelle idée !
Claude Monet ― Non, non, mon cher, ne ris pas ! J’y suis fermement résolu !
Édouard Manet ― Et pour la térébenthine, Claude, tu as pensé à la térébenthine ?
Claude Monet ― Eh bien, figure-toi que je n’y suis pas encore accro, Édouard.
Édouard Manet ― Ah bon ? Ça alors, ça m’étonne.
Claude Monet ― Et pourtant c’est comme ça !
Édouard Manet ― Mais dis-moi, si tu abandonnes, que diable vas-tu faire d’autre pour gagner ta vie ?
Claude Monet (avec ravissement) ― Du Théâtre, mon cher, tout simplement du Théâtre !
Édouard Manet ― Du Théâtre ? Comme ça, d’un seul coup ?
Claude Monet ― Édouard, mon vieux, crois-moi, j’ai enfin trouvé ma vocation ! Je suis devenu un dramaturge hors pair.
Édouard Manet ― Ah, vraiment ?
Claude Monet ― Oui, mon vieux. En ce moment, tout ce que je touche se transforme potentiellement en or. Si l’on veut miser sur moi, c’est du tout cuit !
Édouard Manet ― Ah bon ?
Claude Monet ― Lis ça… Tu me diras tout simplement quelles sont tes impressions.
Édouard Manet ― Oh, oh, mes impressions ! Comme tu y vas ! Qu’est-ce que c’est ?
Claude Monet ― Une pièce de Théâtre sur la fausse monnaie, Édouard, MA pièce de Théâtre !
Édouard Manet ― Sur la fausse monnaie ?
Claude Monet ― Oui. Tu te rends compte, mon vieux ? Moi, Claude Monet, un pauvre petit peintre minable, raté et sans culture, j’OSE !
La demi-mondaine (impatientée) ― Bon, alors. Oui ou non ? Est-ce que je peux enfin enlever ce costume de nénuphar, maintenant ?
Claude Monet ― Nous allons immédiatement porter ma pièce à la Compagnie des Théâtreux Réunis, je suis sûr qu’ils vont adorer ça !
Édouard Manet (hésitant) ― Ne t’emballe pas trop vite, mon Claude. Il paraît qu’ils sont très exigeants à la CTR, et puis j’ai l’impression que le Théâtre n’est pas d’un accès facile en ce moment, tu sais ?
Claude Monet ― Ça n’a jamais été facile Édouard, ça se saurait !
Édouard Manet ― Oui, tu as sans doute raison, mais…
Claude Monet ― Et puis, franchement, ma pièce sur la fausse monnaie est géniale ou elle n’est pas géniale ?
Ils sortent. Entre un « gros bonnet ».
Acte I, scène 2
Même décor. Le gros bonnet s’est assis et observe attentivement la demi-mondaine qui danse devant lui. Brutalement, Édouard et Claude, sa pièce à la main, reviennent d’un pas vif sur la scène.
Claude Monet (fulminant) ― Ah, les imbéciles !
Édouard Manet ― Pour l’amour de Dieu, calme-toi, Claude.
Claude Monet ― Ah, les pauvres aveugles !
Édouard Manet ― Allons, du calme…
Claude Monet ― Immoral ! Trop vague ! Trop imprécis ! Ah, les incapables !
Édouard Manet ― Je t’en prie. Tu vas finir par te faire du mal… Veux-tu que nous allions déjeuner dans le jardin ?
Le gros bonnet ― Bonjour, messieurs.
Édouard Manet (distraitement) ― Bonjour, monsieur.
Claude Monet (sans même saluer le gros bonnet) ― Édouard, je te présente monsieur Bourrelard, un fin connaisseur en matière de théâtre.
Acte I, scène 3
Même décor. Devant Claude Monet, Édouard Manet et le gros bonnet, la demi-mondaine danse lascivement, en retroussant ses jupons sur ses mollets galbés.
Le gros bonnet (distraitement) ― Alors, mon petit Claudy, il paraît que vous vouliez me voir ?
Claude Monet ― Eh bien, c’est au sujet de ma pièce de Théâtre, monsieur Bourrelard, elle a été refusée par le stupide comité du CTR !
Le gros bonnet (persifleur) ― Ah bon ? Refusée, dites-vous ? Et que voulez-vous que j’y fasse, mon cher ami ?
Claude Monet ― Eh bien, en fait, je pense que c’est vraiment une excellente pièce, Monsieur, qui aborde avec lucidité un sujet audacieux.
Le gros bonnet ― Oui, ça c’est ce que vous pensez. Mais le CTR en a jugé autrement.
Claude Monet ― Il s’agit d’une pièce résolument moderne, Monsieur, qui a pris pour sujet les faux-monnayeurs…
Le gros bonnet ― Oui, mais vous savez, avec la dévaluation actuelle, les faux-monnayeurs n’ont guère la faveur du public ! Ils lui rappellent trop les emprunts d’État et les promesses du gouvernement, mais bon. Et cette pièce, comment l’avez-vous intitulée ?
Claude Monet ― « Impressions de fric ».
Le gros bonnet ― Hum. Ce n’est pas très relevé comme titre.
Claude Monet ― Ah mais, attendez, il y a une morale, Monsieur, et une vraie morale : la fortune, la puissance, la sécurité jusqu’à la fin de la vie ! Les billets sont si bien faits que personne ne sait faire la différence.
Le gros bonnet (subjugué par la danse sulfureuse de la demi-mondaine) ― C’est bien ce qui inquiétera tout le monde. Mais, en fin de compte, Claudy, que puis-je réellement faire pour vous ? À part, peut-être, vous fournir du papier filigrané ? Hahaha !
Claude Monet ― Je pensais qu’avec votre haute situation, vous pourriez peut-être… Heu…
Le gros bonnet (sur un ton de reproche) ― Allons, allons, mon ami, j’ai l’impression que vous ne vous rendez pas compte ! L’argent n’est pas tout, vous savez ?
Claude Monet ― Oui, je sais, mais…
Le gros bonnet ― Par contre, on m’a dit beaucoup de bien de vous. Il paraît que vous possédez un beau coup de patte.
Claude Monet ― Bof, oui, mais c’est-à-dire que…
Le gros bonnet ― Dès lors, pourquoi ne pas vous en tenir à la peinture ? (Désignant la demi-mondaine :) Regardez cette petite mignonne, c’est-y pas beau à brosser, ça ?
Claude Monet ― Eh bien…
Entracte.
Acte II
La scène représente toujours l’atelier du peintre. Ce dernier, coiffé d’un canotier, taquine un canard avec son pinceau. Devant lui, la demi-mondaine se rhabille mollement.
La demi-mondaine (imitant Monsieur Bourrelard) ― Oh, allez, mon petit Claudy, promets-moi qu’un de ces jours tu feras mon portrait.
Claude Monet ― Inutile d’essayer, ma chère Lisette. Je ne sais pas peindre. Et puis, de toute manière, même si je savais, je ne peindrais jamais des nénuphars !
La demi-mondaine ― Écoute, si jamais tu ne me peins pas, je le dirai à monsieur Bourrelard !
Claude Monet ― Oh, celui-là, il ne m’impressionne plus !
RIDEAU
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La critique de Jules Cuit
Proprement étrillée par tous les historiens de l’art, et surtout par tous les amateurs de Claude Monet et d’Édouard Manet (et ce en dépit des références pointues auxquelles elle fait sans cesse allusion), cette comédie proprement visionnaire d’Olaf Angoulot n’a pas vraiment recueilli, lors de sa sortie, l’enthousiasme de la critique. On y retrouve pourtant, dans le rôle de Monet, un Marcel Epoive au meilleur de sa forme, excellemment secondé par Berthe Planche qui, une fois de plus, et pour le plus grand plaisir de tous ses admirateurs, ne fait pas mystère de ses charmes.
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Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?
Comment peut-on définir l’œuvre théâtrale de Monet ?
Monsieur Bourrelard est-il vraiment un fin connaisseur en matière de théâtre ?
Pouvez-vous citer au moins cinq références pointues figurant dans la pièce ?
Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !