La pièce maîtresse
Une enquête du célèbre commissaire Bourresifflet, adaptée en trois actes par Rodez-Limpeau.
Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :
- Madame Cornu
- Monsieur Cornu
- Le majordome
- Le commissaire Bourresifflet
- L’inspecteur Lecas
- L’inspecteur Février
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Acte I, scène 1
Le décor représente la chambre à coucher de l’hôtel où sont descendus Monsieur et Madame Cornu. Cette dernière se repose sur le lit défait. Monsieur Cornu, armé d’un revolver, entre brutalement dans la pièce.
Monsieur Cornu (impérieux) ― Haut les mains ! Le premier qui bouge, je l’abats comme un rien.
Madame Cornu (s’adressant au public :) ― Ciel, mon conjoint ! Lui qui est si jaloux, que va-t-il encore s’imaginer ?
Monsieur Cornu ― Les mains en l’air, je vous dis !… Ou je vous troue de balles…
Madame Cornu ― Oh, écoute Louis, ça fera six fois cette semaine que tu me fais le coup d’entrer à l’improviste avec ton revolver. Ça devient lassant, tu sais ?
Monsieur Cornu ― Alors, mes agneaux ? Surpris de me voir, pas vrai ?
Madame Cornu (d’une voix lasse) ― Oh, allez chou, tu sais bien qu’il y a longtemps que tu ne me surprends plus.
Monsieur Cornu (éteignant la lumière et se dirigeant vers la porte) ― Ah oui, eh bien c’est ce qu’on va voir, sortez de là, vous ! Et les mains en l’air…
Le majordome ― Ne tirez pas ! Je… J’obéis ! Mais heu… je ne sors pas, en fait… J’entre !
On entend un coup de feu.
Acte I, scène 2
Même décor, le commissaire Bourresifflet, d’humeur boudeuse, est sur les lieux, avec ce bon vieil inspecteur Lecas.
L’inspecteur Lecas ― D’après le légiste, la victime a été abattue à grands coups de hache ! Vous croyez que c’est un bûcheron qui a fait le coup, patron ?
Le commissaire Bourresifflet (agacé) ― Je ne crois rien.
L’inspecteur Lecas ― En tout cas, on a questionné Madame Cornu et elle refuse absolument de nous dire si elle avait, oui ou non, un amant…
Le commissaire Bourresifflet ― Ah ?
L’inspecteur Lecas ― Je parierais mon chapeau que c’est Cornu l’assassin, il aura surpris sa femme avec son amant et tchac… Un bon coup de hache !
Le commissaire Bourresifflet ― Oui, bon, peut-être… En attendant, il est midi, je propose que nous allions déjeuner chez Mimile.
Acte II, scène 1
Au joyeux restaurant « Chez Mimile ». Bourresifflet et son adjoint ont pris une bonne table près de la fenêtre. Ils ont choisi le plat du jour, du navarin d’agneau avec un Gamay d’Anjou.
Le commissaire Bourresifflet (s’essuyant avec sa serviette) ― Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ?
L’inspecteur Lecas ― Eh bien, on continue l’enquête, patron. Ça progresse. Février est allé questionner un indic’ pour savoir ce que faisait Cornu au moment du crime. Eh bien, tenez-vous bien, sa femme avait bel et bien un amant, et c’était l’indic’ lui-même… Il a tout avoué.
Le commissaire Bourresifflet (ennuyé) ― Ce n’est pas ça que je voulais dire. Je voulais dire : qu’est-ce qu’on fait ? On prend un café ?
L’inspecteur Lecas ― Heu… oui, si vous voulez, patron. Bon alors, pour l’indic’ : Février a découvert quelque chose de bizarre, un truc qui ne colle pas. Vous savez comment il s’appelle, cet indic’ ?
Le commissaire Bourresifflet (au garçon :) ― Deux cafés crèmes, s’il vous plaît…
L’inspecteur Lecas ― Eh bien, il s’appelle Linotte, patron. Oui, Linotte, exactement comme la victime !
Le commissaire Bourresifflet ― Ah bon ? (S’adressant au garçon :) Vous pouvez nous les monter au Quai ?
Acte II, scène 2
Bourresifflet et Lecas, installés dans leur confortable bureau de la PJ, dégustent un petit crème bien serré. Entre Madame Cornu, pâle et défaite.
Le commissaire Bourresifflet ― Asseyez-vous, Madame. Alors… Votre nom de jeune fille est Hortense Sillon, vous avez vingt-deux ans, et vous êtes l’épouse légitime de Louis Cornu…
Madame Cornu ― Oui, je lui ai juré fidélité.
Le commissaire Bourresifflet ― Et pourtant votre serment de fidélité ne vous a pas empêché d’avoir, depuis vingt ans, une liaison avec Linotte…
Madame Cornu ― Comment le savez-vous ?
Le commissaire Bourresifflet ― Il nous l’a dit ! Vous ne saviez pas que votre amant était un de nos meilleurs indicateurs ? Il savait tout sur le milieu, les numéros de téléphone, l’horaire des trains, le nom des rues, les bonnes adresses, le tiercé, les soldes, le programme télé, tout ça !
Madame Cornu (détournant la tête) ― Laissez-moi, je n’ai rien à vous dire.
L’inspecteur Lecas (à l’oreille de Bourresifflet) ― Cette affaire ne s’annonce pas commode, hein patron ? Un vrai sac de nœuds. Déjà, le modus operandi : à la hache ! Voilà qui n’est pas courant. Quant au mobile : autant dire que Linotte avait tout intérêt à liquider Cornu, et que Cornu, lui aussi, avait tout intérêt à supprimer Linotte. Sans oublier qu’on a retrouvé sur la victime du hash plein son caleçon ! Ça devient sophistiqué, vous ne trouvez pas ?
Le commissaire Bourresifflet ― Viens, allons casser la croûte. Madame nous attendra ici.
Entracte.
Acte III, scène 1
Le décor représente le très bon restaurant « La Picaille ». Bourresifflet et Lecas ont commandé du râble de lièvre à l’ancienne, et deux bouteilles de Graves. Arrive tout à coup l’inspecteur Février, visiblement sous le coup d’une forte émotion.
L’inspecteur Février ― Ça y est, patron, la victime a été autopsiée, je reviens du labo.
Le commissaire Bourresifflet (ennuyé) ― Tu ne vois pas que je suis en train de manger, non ?
L’inspecteur Février ― Oh pardon, excusez-moi, patron. Mais ça m’avait l’air tellement important, car le labo est formel : il lui manque sa tête !
L’inspecteur Lecas ― Ben oui, bien sûr, mais enfin son cadavre a quand même été formellement identifié : Georges Linotte, trente-cinq ans, gazier.
L’inspecteur Février ― Oui, mais qui l’a identifié, en fin de compte ? La vieille concierge Madame Plumet, qui nous a avoué qu’elle ne l’avait jamais vu de sa vie… On peut légitimement douter.
L’inspecteur Lecas ― Tu as raison, et on lui a sûrement coupé la tête pour nous empêcher de savoir qui c’était…
Le commissaire Bourresifflet (buvant) ― Ah bon, pourquoi ?
L’inspecteur Février ― Eh bien, à mon avis, tout cela doit servir aux plans de l’assassin, je pense qu’on veut nous faire croire à la culpabilité de Louis Cornu, mais que derrière tout cela, il y a une femme. Une bonne femme qui tire les ficelles et qui a commandité ce crime !
Le commissaire Bourresifflet (reprenant du vin) ― Pourquoi pas Madame Cornu, tant que tu y es ?
L’inspecteur Février ― Tout juste, patron ! Et en plus, écoutez, elle venait précisément d’offrir une hache à son mari pour la Saint-Valentin… C’est un peu gros, non ?
L’inspecteur Lecas (sous le coup de l’illumination) ― Hé, attendez ! Lors de l’interrogatoire, rappelez-vous, elle parlait d’une voix hachée… Et puis Hortense, ça commence par la lettre H, non ?
Acte III, scène 2
Le décor représente le sympathique bistro « Chez Lulu ». Attablés, Bourresifflet, Février et Lecas y savourent un cognac.
L’inspecteur Lecas (furieux) ― Dommage que cette salope ait profité du fait qu’on était partis manger pour filer, je suis sûr et certain que c’est elle, à présent !
L’inspecteur Février (fulminant) ― Moi aussi, j’en suis sûr. Et Cornu qui a disparu lui aussi, c’est vraiment pas de chance. La dernière fois qu’on l’a aperçu, il était en compagnie de Linotte et ils prenaient le train pour Narbonne.
L’inspecteur Lecas ― Et puis, ça ne veut peut-être rien dire du tout, mais le boucher du coin nous a confié qu’Hortense Cornu avait acheté trois cents grammes de hachis le jour du crime. Ça commence à faire vraiment beaucoup de coïncidences, non ?
L’inspecteur Février ― Je pense que ce pauvre Linotte a été éliminé uniquement parce qu’il avait vu le majordome tirer sur Cornu… Et vous, commissaire, personnellement, qu’en pensez-vous ?
Le commissaire Bourresifflet ― Laisse-moi un peu tranquille avec tout ça, va !
RIDEAU
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La critique de Jules Cuit
Une fois de plus, la sagacité du célèbre commissaire est mise à rude épreuve à travers cette enquête pleine de rebondissements.
Dans une distribution remarquable, l’adaptation théâtrale qu’en a fait Joseph Rodez-Limpeau se montre tout à fait à la hauteur du roman.
Saluons également l’interprétation de Simon Persavet, l’acteur fétiche de la troupe du Théâtre de l’Égout, qui nous campe ici un Bourresiffet plus vrai que nature.
Quant au Gamay d’Anjou, c’est un vin généreux, qui a du retour.
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Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?
L’enquête proposée est-elle trop sophistiquée ?
Une hache constitue-t-elle un bon cadeau de Saint-Valentin ?
En fin de compte, qui est le meurtrier ?
Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !