Le trou du duc

Publié le

Comédie légère en deux actes d’Angoulot.

Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :
- Anculain
- Rondelle
- le bandit
- la police

*

Acte I

Anculain — Rondelle, ma bonne Rondelle, ça y est, ça recommence !
Rondelle — Oh non. Encore ?
Anculain — Je n’y peux rien, ça me picote…
Rondelle — Cela arrive bien souvent.
Anculain — Ça me démange…
Rondelle — Oh, mon pauvre.
Anculain — Ça me rend fou !
Rondelle — Tu as peut-être un prurit ?
Anculain — Mais non !
Rondelle — Tu as essayé les légumes ?
Anculain — Oui, bien sûr. Les carottes, les concombres, les poireaux… Ils se brisent.
Rondelle — Et des objets ?
Anculain — J’ai essayé le manche du marteau. Oh, les échardes !
Rondelle — Tu ne demandes plus à mon frère, hein ? 
Anculain — Oh, pourquoi ? Ça marchait bien pourtant.
Rondelle — Non, non ! Tu finirais par le pervertir.
Anculain — Tu en as de bonnes, toi. Il faut absolument qu’on m’…
Rondelle — Peut-être que tu as simplement des vers, après tout ?
Anculain — Mais non, je n’ai pas de vers. J’ai simplement besoin qu’on m’…
Rondelle (riant) — C’est vrai que là, tu n’as rien d’un poète !
Anculain — C’est tout ce que tu trouves à faire pour moi ? De l’humour à deux sous ?
Rondelle — Et si tu demandais à Jean-Marie ?
Anculain — Tu sais bien que ce n’est pas son goût.
Rondelle — Oui, mais il fait partie de l’équipe de rugby, peut-être qu’un des joueurs…
Anculain — Tu me vois entrer dan les vestiaires en disant : « Pardon messieurs, mais est-ce que l’un d’entre vous voudrait bien m’… »
Rondelle — Oui, tu as raison.
Anculain — Bon, il faut malheureusement que je passe à la banque. Encore du temps perdu !
Rondelle (profiteuse) — Rapporte-moi donc un paquet de cigarettes.


Acte II

Anculain — Houlà, ça me titille de plus en plus. C’est intenable !

Il entre dans la banque et fait la file au guichet. Un bandit masqué fait irruption.

Le bandit — Haut les mains ! Le premier qui bouge, je l’…

Anculain se démène comme un beau diable.

Le bandit — Hé toi, là-bas. Viens ici ! Tu te fous de moi ?

Anculain se tortille dans tous les sens.

Le bandit — Bon, tu l’auras voulu. Baisse ton froc.
Anculain — Voilà, voilà…

Il s’installe et se fait…

La police — Haut les mains ! Que personne ne bouge !
Le bandit — Zut, les poulets !

La police embarque le malfaiteur.

La police — Eh bien monsieur, vous l’avez échappé belle. Je crois que ce gars-là était littéralement en train de vous…
Anculain — Merci messieurs, vous faites du bon travail. Et si, par hasard, vous procédez à une reconstitution, voici mon adresse.

RIDEAU

*

La critique de Jules Cuit

Un bel hommage à Robert Macaire et un véritable exploit d’Olaf Angoulot que de tenir toute une pièce sur la sodomie sans jamais prononcer une seule fois le mot tabou. Tout y est suggéré dans la finesse, la dentelle et la légèreté. Pas la moindre vulgarité. Une véritable guipure de gentleman. C’est d’ailleurs à travers ce célèbre rôle interlope que Chantal Ticket entamera le début de son apothéose et recevra son fameux surnom de « Rondelle des faubourgs ». Louis Sourdin nous restitue ici, avec une grande justesse, l’irrésistible comique pince-sans-rire des agents de police. Quant à Tristan Cachette, il nous joue un parfait Anculain.

*

Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?

Ne fait-elle pas preuve de trop de légèreté finalement ?
Que dire de la performance de Chantal Ticket ?
Angoulot mérite-t-il la Légion d’honneur qui lui a été récemment remise ?

Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !

 

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O
Jolie pièce toute en douceur, poésie presque.<br /> <br /> Il n'en reste pas moins qu'elle soulève l'épineux problème de l'insatiabilité obsessionnelle qui reste tout de même une maladie conséquente. On n'en parle pas assez. La psychologie moderne aujourd'hui d'avantage axée sur les problèmes de harcèlement ou encore des pervers narcissiques snobant étrangement cette compulsion.<br /> <br /> D'autant qu'avec la visite inopinée des perdreaux en pleine séance, rien ne permet de penser qu' Anculain ait pu être assouvi totalement.<br /> <br /> Cette fin se termine néanmoins avec la lueur d'espoir qu'une reconstitution d'avantage poussée sera évidemment mise à jour par les forces de l'ordre. Forces de l'ordre qui comme chacun sait comptent un bon nombre d'enc. dans leur rang.
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J
Le bruit court sur les réseaux sociaux, où nos commentaires suscitent tantôt l'admiration, tantôt des flots d'alacrité, qu'Olaf Angoulot aurait eu pour projet de donner une suite au "trou du duc". Un titre de travail circule, "Au bout du comte", mais rien ne transpire sur le tour que l'auteur souhaitait donner à cet ambitieux projet. Qu'en est-il vraiment ? Existe-t-il un texte ? Une ébauche ? Y a t-il même eu un travail de mise en scène effectué. Tout le Net se perd en conjectures. Alors qui croire ?
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G
ERRATUM : Vaclav n'est pas le frère d'Olaf, mais son arrière-petit-neveu.<br /> Toutes mes confuses, évidemment.
G
Cher Jérôme, Olaf Angoulot (1872-1965), n’écrira plus jamais rien. Le public des internautes le confond certainement avec son frère Vaclav Angoulot qui, pendant une longue période, fut perçu comme son digne successeur. Malheureusement, honte sur moi, je n’ai pas suivi de très près sa carrière. Pas même assez pour discerner s’il s’agit bien pour cette pièce du titre « Au Bout du comte » ou bien « Au Bout du conte ».<br /> Je vous prie de bien vouloir m’en excuser.
J
Après relecture de la pièce, après avoir parcouru aussi les brillants commentaires ci-dessous, j'ai à mon tour le sentiment que le thème central de la pièce est en fait celui de l'analité, et non du gaspillage alimentaire comme je l'ai cru de prime abord. Ce n'est bien sûr qu'une hypothèse, puisque les phrases, paresseusement tronquées, nous laissent constamment dans le doute, mais certains détails, il faut bien en convenir, sont pour le moins troublants. C'est intéressant, car ce thème est peu abordé au théâtre. Je veux dire sur la scène. Nos chers humoristes eux-mêmes, pratiquant de nos jours le seul-en-scène avec le talent que l'on sait, laissent à la porte de leur loge les techniques qui leur ont été inculquées patiemment tout au long de leur formation dans les milieux très ouverts de l'audiovisuel (les milieux où l'on ouvre l'œil mais pas du bon côté).
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G
Cher Jérôme, je dirais que ce deuxième commentaire de votre part est une plus-value.<br /> Cette analyse sur les déchets et le gaspillage des sociétés de théâtre reste plus que jamais d’actualité. Vous avez vu juste et atteint la cible du premier coup.<br /> Vous enrichissez ici votre vision.<br /> C’est toute cette subtilité qui fait de vos commentaires une source où l’on s’abreuve sans compter.<br /> Bravo et merci.
B
Je me souviens parfaitement de la vive indignation que créa « Le trou du duc » dans le microcosme théâtral, et de l’opprobre général que cette pièce suscita parmi les gens du spectacle. Jacques Weber le premier, qui la qualifia de « triste pantalonnade » avant de clamer, avec la sobriété qu’on lui connaît et tous yeux fermés « Le… théââââââtre ne saurait se rabaisser à ce genre d’ignominie dégueulasse. » Pour tout dire, les théâtreux sont comme certaines gens de gauche : tolérants, tant que vous êtes d’accord avec eux.<br /> Olaf Angoulot est un sacré farceur, et connaît les classiques des blagues de comptoir. Car en réalité, « Le trou du duc » est une libre adaptation d’une histoire drôle entre un chauffeur routier et un homosexuel. Pour la faire courte, le routier, incarnation du mâle hétéro la plus velue, écrase violemment une mouche dans l’habitacle de son camion, avant d’annoncer d’une voix virile que « les mouches ils les… » Ce à quoi l’homosexuel agite rapidement ses mains comme des ailes tout en se mettant à bourdonner…<br /> En plaçant le sujet de son œuvre en dessous de la ceinture, Angoulot provoque et se moque d’un univers théâtral qui lui-même saute les deux pieds dans le plat de ce piège pourtant grossier. Et prouve par là même le peu d’humour et de second degré dont font montre des artistes s’enorgueillissant pourtant de compter parmi les plus éclairés de leur monde.<br /> J’avoue être moi-même tombé dans ce piège, mais fus sauvé par la comédienne Delphine Talaron, en compagnie de laquelle j’étais allé assister à la première du « Trou du duc ». Au sortir de cette représentation, je lui fis part de ma consternation et de mon indignation, ajoutant que j’étais bien heureux qu’elle ne se fût pas fourvoyée dans une telle bouffonnerie. L’actrice me répondit alors à ma grande surprise qu’elle avait absolument adoré cette pièce, et me montra son intitulé sur le programme qu’elle avait gardé sur elle : « Comédie légère en deux actes ». Elle se mit à rire, puis annonça : « Ironique, n’est-ce pas ? »<br /> « Je trouve tout de même fort de café d’oser montrer ça à un public de connaisseurs », fis-je en manifestant une certaine pédanterie obtuse.<br /> « Quant à moi, je trouve amusant de se moquer du théâtre et de tous les prétentieux qui gravitent lourdement autour. Cette pièce est une grosse farce, cher ami, un coup de pied dans la fourmilière. Serge Gainsbourg n’en a-t-il pas fait de même avec son « Evguénie Sokolov » ? Mais emmenez-moi donc plutôt chez vous, me voici également prise de démangeaisons… »<br /> Olaf Angoulot nous livre avec « Le trou du duc » une étonnante pièce où le premier degré se suffit presque à lui-même, et, pour parler « djeuns », s’amuse à « troller » son propre milieu artistique. Milieu qui, à l’exception de quelques personnes éclairées comme Delphine Talaron, s’indigne fort vite de choses supposées triviales sans réaliser qu’ainsi, il se rend bien plus ridicule que le propre objet de ses récriminations de Tartuffe.
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G
Cher baron, commentaire percutant et éclairé comme le fut, jadis, le despotisme. Une blague ? Une simple blague (à tabac ?) que nous ferait Angoulot ? Je n’y crois guère (éclair). Personnellement je ne connaissais pas (radis) celle du camionneur, mais il y en a tant. <br /> Non, je pense, comme delphine Talaron, qu’il faut parfois regarder les choses sous un angle inusité (c’est un 6. Non c’est un 9). <br /> Voilà une actrice (Delphine) qui appartenait à la troupe « La Bonne compagnie » et qui s’est vue chahuter pour ses penchants saphiques. Il y a gros à parier que si elle avait du incarner Rondelle (interprétée ici par Chantal Ticket) elle eût été trop fine dans son jeu. J’y vois là une des raisons majeures pour lesquelles on ne lui a jamais proposé le rôle. Il serait trop « tafiole » (sic) de décréter que c’est la nudité de Chantal ticket qui lui a inspiré la réponse qu’elle vous a fait alors à propos de cette pièce. Bien sûr qu’elle n’avait d’yeux que pour elle et se moquait bien du cauchemar de notre cher Anculain (interprété ici avec brio par Tristan Cachette). Les pingouines détestent les pingouins nous chantait déjà Juliette Gréco.<br /> Alors, pièce à scandale, comme vous le pensiez au départ ? Ou bien grève des confiseurs ? Heu… Pardon, des camionneurs ?<br /> La plus belle pièce de notre auteur reste pour moi : « Belle pièce, amiral ! », on y apprend sans surprise qu’Olaf n’est pas trop mou de la chique. Ce qui n’est pas un sujet de moquerie politiquement correct.<br /> En tout cas, quoi qu’on en pense, « Le Trou du duc » n’est pas une pièce pour freluquets.
P
Cher Georgie,<br /> <br /> Vous en conviendrez, Le Trou du Duc est une pièce d’anthologie à classer dans les annales. Une merveille stylistique – suggérer sans ne jamais nommer ( au contraire du Marquis). Par ce choix à la fois moral (légitimer le plaisir) et esthétique (pas de « face à face », ni de « devant », juste le « derrière » et le « goulot », auxquels il rend un vibrant hommage), Angoulot, tend, en se détendant, à décoincer (le « trou de balle » !) des tartuffe et autres pince sans rire de son époque puritaine (sans doute les mêmes qu’à la nôtre, pas moins bigote). En fin bretteur (ne nous y fions pas !), il passe son temps à tourner autour du pot sans ne jamais y tomber. Et, comme une seule hi-rondelle ne fait jamais le printemps, lorsqu’il convoque poireaux et carottes, légumières dont la fonction phallique n’aura échappé à personne, ceux-ci s’y brisent et s’y fracassent (le sphincter à la dent dure) sans même y tomber totalement !<br /> <br /> Tout dans la suggestion, donc. Le trou est là, béance ne demandant qu’à être comblée. Comment ? Plutôt magistralement et de manière fracassante ! De la façon la plus inattendue qui soit. Coup de théâtre... coup de rein, celui de l’être immoral, du hors la loi, du bandit qui bande... dur, me risquerai-je, à l’inverse du poireau !
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G
Cher Philippe, pas facile de parler de cette pièce sans risquer la trivialité.<br /> J’ai répondu au commentaire de Jérôme Pitriol en parlant de Jules Cuit ; je répondrai au vôtre en parlant d’Olaf Angoulot. Nous savons, en bons lecteurs qu’il est l’auteur de bien des pièces : La Pièce de Monet ; Belle pièce, amiral ! ; La Pièce d’eau (1) … Mais, comme le demandait Franck Joannic, celle-ci n’est elle pas trop légère ? On sent qu’Angoulot n’est pas de la jaquette, il fait des efforts pour ne pas être en reste et donne à Chantal Ticket un rôle dénudé à sa mesure. L’hétérosexualité n’est pas loin.<br /> Olaf Anhgoulot n’est pas seulement un auteur prolifique, il est également le chantre des opprimés et des laissés pour compte. Le facteur chance sonne toujours deux fois et joue toujours un grand rôle dans ses créations. Il en va de même ici, comme vous l’avez si bien remarqué, avec l’arrivée du bandit salvateur. On sent qu’Anculain a obtenu gain de cause, sinon féliciterait-il de la sorte les policiers ?<br /> Par contre on ne sait rien du destin du paquet de cigarettes…<br /> (1) On peu lire toutes ces pièces dans l’excellent « Coucous de théâtre » paru aux Penchants du roseau.