La porte

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Drame en deux actes de Zéma.

Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :
- Le portier
- Mélisse
- Swann
- Le second portier

*

Acte I, scène 1

La scène est infestée de rats. Une porte scintillante est gardée par un portier.

Le portier — Halte !
Mélisse — Bonjour.
Le portier — Bonjour, mais halte quand même !
Mélisse — On ne peut pas passer ?
Le portier — Je dirais même que mon métier est de vous empêcher de passer.
Mélisse — Comme ça, sans raison ?
Le portier — Pour un salaire mensuel.
Mélisse — Mais peut-être que derrière cette porte, il y a mes rêves les plus éblouissants…
Le portier — Peut-être.
Mélisse — Peut-être que le fait de franchir cette porte changerait ma vie. Ferait de moi un homme riche et puissant.
Le portier — Hé, qui sait ?
Mélisse — Peut-être que lorsque je franchirai cette porte, toute ma famille et mes amis seront transportés dans un monde heureux…
Le portier (rêveur) — Pourquoi pas ?
Mélisse — Un monde d’élite et de chance !


Acte I, scène 2

Arrive un homme richement vêtu de blanc.

Swann — Bonjour, Victor.
Le portier (exhibant une grosse clef) — Bonjour, Monsieur Swann.
Mélisse — Hé, attendez, vous voulez dire que ce type peut passer ?
Le portier (glissant la clef dans la serrure) — Monsieur Swann ? Mais bien entendu !
Mélisse — Attendez ! Attendez ! Comment puis-je passer moi aussi ?
Swann — Mon ami, si vous voulez passer cette porte, vous devrez faire deux choses. D’abord, manger un rat vivant…
Mélisse — Et ensuite ?
Swann — Ensuite, vous trancher le sexe et le découper en petites rondelles ! Il servira d’apéritif aux invités.
Le portier — Ha ha !
Mélisse (courant chercher un rat) — Bon, voilà, regardez, je le mange !

Il mord dans le rat vivant et vomit tripes et boyaux.

Le portier — Allons bon.

Swann passe la porte qui se referme sur lui.

Mélisse — À présent, avez-vous un couteau ?
Le portier (lui tendant un couteau) — Je tiens à vous prévenir que Monsieur Swann est un farceur…
Mélisse — Vous voulez dire que, même si je me tranchais le sexe, je ne pourrais pas passer ?
Le portier — Il y a de fortes chances.
Mélisse (jetant le couteau par terre) — Quel imbécile je fais !
Le portier — En même temps, n’oubliez pas que c’est mon métier.
Mélisse — Quoi ?
Le portier — De vous empêcher de passer cette porte…
Mélisse (ramassant le couteau) — Et Swann ?
Le portier — Monsieur Swann est un plaisantin.

Mélisse plante plusieurs fois le couteau dans l’abdomen du portier. Ce dernier s’écroule, la bouche ouverte, sans un cri.


Acte II

On comprend que Mélisse est passé de l’autre côté de la porte. La scène est infestée de mouches. Une autre porte scintillante est, une fois de plus, gardée par un portier.

Le portier — Halte !
Mélisse — Bonjour.
Le portier — Halte, mais bonjour quand même !

RIDEAU

*

La critique de Jules Cuit

Cette pièce d’Alex Zéma est à l’huisserie ce que la caille est à la loutre dans l’œil du voisin. Pour une meilleure visualisation, rappelons brièvement que les rats et les mouches qui infestent la scène sont incarnés par de nombreux figurants costumés qui couinent et bourdonnent. Rappelons également que, selon la théorie de Davidovits, les pierres de calcaire des pyramides seraient, en fait, des moulages.

*

Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?

Au fond, Monsieur Swann est-il vraiment un farceur ?
Le fait que les portiers soient joués par des jumeaux porte-t-il à confusion ?
Et avez-vous pu identifier les acteurs interprétant les rats et les mouches ?

Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !

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O
Pièce étonnante où chacun pourra y voir ce qu'il veut y voir. <br /> Pour ma part( à moins que tout viendrait de mon esprit dérangé) j'y vois une façon poético-onirique de traiter la sodomie. Sujet brûlant et bien entendu totalement tabou (surtout pour cette époque) si il en est. L'allusion à la porte. La seconde porte notamment et les mouches grouillantes achevant de peaufiner la métaphore de façon quasi explicite. Il s'agit en fait d'un rite de passage. Mélisse en a quine de se retrouver au milieu des rats. Il désire ardemment et subitement voir autre chose. Pour se faire n'a-t-il pas dû "planter" le premier portier? Pour enfin avoir accès à la fameuse seconde porte. L'auteur sous-entend d'ailleurs que cette nouvelle satisfaction risque bien d'amener, elle aussi, son lot d'ennui. Ceci étant particulièrement perceptible par la répétition de la scène lorsque mélisse croise le second portier. Halte! etc.<br /> <br /> Bref pièce assez osée pour l'époque sans doute qui aurait tout aussi bien pu s'intituler "Après moi les mouches!"
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P
Cher Georgie,<br /> <br /> Je ré-enfile mon costume de rat, celui des souterrains, des lieux sombres et sordides qui graille et qui chicote afin de me livrer à cet autre commentaire :<br /> Le côté ouvert (du côté de chez Swan) de la pièce, permet plusieurs lectures possibles. C’est ce qu’indique la porte, le sens couine et bourdonne : fermée, elle pousse au meurtre, ouverte elle offre la possibilité disons… d’une ile à l’intérieur de l’ile, d’un « Paris à Paris par la mer » (avec son Robinson), comme dans « Gestes et opinions du Dr Faustroll, pataphysicien », d’Alfred Jarry.<br /> Les deux jumeaux sont les gardiens du Temple (où il règne une certaine confusion). Mais, s’ils se ressemblent, ils ne s’assemblent pas. Quand l’un meurt, l’autre survie. Ils sont « ouverts » (en deux, car issus du même œuf). De même que le mot qui les désigne l’un et l’autre est aussi « ouvert » à plusieurs sens. D’où que ça couine et bourdonne donc. Dans tous les sens.<br /> La structure est « ouverte » (bien qu’en partie « fermée), et offre donc plusieurs choix. Plusieurs directions. Mélisse, Swan en sont les orientateurs. On pourrait en imaginer d’autres : qui seraient refoulés sans tuer, qui entreraient puis ressortiraient déçus, ravis, étourdis ou frustrés. Il y aurait TOUJOURS ces mêmes couinements et bourdonnements, la singularité initiale de l’œuvre, ce qui la fonde. Bruit de fond irréductible à la fois discontinu et indéterminé. Son « jaillissement originel ». Son éternel brouillon…
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G
Cher Philippe, les anciens remparts de la seconde enceinte, qui ont perdu toute fonctions défensives sont progressivement démantelés et remplacés par une barrière percée de nouvelles portes destinées à l'octroi, impôt indirect perçu à l'importation de denrées et de marchandises sur le territoire de la ville. Une administration avait pour mission de contrôler le passage entre les pavillons symétriques des portes et de percevoir les taxes. L'abolition de l'octroi donna lieu à d'importantes festivités.
J
Cher Georgie,<br /> Je fais moi aussi partie des lecteurs qui trouvent le texte très bien écrit - qu'en pensez-vous ? - , mais la mise en scène me semble plus discutable. L'utilisation de figurants humains, plutôt que d'authentiques rongeurs et diptères, est d'une grande facilité. Où est le risque ? Où est la spontanéité ? La créativité se nourrit du foisonnement, me semble-t-il. Sans compter que nourrir des rats et des mouches ne coûte absolument rien, et qu'il eût même été utile, en suivant ce choix, de se passer d'agent d'entretien pendant toute une saison. Voilà où mène le théâtre subventionné.<br /> Même remarque pour les jumeaux. Un seul acteur, bien vacciné, aurait suffi. Décidément, quel gâchis ! Je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point, d'ailleurs : je crois que l'emploi des jumeaux rend la pièce invraisemblable. A moins que les jumeaux n'aient été hétérozygotes, mais dans ce cas l'effet et le symbolisme a dû s'en trouver très affaibli, à mon sens. Je ne vois guère qu'une explication plausible à cette distribution maladroite : un responsable de la programmation n'avait pas un, mais deux neveux à lancer dans la carrière.
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B
« Per aspera ad astra ». Cette locution latine, qui signifie « Par des sentiers ardus jusqu’aux étoiles », représente parfaitement cette pièce de Zéma. En effet, la route sera longue pour un Mélisse dans la mélasse, tandis que Swann le précède et glisse tel un cygne sur le fleuve de son insolente réussite. L’on peut voir dans cette difficile progression du malheureux protagoniste – quasi mise en abyme – un désir d’avancer sur le chemin de la vie, et se voir systématiquement bloqué par le représentant d’un système obtus qui tient à conserver ses privilèges et ainsi rester dans l’entre-soi. Et, au passage, à s’amuser de petites gens remplies d’espoirs en leur faisant faire des choses bien cruelles. Nous ne sommes pas si loin en réalité de Zola et de Balzac, en version onirique ; Mélisse tient à la fois un peu de Claude Lantier (de « La Bête humaine ») et de Rastignac (dans « La Comédie humaine »). Dans cette « Bête Comédie humaine », nous voyons un homme épris de réussite et pris par des pulsions meurtrières. Mais ici la porte ne se referme pas comme dans un roman réaliste ou naturaliste ; elle laisse un espoir, vague mais scintillant : un nouvel huis se présente comme une promesse nouvelle, un « MacGuffin » si cher aux scénaristes. Contrairement à l’inexorabilité des romans naturalistes ou réalistes, il y a ici une évolution en apparence positive ; les choses changent imperceptiblement. Ainsi le premier portier annonce : « Bonjour, mais halte quand même ! », cependant que son alter ego dit : « Halte, mais bonjour quand même ! ». Et l’on passe alors du premier au deuxième degré, tant au niveau de progression physique que psychologique du personnage ; Mélisse a tué de façon primaire, mais a appris une chose entre temps : ici vivent des plaisantins d’une haute société pour lui mystérieuse, faisant peu de cas des petits rats arrivistes. Seulement, la fin ouverte de la pièce n’augure rien de bon pour le pauvre bougre, et l’on se doute que portes et portiers seront nombreux à se présenter à lui, peut-être même à l’infini, comme deux miroirs se faisant face…<br /> <br /> Evidemment, cette vision est personnelle. D’aucuns pourront voir dans « La Porte » un étrange cauchemar, une scène oubliée d’un film de David Lynch, voire une métempsychose en marche… Peut-être après tout Mélisse est-il déjà mort sans le savoir, et cherche-t-il l’entrée d’un purgatoire ou de quelque lieu transitoire. Il pourra y errer longtemps alors… Car peut-être ce plaisantin de Swann symbolise-t-il la mort elle-même, son ironie macabre et incompréhensible, dans un costume blanc mêmement ironique. Cette ironie, Mélisse ne la percera jamais tant il est obnubilé par son cheminement unilatéral lui faisant perdre tout sens de l’humour… Le second degré lui est étranger, et toutes les personnes affligées par ce défaut de fabrication sont inconsciemment touchées par cette pathétique progression. Quant aux autres, rient-elles vraiment ? Peut-être que oui, mais alors méchamment, ou bien tristement.<br /> <br /> La légende dit qu’Alex Zéma, en raison d’une vilaine peau, aurait écrit cette pièce après s’être une énième fois fait refouler du club « La Pyramide » par un videur physionomiste n’appréciant pas son visage mangé par de terribles rougeurs. Ou comment une triste mais banale péripétie a pu engendrer un petit chef-d’œuvre d’étrangeté aux lectures et degrés multiples, faisant rire autant que pleurer, et rappelant les célèbres masques de la commedia dell’arte.
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G
Et s’il s’agissait simplement des portes de l’enfer ? La perspective du portier serait alors bien différente. Il s’agirait, en fait, de protéger Mélisse. Le protéger des flammes et le protéger de lui-même, de ses propres désires de ses propres ambitions. Le fait qu’il y ait deux portiers (jumeaux) n’est pas sans rappeler Cerbère. Au cœur du Nicaragua se trouve un gigantesque gouffre ; un volcan du nom de Masaya. Mais durant des siècles, il a été connu sous un nom plus inquiétant boca di inferno ou la porte de l’enfer.<br /> Durant des siècles, le volcan s’est retrouvé au cœur de sombres récits de morts et de sacrifices humains.
P
Cher Georgie,<br /> <br /> J’ai effectivement assisté à ce spectacle d’Alex Zéma, au début des années 60 je crois.. Assisté, je veux dire par là que j’ai fait partie de la joyeuse bande de figurants qui gambadaient sur la scène du C. D’abord déguisé en rat puis en mouche. Pourquoi ? Pour quelques dizaines de francs la représentation, au bas mot. Adoncques, de quoi arrondir des fins de mois difficiles à une époque où la crise faisait rage, mais en aucune manière mes « formes », qui d’ailleurs n’en étaient pas tant je maigrissais à vue d’œil pour cause de malnutrition. On ne glosera jamais assez sur la condition précaire – réelle - des intermittents du spectacle !<br /> Cela étant, de cette expérience burlesque sous les ordres d’un metteur en scène à la réputation déjà bien fournie, je n’ai pas gardé que de bons souvenirs : crise d’urticaires, entre autre, due à l’absorption massive de fraises des bois lors du premier filage, une empoignade des plus vigoureuses avec Zéma qui, non seulement ne nous octroyait parfois aucune pause déjeuner, même les jours de représentation, mais était aussi avec nous, pauvres figurants aux noms certes peu ronflants, d’un infini mépris. Si bien que nous étions contraints, la faim nous tenaillant sévèrement (j’étudiais alors les arts dramatiques chez Bernard Lançon, un concurrent à lui), d’aller butiner son propre garde-manger dont le contenu pouvait surprendre – je me permets de vous le révéler ici : foie de rat confit, purée d’insectes !<br /> De cette pièce étrange, « La porte » - élément incontournable dont la fonction première est de laisser entrer et sortir, je dirai, à l’instar de mes camarades de scène, qu’elle était un merveilleux exemple de mise en abîme, une porte, quelle qu’elle soit, pouvant toujours en cacher une autre, et quel que soit le sens par lequel on la prend ! Qu’elles servent de passage à l’enfer ou au paradis !<br /> Pourtant, pour moi, les dés étaient déjà pipés : acteur castré (la castration représente pour tout acteur en voie de confirmation l’acte de loyauté indispensable à sa consécration finale !) je n’avais qu’une envie : sortir par la petite porte. Ce que j’ai fait au bout de la cinquième représentation, tant je ne supportais plus notre déguisement (constitué pour l’occasion de vulgaires peaux de bêtes malodorantes – cela étant dit, on ne vantera jamais assez le travail ingrat des costumiers et costumières qui souvent oeuvrent dans l’ombre, et ne reçoivent comme remerciements que quelques regards de mépris dés lors que l’habit ne sied pas à sa majesté !), ni les rodomontades de Zéma. Et en approcher d’autres. Comme celles de René Magritte dont la fonctionnalité va bien au-delà du raisonnable : porte que l’on peut franchir sans les ouvrir ou même les fermer, rien qu’en les traversant. Non portes donc, clos-portes (portes closes) irréelles qui coïncident avec d’improbables espaces. Des trous autrement dit. Des trous de portes comme d’immenses trous de vers…<br /> Mais, cher Georgie, je ne voudrais pas trop en dire, Trahir l’esprit de celui qui fut tout de même mon employeur durant toute une saison, certes en enfer, et alors que je m’ennuyais comme un rat mort, seul sur mon radeau, rassis et mal rasé. Il y a en effet des secrets qu’il est préférable de garder. Par égard à celui ou celle qui vous les a confiés ! Quoique… Mais bon, j’ai le sentiment d’en avoir déjà trop dit ! Et que je devrais me taire. Fermer la porte, comme disait Zéma. Quand il en avait assez d'entendre voler les mouches...
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G
Cher Philippe, merci d’avoir versé ce beau témoignage au registre des commentaires.