Le lauréat
Le Doc croyait en beaucoup de choses. Et aussi en l’effet thérapeutique de l’expression artistique. C’est ainsi que la Fabrique, à certaines heures, abritait un atelier de musicothérapie. D.J Valvert l’encadrait selon le principe du transfert participatif, un autre cheval de bataille du grand manitou.
Soares était l’un des participants les plus assidus de cet atelier. Il jouait de la harpe à impulsion télépathique. Il nous en avait expliqué le principe : « C’est simple. À l’aide du capteur mental que vous voyez là, le récepteur enregistre les mélodies qui prennent naissance dans mon cerveau. Grâce à un procédé de mon invention, il les transforme en impulsions électriques qu’il envoie directement à la harpe auquel il est relié. » Le procédé était astucieux. Il avait gagné avec cette invention un premier prix au concours Lépine dans la section « Machines sonores ». Il nous montra une photo de la cérémonie de remise des prix. On avait du mal à reconnaître dans ce jeune dandy souriant, à l’avenir plein de promesses, le Soares que nous connaissions, arrivé à Valvert après des années d’errance.
Soares avait été mécanicien dans la marine marchande.
Un jour, lors d’un conseil, il nous raconta comment il avait été viré. « Comme un malpropre », avait-il ajouté. Le pétrolier sur lequel il naviguait avait heurté un récif, provoquant une gigantesque marée noire. L’enquête avait noté une perturbation des appareils de télédétection. Les enquêteurs avaient découvert, sous la couchette de Soares, un modulateur d’ondes électromagnétiques destiné à ses travaux sur la communication avec les Atlantes — « appareil qui aurait perturbé le radar du bateau », avaient-il conclu. Soares avait été aussitôt licencié pour faute grave, bien qu’il se soit défendu. Il n’y avait aucune perturbation possible. Son appareil possédait un mécanisme d’invisibilité qui rendait ses ondes indétectables par tout autre mécanisme de détection. Rien n’y fit. Il ne retrouva jamais de travail dans la marine marchande et sombra dans une profonde dépression.
Il se sentait inutile. C’est le Doc qui l’avait convaincu de se remettre à ses recherches. C’est pour ça qu’il l’avait fait venir au centre Valvert. À ceux qui s’étonnaient de ce soutien, il répondait en souriant : « Vous savez ce que disait ce vieux Charcot, et que Freud aimait à citer : « Ça n’empêche pas d’exister ». »