Entretien avec Guillaume Siaudeau



Interview de Guillaume Siaudeau, fondateur de la revue Charogne, auteur de « La nuit se bat sans nous », « Quelques crevasses », « Boucle d’œil », « Poèmes pour les chats borgnes », « Poissons rouges », « Carcasse grouillante », et d’une courte nouvelle dans l’Ampoule.

 

Vous écrivez aussi d’autres types de textes courts, mais vous êtes surtout poète ? Comment définiriez-vous la place du poète dans la société actuelle ?

 

Je pense que tout le monde est poète, consciemment ou inconsciemment, et que chacun choisit ou non de développer cette petite chose qu’il a en lui, de la mettre ou non en avant, ou bien de la garder au fond de lui quelque part où personne ne pourra la trouver. En partant de ce constat, et puisqu’il y a selon moi autant de poètes que d’individus, le poète doit être à sa place à peu près partout dans la société actuelle. Il y a des poètes refoulés, des poètes chanceux, des poètes maudits, des poètes opportunistes, des poètes vicieux, des poètes romantiques, des poètes qui se moquent de la poésie, des poètes qui la défendent, des poètes qui n’y connaissent rien en poésie, des poètes musclés, des poètes rachitiques, des poètes maçons, des poètes bouchers, des poètes muets, des poètes analphabètes, pardon à ceux que j’ai pu oublier...

La poésie peut donc trouver sa place partout, jusque dans nos trous de nez. Tout ça n’est qu’une histoire d’imagination et de sensibilité avec les choses et avec les gens.

 

Quels sont vos poètes préférés ?

 

Il y en a beaucoup trop pour les citer et faire un choix. Ils viennent de l’art, des livres, du cinéma, de la musique, des paysages, des gens que je rencontre. Mes poètes préférés n’appartiennent pas forcément au milieu de l’écriture. Un renard qui débouche d’une forêt devient aussitôt un de mes poètes préférés.

 

Que pensez-vous de la poésie contemporaine ?

 

Elle me fait penser au pull qu’on porte sur les vieilles photos d’école. Sur le moment il est en plein raccord avec ce qui l’entoure, et les années qui passent le remplaceront. On ne le détestera pas pour autant, on l’aimera toujours de la même façon, mais on habitera d’autres périodes, où il sera devenu quelque chose qui a à voir avec la nostalgie. Certaines choses resteront, d’autres non. La poésie contemporaine, tout comme ce pull, permet simplement de prendre conscience de l’avant, du pendant et de l’après.

 

Un type de poésie que vous n’aimez pas ? 

 

La poésie qui rime... j’ai beaucoup de mal avec ça. Je ne sais pas d’où ça vient. Quand je lis de la poésie qui rime, j’ai toujours l’impression de lire des paroles de chanson de variété française. Et je n’aime pas la variété française. Alors peut-être que ça vient de là. J’aime certains poètes qui font rimer les choses tout de même, mais très peu. À peu près autant que de chanteurs de variété française... vous voyez ?

 

Quelle est la place des revues (papier) et d’Internet dans la création et la diffusion de la poésie contemporaine ?

 

Internet est une galerie d’art ouverte tous les jours, l’entrée est gratuite, et on n’y refuse personne. On y voit beaucoup de belles choses, beaucoup de mauvaises choses aussi, mais c’est un formidable outil de découverte et un bon stimulateur des sens.

Les revues sont également un excellent vecteur de diffusion. D’ailleurs le fait que les revues aient rejoint Internet et soient aujourd’hui de plus en plus diffusées en ligne n’est pas un hasard.

Les revues, tout comme Internet, permettent d’inventer de nouvelles directions, d’innover, de plier et de peindre du papier autrement ou encore d’apprendre à feuilleter des écrans.

 

Parlez-nous un peu de vos deux blogs : La Méduse et le Renard et Nécrologie et Confiture

 

La Méduse et le Renard est le blog que j’alimente tous les jours (ou presque) de quelques poèmes, et de mes actualités quand il y en a. Pour reprendre l’image développée plus haut, mon blog est une petite galerie dans la grosse galerie d’Internet. La porte est toujours ouverte et vous n’êtes pas obligé de vous essuyer les pieds en entrant. Vous pouvez rester le temps que vous voulez, il faut juste penser à laisser la porte ouverte en partant, et remettre de temps en temps un peu de bois dans le feu.

Nécrologie et Confiture est un blog que j’alimente moins régulièrement, et sur lequel je fais paraître des nécrologies de personnes fictives. J’y conte la mort de héros de bas étage (quoique de haute voltige), avec je l’espère un peu d’humour noir et de dérision. Le fait de lui mettre un nez rouge et une fleur dans la poche de sa chemise m’aide à regarder la mort en face.

 

Vous avez publié chez de nombreux petits éditeurs (Asphodèle, Le Coudrier), dans des revues (Borborygmes, Dissonances, etc.) et sur des sites et blogs proposant des textes en lecture gratuite (807, Vents Contraires, Abat-Jour). Comment les avez-vous connus ? Pourquoi publier chez eux ?

 

J’ai découvert toutes ces revues, éditeurs, sites, par le biais d’Internet. J’ai publié chez eux parce que je me sentais une affinité avec ce qu’ils développaient, et aussi parce qu’ils ont accepté que je « pose mes valises » chez eux. Les petits éditeurs prennent le temps de boire un verre ou d’échanger avec vous. Ils sont l’artisanat de l’édition. Les artisans sont des gens humbles et fascinants avec qui l’amitié est possible.

 

J’ai beaucoup aimé Poissons rouges : comment vous est venue l’idée de cet adorable petit poème en prose ? Un mot sur l’objet ― un tout petit objet ― qui rajoute du charme à l’ensemble et augmente le plaisir que l’on a à lire ce texte ?

 

Mes poèmes, quand ils ne reviennent pas de nulle part, partent de pas grand-chose. D’un type ou d’une fille croisés quelque part, ou d’un panorama appétissant. La genèse de ce poème est un poisson rouge rencontré dans la salle d’attente d’un cabinet de dentiste... J’espère n’avoir brisé aucun mythe...

Oui, -36° Éditions éditent de chouettes petites plaquettes dans un format original. Ces petits livres sont faits pour être lus rapidement, emportés n’importe où, et pourquoi pas abandonnés sur une table ou dans un hall de gare. C’est une idée qui me plait et qui correspond à l’idée que je me fais de l’écriture.

 

Magali Planès illustre souvent vos textes et elle est aussi en charge de la conception graphique assez remarquable de « Charogne » : comment décririez-vous son univers en quelques adjectifs ? Comment se passe votre collaboration ?

 

Merci pour elle. Oui, assez logiquement, j’aime moi aussi beaucoup ce qu’elle fait. Son travail, si je ne dois utiliser que quelques adjectifs, est à mes yeux minutieux, percutant, onirique et inspirant.

Notre collaboration n’a pas l’air de se passer trop mal puisque nous vivons sous le même toit.

 

Revenons à « Charogne », la revue de poésie que vous avez créée et qui est désormais éditée par Asphodèle : comment en avez-vous eu l’idée ? Que savez-vous du lectorat de cette revue ? Et les auteurs publiés, qu’ont-ils en commun ? Quelle est la ligne éditoriale ? 

 

J’avais envie de créer une revue dans laquelle je ne publierais que des choses qui me plaisent. C’est une revue glauque, faisandée, noire (prenez ces adjectifs pour une esquisse de ligne éditoriale...). Je ne sais pas grand-chose du lectorat de Charogne. Je sais que Charogne ne compte pas beaucoup de lecteurs, mais je ne nous en veux pas de ne pas fédérer. Charogne n’a pas la vocation de devenir une bête de combat, ni un gros tirage. Nous ne sommes que deux à recoudre chaque Charogne, et nous le faisons comme bon nous semble. Cela peut paraître égoïste, mais c’est uniquement en phase avec l’idée de départ qui était simplement d’essayer de faire une revue à notre goût. Charogne ne suit pas un développement professionnel. Nous faisons Charogne comme d’autres vont jouer au foot le dimanche midi ou mettent des jantes alu sur leur voiture. Nous sommes contents quand ça plait à d’autres gens, bien sûr, mais nous n’avons pas peur de l’indifférence.

Pascal, responsable d’Asphodèle nous a offert le beau cadeau de l’imprimer, tout en étant conscient qu’il est impossible pour une charogne de s’envoler. Il est l’auteur de cette belle définition, qui colle parfaitement à l’idée que j’ai de Charogne : « Pour un éditeur, une revue, c’est comme une danseuse. Ça ne rapporte rien mais c’est beau ».

Les auteurs présents dans Charogne ont en commun d’avoir écrit des textes qui me plaisent, et d’avoir collé à l’ambiance de la revue. Ça fait déjà beaucoup de points communs...

 

J’ai aussi beaucoup aimé votre très courte nouvelle pour le hors-série n°1 de l’Ampoule, « Le vieux chien aux poils roux, la petite fille et son père », un texte sombre et magnifique. Quelles ont été vos sources d’inspiration ? En quoi est-ce différent d’écrire de la poésie et une nouvelle ?

 

Merci, et content que ça vous ait plu. En général je perds l’inspiration quand on me demande quelles sont mes sources d’inspiration ! (rire). Quoi dire... Dans ce que j’écris, il n’y a pas que des choses vécues, il y a un peu de moi, un peu des autres, un peu de ce qui m’entoure, un peu d’imaginaire, le pourcentage varie. Je n’aime pas que les choses soient trop claires. Il m’arrive d’écrire à la première personne pour parler de quelqu’un d’autre, et à la troisième personne pour évoquer des choses plus personnelles. Il n’y a pas de règles dans l’inspiration. Je tiens le mystère pour responsable des plus belles histoires.

Écrire de la poésie ou une nouvelle n’est pas si différent. C’est sûrement pour ça qu’il existe de longs poèmes et de courtes nouvelles...

 

J’ai écouté « Une fin d’après-midi mathématique », nouvelle que vous avez lue et enregistrée pour l’Abat-Jour. On découvre ici une autre facette de vous, très desprogienne. Qu’en pensez-vous ? Est-ce une influence que vous revendiquez ?

 

Merci pour le compliment. Très franchement, je n’ai pas écrit et lu ce texte en pensant à Desproges... Je ne connais de toute façon pas assez bien son travail pour m’en être inspiré. Le peu de choses que j’ai vu ou lu de lui me plait, mais s’il a pu influencer l’un ou l’autre de mes textes, cela reste totalement inconscient. Donc non, je ne revendique pas, mais votre compliment me fait tout de même plaisir.

 

Avez-vous des projets en cours ?

 

Oui, pas mal de projets... qui aboutiront ou pas, mais qui me prennent à peu près tout le temps que j’ai de libre. Je n’arrive pas à ne rien faire. J’ai peur de ne rien faire. Développer des projets est la plus belle manière de lutter contre l’ennui.

 

Une dernière lecture qui vous ait marqué pour finir ?

 

Un petit mot gribouillé dans des chiottes publiques dégueulasses : « Pardon d’avoir laissé l’endroit dans cet état ».