Sixième tableau : Interlude

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Le vent soufflait en rafales désespérantes et je voyais les saules se régler sur lui comme l’herbe des champs.
Le sol détrempé reflétait un ciel si livide qu’on eût pu le croire mort. Je frissonnais sous le capuchon de ma gabardine tandis que, chaussée de mes bottes de caoutchouc rouge, je troublais en larges ondes les flaques éparses du chemin. 

Je poussai la porte d’un seul coup et rentrai vite à l’abri dans la maison.

Au village, une poutre s’était détachée et avait assommé François, le forgeron.

Mon oncle André ne parlait que de ça. Et tantine acquiesçait sans que l’on puisse deviner à propos de quoi.

La bibliothèque émit un bruit sourd et effrayant qui fit carrément s’entrechoquer les assiettes dans le vaisselier.

Je sursautai malgré moi. Ce bruit avait quelque chose de terrifiant et d’excitant à la fois.

― Il ne faut plus jamais rien déposer sur ce meuble, nous dit tante Rrose d’un ton joufflu.

Elle se saisit de la nouvelle de René et l’emporta dans la cuisine.

C’était pour ce soir…

 

J’étais comme une pile électrique. Nous avions décidé, mon frère et moi, que nous opérerions vers minuit quand toute la maisonnée serait endormie.

René se dirigea à pas de loup vers la commode et, sans bruit, en ouvrit un tiroir. Il y prit un gros livre relié de peau de zébu et l’ouvrit sous mon nez à la page quarante-neuf.

― Contemple ! me dit-il d’un ton plein de mystère.

On pouvait y voir le portrait d’un gommeux, apparemment triste et insatisfait de lui, accompagné de cette légende : « Lautréamont : Isidore Ducasse Nicolas ».

― Tu vois, me dit René, oncle André l’évoque plusieurs fois dans ses Manifestes.

Je baillai discrètement et observai mon frère.

― Regarde, continua-t-il, sentencieux, son succès fut posthume et les Chants de Maldoror ont d’abord été publiés à compte d’auteur. Que penses-tu de ça ?

 

Prise entre-temps d’un besoin pressant, j’avoue que je n’avais guère été attentive à ces éclaircissements qui de toute manière me dépassaient, et, des yeux, je cherchais le pot de chambre.

 

 

Georgie de Saint-Maur