Roland Ward
André Legoff était un habitué du Gulliver. « Un pilier », disait Da Silva sans qu’on sache si c’était dans sa bouche une approbation ou un reproche. Il avait élu domicile au bout du comptoir, près de l’escalier qui conduisait aux toilettes. Certains mettaient cela en relation avec des problèmes de prostate. On parlait de cancer.
Legoff avait jadis exercé la profession d’empailleur.
― Taxidermiste, tenait-il à préciser, vous savez, maintenant on n’utilise plus guère la paille pour bourrer les animaux. On préfère la résine. C’est une autre époque.
Il avait travaillé pour le muséum d’histoire naturelle mais aussi pour de riches particuliers du Safari Club International. Un soir, il me montra une photo. Il posait à côté du président Giscard d’Estaing et du guépard qu’il avait réalisé pour lui. Je remarquai ses mains, longues et fines. Elles tremblaient légèrement. Était-ce la fatigue due à la maladie ou la lassitude d’un homme qui savait sa vie derrière lui ? Je ne sais pas.
Ce même soir j’avais rendez-vous avec le Docteur Schott pour notre séance hebdomadaire. Je lui posai quelques questions sur André Legoff :
― Ce cher André, savez-vous qu’à une certaine époque il faisait partie des Compagnons ?
Je ne le savais pas mais cela ne m’étonna guère. Cela ne m’étonnait pas non plus qu’il les ait quittés. Le profil des adorateurs du grand nez rose avait changé. Les rêveurs et les nostalgiques avaient laissé la place aux techniciens supérieurs. On nourrissait Oneiros de façon efficace et pragmatique. On faisait des listes de mots, on établissait des programmes. Le docteur Schott avait-il deviné mes pensées ? Quoi qu’il en soit, il ajouta :
― Les méthodes de l’OBNI ne me plaisent pas beaucoup moi non plus, mon petit. Peut-être serait-il temps, à la manière des disciples du vieux Léon, de créer un nouveau groupe et de rompre une fois pour toutes avec ces pratiques ?
Il sourit :
― En attendant, racontez-moi ce rêve que vous avez évoqué au téléphone.
Et nous jouâmes, pour le restant de la séance, la comédie du psychiatre et de son fou. Le docteur Schott ne disait rien. Il se contentait parfois de hocher la tête. J’espérais simplement que ma vie nocturne ne finirait pas dans les tuyaux du grand empaffé.
Édouard.k.Dive