Les bibliothécaires ont-ils de l’humour ? Une question grave (mais pas trop) qui mérite d’être posée (quand même)


Pourquoi les bibliothécaires ne sauraient-ils pas faire preuve d’humour ? On sait comme les préjugés ont la peau dure, et comme la fréquentation assidue des bibliothèques vaut à qui s’y adonne le qualificatif de rat. Et pourtant, figurez-vous qu’il en est dans cette profession qui ont jusqu’à la fantaisie d’aduler Gracq tout en ponctuant leurs discours d’un « étonnant, non ? » on ne peut plus desprogien. D’autres ne savent décidément pas rire, admettons-le : ainsi des blogueuses et accessoirement documentalistes en collège (une race à part) qui ont pris la mouche à propos du livre « La côte 400 » de Sophie Divry… Quoi qu’il en soit, comme tout corps professionnel consacré qui se respecte, cette profession a ses coutumes, ses aimables potins florentins, ses rites, et même, à l’instar du largonji des louchebems, son jargon. Prétexte à une savoureuse entreprise qui a vu le jour tout récemment, et qui n’a pas laissé sans surprise par sa violation cocasse de l’étiquette. Projet attendu, car nécessaire ; et nécessité n’a pas de loi. À l’usage des praticiens, sa devise pourrait être : avaler ce breuvage amer, et tenir le calice d’une main ferme.

 

Depuis le mois de janvier, une vingtaine de zigotos doublés d’olibrius sème la panique dans le petit monde fermé des bibliothèques avec leur « Dictionnaire du diable des bibliothèques », directement inspiré du génial « Dictionnaire du diable » d’Ambrose Bierce. Quotidiennement, ces vengeurs (des usagers) masqués ajoutent deux définitions sur leur blog : cela va pour l’instant de A comme ABF à W comme Worldcat. Si certaines définitions feront surtout rire les bibliothécaires, d’autres sont accessibles au commun des mortels, c’est-à-dire à ceux qui ignorent les joies du catalogage et les crises de désherbage qui s’emparent parfois des bibliothécaires les soirs de pleine lune.

 

Le plus drôle dans cette histoire, c’est que les instigateurs de cette potacherie (qui a le bon goût de ne jamais sombrer dans le ragot d’office mais qui, l’air de rien, s’avère assez subversive) s’étonnent que leur article ait été refusé par le B.B.F. (principale revue professionnelle) qu’ils définissent de la manière suivante : « publication où la médiocrité a été sélectionnée par un comité de lecture ». Parce qu’au-delà des critiques faciles contre « ces salauds de fonctionnaires » que nous ne pouvons que récuser (l’une en tant que prof, l’autre en tant que bibliothécaire), il est parfois bon qu’une profession prenne de la distance avec son jargon, ses tics, ses manies, et si c’est avec humour et dispo gratos sur le net, que demande le peuple ? Peut-être, suivant Voltaire :

 

« Caresser le serpent qui nous dévore, jusqu’à ce qu’il nous ait mangé le cœur. »

 

Quelques définitions parmi les meilleures

 

Adjoint à la culture : Non-professionnel souhaitant confisquer à son profit une partie du pouvoir en matière de pilotage de la bibliothèque, sous le fallacieux prétexte qu’il a été élu pour cela.

 

BDP (bibliothèque départementale de prêt) : De loin, les BDP sont des bibliothèques de prêt. De près, elles sont loin d’être des bibliothèques.

 

Bibliothécaire : Personne capable de conseiller un usager sur tous les sujets qu’elle n’a jamais étudiés.

 

Bibliothécaire traditionnel : Bibliothécaire capable de sacrifier un lecteur pour conserver un livre.

 

Bibliothécaire moderne : Bibliothécaire capable de sacrifier un livre pour conserver un lecteur.

 

Blog : Astucieux moyen de communication, permettant à trois bibliothécaires de prolonger leur discussion du jour en évitant les désagréments du bistro, notoirement bruyant et mal fréquenté en Maine-et-Loire.

 

BPI (Bibliothèque Publique d’Information) : Boîte de nuit parisienne. Les 18-22 ans sont tout émoustillés d’y aller avec des amis, font la queue pendant deux heures et se font refouler par manque de place avant de finir au bistro – où on est finalement bien mieux.

 

Congés : Période de vacances notoirement trop courte, mais que l’on peut doubler grâce aux journées d’études.

 

Donateur : Petit-fils d’écrivaillon local, qui confond bibliothèque et « Une pièce en plus ».

 

 

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Salima Rhamna et Marianne Desroziers