La vérité avant-dernière
J’avais mis dans le mille. Le cadiK et ses voix détournées avaient surgi dans mon espace mental, à l’improviste mais non sans raisons. Un voile s’était déchiré et la réalité m’apparaissait sous une lumière grise et froide. Je voyais le Gulliver sous un autre jour, beaucoup plus imposant, une grande bâtisse austère. Joe Ghidetti s’effaça pour me laisser entrer et me suivit à l’intérieur du bâtiment de brique rouge. Le docteur Schott m’attendait au milieu du hall. Le grand Sachem était-il le dépositaire du fin mot de l’histoire ?
Il souriait. Il avait laissé tomber son air satisfait et dégageait une empathie que je ne lui connaissais pas. Il me fit signe de le suivre. Les mouvements étaient fluides malgré la tristesse ambiante. Il me fit entrer dans son bureau :
― Vous voilà donc revenu… Vous ne vous souvenez de rien ?
― Non.
Je ne savais pas pourquoi je mentais mais je savais que c’était la seule chose à faire.
― La crise a été longue cette fois. Votre petit monde intérieur a failli prendre le dessus.
Il me parla longuement. J’avais erré, me dit-il, plusieurs semaines à travers la ville, dormant dehors, parlant tout seul, invectivant les passants. C’est le patron d’une brasserie devant laquelle je me postais souvent pour haranguer la foule qui avait fini par appeler la police. Un certain André Legoff. Vous ne vous rappelez vraiment plus ?
Je souffrais de la maladie de cadiK, me dit-il. Je créais ma propre réalité. J’avais des hallucinations visuelles, auditives et même tactiles. Le doc s’enflammait. Vous êtes mon premier malade à pouvoir créer ainsi une réalité totale. C’est vraiment dommage que vous ne vous rappeliez plus. J’aurais bien aimé étudier le contenu de votre délire.
Je quittai le bureau. Joe Ghidetti m’attendait dans le couloir.
― Lucien t’a causé ?
― Le docteur Schott ?
― Schott n’est plus docteur depuis longtemps. C’est un malade, comme toi et moi. C’est leur truc dans cette taule de laisser chacun aller à ses délires. Une idée de Staboulov, le grand patron. Schott, lui, il invente des maladies. Des trucs rigolos d’ailleurs. Des fois on finit par y croire. Tu sais, j’ai un peu mené mon enquête. J’ai l’impression que tout ça est une énorme farce. Cet hôpital est un leurre. On ne nous soigne pas. On nous observe. Pour qui pour quoi, je ne sais pas. Ou plutôt j’ai ma petite idée. Tu m’as raconté des choses lorsque tu es revenu parmi nous. Un truc sur un certain Oneiros. J’ai vu un dossier là-dessus dans le bureau de Staboulov : Oneiros ou la machine à inventer le monde. Je crois qu’ils expérimentent leur truc sur nous. C’est pratique les délirants, ça ne s’inquiète pas quand ça déraille. Mais avec toi ils ont fait une erreur, je crois.
Il s’arrêta un instant. Son regard se fit plus insistant, comme s’il cherchait à percer quelque chose.
― Tu ne te souviens vraiment de rien ?
― Non.
Il paraissait soulagé.
Édouard.k.Dive