La nausée
Ce jour-là, je reçus un coup de fil. L’homme se réclamait du Rassemblement pour le Respect de la Propriété Intellectuelle. Il parlait d’une voix métallique ; le genre de truc qu’on obtient à l’aide d’un filtre audio-numérique.
Il ajouta :
― Nous avons beaucoup apprécié votre article sur les compagnons d’Oneiros.
― Merci.
J’étais vraiment curieux de savoir ce que ce type me voulait. Je n’attendis pas longtemps :
― Ça fait plusieurs années que nous surveillons les agissements sur le web du groupe OBNI, nous pourrions peut-être nous rencontrer. Que diriez-vous des Ambassadeurs, demain, à dix-huit heures ?
J’hésitai. J’avais entendu parler de ce Rassemblement pour le Respect de la Propriété Intellectuelle. Des zozos vaguement mystiques pour qui le moindre borborygme émanant d’un être humain était inaliénable sans le consentement explicite de son auteur. Le genre casse-couille, quoi. D’un autre côté, ils étaient un appui sérieux si je voulais m’attaquer au nez rose. Je finis par accepter.
Je passai le restant de la journée à surfer sur le site officiel du poète Paul Verlaine. J’avais acquis la certitude qu’il subissait les attaques du Vorace. Comme souvent après des heures passées à fixer l’écran, j’eus du mal à m’endormir. Pour ne rien arranger, mes voisins étaient des partouzards assidus et ce soir-là ils avaient repris du service. Derrière la cloison, ça râlait à qui mieux-mieux et ça poussait de petits cris suraigus. Les boules Quiès n’y faisaient rien. Je ne trouvai d’issue pour me détendre que de participer d’une main nerveuse et compulsive. La conclusion me laissa gluant, hagard et dégoûté de ma propre solitude.
Je pensai aux compagnons et aux douces voix des servantes d’Oneiros. Je murmurai ces vers du grand poète dont l’idole faisait certainement son miel :
« Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles. »
Ces mots se mêlèrent aux « ouais » victorieux des mâles en rut et je sombrai dans un sommeil peuplé de fantaisie.
Édouard.k.Dive