La gueule ouverte
L’Être Rêveur avait poussé le potard à 8. Sa voix de grelot synthétique bloquait les diodes dans le rouge tandis que les grosses têtes de l’OBNI commençaient à paniquer sec. Ils avaient fait appel à moi en catastrophe et attendaient je ne sais quel miracle. J’étais réparateur en pétage de câble existentiel, pas magicien. Mais allez faire comprendre ce subtil distinguo aux sectateurs du nez rose.
J’avais eu l’occasion de travailler pour eux comme compilateur sonore de séances de baise et mon travail leur avait plu. Je n’avais pas abandonné mes activités anti-Oneiros. Ils le savaient et m’accueillaient en fredonnant Swing Troubadour. Bref, l’époque était à la confusion des genres. L’important était de faire preuve d’un professionnalisme exemplaire tout en serrant bien les fesses.
Le numéro 1 du groupe Oniric Base for Neurologic Investigation, celui qu’on surnommait l’Ange-1, me fit le topo de la situation. Il me balança tout de go que la préoccupation actuelle de l’OBNI était de rééquilibrer les forces entropiques à travers le monde. Un peu plus ici, un peu moins là-bas, il fallait un doigté de gynécologue pour réussir cette opération. Enfin, c’est ce qu’il prétendait. Pour cela, on avait fait ingurgiter à l’empaffé l’intégralité de la littérature hardcore trouvée sur le web et mesuré l’effet de ce remède de cheval à l’aide d’un bordelomètre.
Apparemment le nez rose avait fait une overdose. Il éructait d’une voix métallique : « Sales grosses tarlouzes de merde, j’vais tous vous défoncer la gueule ».
L’Ange-1 fit signe au loufiat de service de baisser le volume et me regarda avec lassitude :
― Alors ?
Je réfléchis un instant et lui balançai, rigolard :
― Faites lui bouffer l’intégralité des chansons de Georges Harrison, ça devrait le calmer un peu.
Il me fusilla du regard.
― Est-ce bien le moment de plaisanter ? De toute façon, le système est bloqué. ACCESS DENIED, tu comprends ça, connard de réparateur de merde, ACCESS DENIED !
Je haussai les épaules.
― Écoutez mon vieux, je ne suis pas venu là pour me faire insulter, alors démerdez-vous.
Il me retint par le bras.
― Excusez-moi. La fatigue…
Il se mordit la lèvre inférieure comme pour refouler un sanglot.
― Ces années de travail… Et puis lire toutes…toutes ces insanités à longueur de journée. Je finis par parler comme eux.
Je ne répondis pas. J’avais un faible pour la littérature trash du grand Rimasky, mais lui savait baisser la garde. Tous les vide-chiottes n’avaient pas cette humanité.
Merde, je n’avais pas été embauché pour parler de Dieu, sa vie, son œuvre. J’étais un technicien supérieur. Je fis quelques vérifications et nettoyai la ventilation.
― Écoutez, je crois que votre nez rose va s’en sortir. Laissez-le refroidir, c’est une entité divine, pas une machine.
Je le plantai là.
― Vous avez mes coordonnées. Payez-moi quand il sera débloqué. C’est honnête, non ?
En partant, je jetai un dernier coup d’œil au rêveur de mes deux. Il me souriait, l’ordure. Ses deux gros yeux tournaient comme des vis sans fin. Je souris à mon tour. J’allai pouvoir me refaire une virginité bancaire : me taper un bon gueuleton et aller faire une virée au Paradize.
Des déesses autrement plus girondes m’y attendaient.
Édouard.k.Dive