Conversation entre gens de bonne compagnie
O’Flaherty est un Irlandais costaud et rouquin. C’est le responsable du département de cryptologie de l’International Spy Foundation.
Il y a quelques jours, il m’a donné rendez-vous au Ruth’s Chris Steak House, un restaurant situé dans un quartier friqué de N.D.Lay, à l’ouest de l’Inside City.
À peine assis, il a posé sa sacoche sur la table et a sorti un cahier recouvert de cuir rouge.
Il m’a dit qu’il voulait me montrer ça. Le titre était gravé en caractères gothiques : « Conversation entre gens de bonne compagnie ».
― Tu connais, sans doute ?
Bien sûr que je connaissais. Depuis longtemps. D’ailleurs tout le monde à la Fondation avait entendu parler de ce cahier. Il était d’habitude conservé dans le coffre-fort personnel d’Ange Staboulov.
Le grand chaman me l’avait montré un jour :
― C’est un vieil ami, André Legoff, qui a fabriqué la couverture. Magnifique, n’est-ce pas ?
Il jubilait.
― Magnifique, ai-je répondu avec le ton du mec pas concerné pour deux balles.
Il ne fut pas dupe. Il éclata de rire.
― Sacré grand con, tu me prends pour une andouille, non ? André Legoff, tu le connais aussi bien que moi et ce bouquin aussi. N’est-ce pas, monsieur le technicien supérieur en linguistique de mes deux ? Mais peut-être qu’un jour, avait-il ajouté, on aura besoin de tes lumières. Va savoir.
Le jour était sans doute venu. L’Irlandais me le confirma.
― Ce truc résiste à toutes nos tentatives de décryptage. D’après le patron, tu es un expert.
― Mouais. Qu’est-ce qui te fait penser que ces écrits sont cryptés ?
― Ces phrases sans queue ni tête avec une couverture pareille, quoi d’autre ?
Bien sûr. J’ai repensé aux soirées passées avec la bande du Gulliver. Qu’est-ce que ces types de l’internationale boîte à barbouze, ayant grandi dans un pays rompu à la communication efficace, auraient pu comprendre à ces rêveurs de phrases ?
Je me suis souvenu d’une de ces sentences que le docteur Schott aimait lâcher à la fin de nos conversations : « Vous savez, jeune homme, l’essentiel du message n’est pas ce qui s’y dit mais le lien invisible que vous tissez avec votre interlocuteur. »
Merde. Je n’étais pas ici pour ressasser le passé mais pour retrouver les traces du grand Rimasky. Et pour cela j’avais besoin d’Ange Staboulov. J’ai pris le cahier et ai promis d’y jeter un œil.
Nous avons terminé la soirée autour d’un T-Bone steak garni de french potatoes et d’une bouteille de Panamera, un rouge dont le goût boisé me semblait étrangement idéal, à l’image de cette banlieue résidentielle de N.D.Lay.
Édouard.k.Dive