Beringneyev 2
« Mon cher, il faut que je vous raconte quelque chose. »
André Legoff m’avait pris par l’épaule et me conduisait un peu à l’écart, dans un coin de la zone libre. Près du comptoir, Raoul Da Silva discutait avec le docteur Schott.
Les amis de l’Être Rêveur semblaient avoir repris du service. L’ancien taxidermiste parla d’une voix à peine audible :
― Il y a une trentaine d’années, le culte d’Oneiros commença à changer de visage. On abandonna les vieux rituels pour des pratiques plus… scientifiques. La mode était à l’efficacité. C’est de cette époque que date la création de l’OBNI…
J’avais la désagréable impression d’entendre un vieux disque rayé. Bien sûr, André Legoff avait lu dans mes pensées. Il sourit :
― Vous savez cela, n’est-ce pas ? Vous savez aussi qu’à l’intérieur des compagnons d’Oneiros, le docteur Schott fut le premier à organiser la résistance à l’OBNI. S’opposant au racket sacramentel, il défendit l’idée d’un culte basé sur le don personnel et poétique.
Oui, j’avais déjà entendu tout cela. Il calma mon impatience :
― Ce que vous ne savez pas cependant, cher ami, c’est que son disciple le plus prometteur fut à l’époque un certain Ange Staboulov que vous connaissez actuellement sous le nom d’Ange-1.
L’ancien taxidermiste sembla content de son effet. Je saisissais maintenant cette compréhension quasi-paternelle dont le doc semblait toujours faire preuve envers le numéro 1 de l’OBNI :
― Et que s’est-il passé ?
― Ça, voyez-vous, ça relève des délires de l’affreux Sigmund. On se demande juste qui est la mère, n’est-ce pas ?
Il se mit à rire d’un gloussement nerveux et sans joie. Ce type me tapait parfois sur le système.
Je regardai dehors. La nuit commençait à tomber. J’enviai ces sombres passants qui rejoignaient leur foyer. Étaient-ils de simples badauds suivant leur chemin ou les figurants d’une histoire imaginée par Ange Staboulov ?
― Ou le docteur Schott...
C’est Raoul Da Silva qui avait lâché cette phrase. Il semblait ne pas avoir perdu une miette de notre conversation. Un peu plus loin, le doc nous regardait avec un sourire de sphinx.
Décidément, la valetaille d’Oneiros semblait lire dans mes pensées comme dans un livre. Était-ce un don du grand empaffé ou une de ces merdes en VHF qu’on m’avait implantée jusque dans le cerveau ? Mes connaissances en linguistique appliquée ne m’étaient d’aucune utilité pour trancher dans ce domaine.
C’était juste un pari. Et, en bout de course, la sainte trinité, le tiercé gagnant.
Édouard.k.Dive